Un musicien chinois qui revisite la mythologie grecque en langue d’origine, voilà qui n’est pas banal. C’est en tout cas ce que nous propose le concept étrange de Ὁπλίτης, one-man-band hermétique et anonyme. Depuis 2021, un certain J.L s’épanouit dans des sonorités abrasives, quelque part entre un Black Metal progressif et un Death vraiment agressif. Un premier album a d’ailleurs plus ou moins expliqué la démarche plus tôt cette année, mais c’est bien son successeur qui nous intéresse, ce Τρωθησομένη qui fait très, mais alors très mal aux oreilles.
D’ailleurs, au-delà des querelles de style, affirmons que ce nouveau concept s’affirme comme une énième extension d’un Metal extrême sous tension, entre avant-garde, évolutif, expérimental et bruitiste. Et dès le premier morceau de cette folle sarabande à rendre Pénélope folle, la puissance est dévastatrice, et les dommages collatéraux.
Des titres hermétiques et intraduisibles par ceux ne parlant pas le grec, un logo indéchiffrable pour se mettre au diapason, Ὁπλίτης n’est pas vraiment le genre de plan que l’on refile à un fan de Metal généraliste plus habitué au formatage old-school ou à l’abattage contemporain. La musique proposée sur ce deuxième né est d’une violence conséquente, assemblage sans pitié d’un instrumental torride et complexe et d’un tapis de voix pugnaces qui hurlent dans la nuit. Le tout est mélangé dans le shaker de l’horreur pour produire le cocktail le plus épicé et chargé en alcool du moment. Et s’il n’est pas question de le boire cul-sec, il peut toutefois être dégusté à petites lampées pour que ses effets se produisent sur l’organisme.
Derrière cette superbe pochette se cachent donc encore une fois des légendes hellènes, portion d’histoire qui visiblement inspire sans se tarir ce musicien aussi étrange qu’inconnu. On sait que les one-man-bands dans l’underground BM sont souvent complaisants, et parfois performants, et vous me permettrez de classer notre bon vieux J.L dans cette catégorie, tant son inspiration fleurit sur les ruines d’un temple ancien comme du lierre autour d’un chêne.
Responsable de tout, J.L compose, écrit et joue, et s‘en sort avec plus que les honneurs. Dans un style proche d’un mélange entre DODECAHEDRON et DEATHSPELL OMEGA, Τρωθησομένη vous coupe les jambes avant de vous trancher le talon d’Achille, et vous laisse à terre, exsangue, et pas certain de ce qui vient de vous arriver. Entre Black intraitable et Death en filigrane, cet album maîtrise tous les codes d’un extrême décomplexé, et très porté sur l’audace dans l’absolutisme.
Dès lors, il est assez difficile de situer les débats sans réduire injustement le champ d’action. Une batterie en tir de barrage constant, des riffs étranges qui saccadent et syncopent, un chant sous-mixé dans la plus pure tradition nordique, pour un voyage mouvementé dans la Grèce antique. Parfois proche d’un exercice rythmique intense (« Ὁ τῶν τραυμάτων ἄγγελος »), parfois à deux pas du chaos le plus assourdissant (« Τρῶξις »), Ὁπλίτης avance à grands pas, mais reste concis, intelligible et surprenant. Evoquant parfois la scène Thrash expérimentale japonaise, Ὁπλίτης peut se laisser aller à traduire DOOM et OUTRAGE dans un langage plus puissant et menaçant, mais reste toujours singulier et personnel. Pas de longue digression stérile et roborative, juste une poignée de morceaux de durée raisonnable mais d’inspiration déraisonnable. Groove, dissonances, discordances, écrasement éléphantesque, basse serpentine et ludique (« Τετρωμένη » qu’un VOÏVOD sous stéroïdes aurait pu nous offrir à la grande époque), le festival est recommandable, et fait le plein grâce à des idées porteuses mais aussi déformées qu’heureuses.
Ce maelstrom de plans peut parfois paraître épuisant eu égard à la somme d’informations qu’il fait circuler, mais il reste d’une homogénéité indiscutable, et d’une portée maximale. Les éléments Death s’imposent sur le papier à partir de la moitié de l’album, donnant lieu à une seconde partie plus aérée et accrocheuse, à l’image de l’endiablé « Ἔκτρωμα », qui propose une vision de CARCASS passée au prisme d’un lecteur 78 tours complètement affolé.
Vous l’aurez compris, tout ça ne s’adresse pas aux amateurs de violence standard et classique. Ici, tout est traité pour sonner différent, et c’est presque un miracle que tout reste sur les rails sans aller valser dans le ravin. La précision des attaques, l’intensité des bourrasques, tout contribue à créer un sentiment d’oppression et de claustrophobie, voire de paranoïa lorsque la densité des données atteint un point critique (« Θεία μανία »).
Ceci expliquant cela, Ὁπλίτης montre un visage séduisant, quoi que difficilement discernable, même en pleine lumière. Un visage grimaçant, tendu, aux rides naissantes, pour un reflet relativement laid, mais fascinant. A vous de tester votre résistance sur ce crash-test d’une demi-heure, en bon mannequin de plastique que vous êtes.
Il n’y a aucun mal à aimer se faire malmener.
Titres de l’album:
01. Οὐλομένη
02. Τρῶξις
03. Τρῆσις
04. Τραῦμα
05. Ὁ τῶν τραυμάτων ἄγγελος
06. Τετρωμένη
07. Ἔκτρωμα
08. Θεία μανία
09. Οἰχησομένη
10. Θεῖα δεσμά
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