Préambule Informatif :
En 1897, Sergueï Korsakov donnait son nom à une désorganisation caractéristique de la mémoire, un trouble neurologique sévère provoquant une perte irrémédiable de mémoire et une forte tendance à l‘affabulation.
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Une fois le décor planté, il est beaucoup plus facile de savoir pourquoi les lillois de KORSAKOV ont choisi ce nom de baptême. Leur musique est énigmatique, sombre, parfois au contraire très solaire, ambivalente, complexe, et basée sur des émotions contradictoires, incluant l’apaisement, la colère, la tristesse, la mélancolie et la peur du néant. Projet sorti de nulle part, né de l’imagination féconde d’un musicien à part sur la scène BM française, KORSAKOV a d’abord sorti son premier album en mode confidentiel, en totale autoproduction, avant de se voir soutenu par l’agence Singularités et le label national Source Atone Records. Et je peux comprendre la confiance que lui ont accordée l’agence et le label, puisque погружать est une œuvre riche, qui méritait bien mieux que ce semi-anonymat underground.
погружать peut selon le communiqué de presse se traduire par « immersion », ou bien « plonger lentement mais surement ». De cette base, et après écoute des pistes composées par A. on saisit mieux l’essence du propos, qui propose donc une traduction musicale des émotions ressenties par les victimes de ce syndrome étrange. Bricolé et enregistré par le mystérieux A. qui n’a confié que le mastering à Edgard Chevalier (DEMANDE A LA POUSSIERE, NATURE MORTE), погружать est ce genre de travail en confluence des genres, qui justement repousse tout cloisonnement. Entre le BM le plus féroce, parfois à la lisière du DSBM larvé, le Post Black atmosphérique, l’Ambient, le Shoegaze et son cousin bâtard le Blackgaze, KORSAKOV évolue en toute liberté d’individualité, feignant de ne reconnaître aucune frontière entre les sous-styles.
Six pistes anonymes baptisées comme des chapitres d’une autobiographie d’un être jouant avec sa mémoire, des lignes de chant abandonnant la narration classique pour se concentrer sur les émotions, des cassures mélodiques qui viennent battre le rappel d’une brutalité hors-normes parfois assez proche d’un SILENCER moins suicidaire, KORSAKOV n’est pas un concept facile d’accès, et apprécier la richesse de ses textures et philosophies se mérite. Il faut donc accepter de se laisser porter par la musique, sans chercher à l’analyser ou la catégoriser, et une fois vos sens totalement en phase avec votre être, et ce sentiment de perdition assimilé, le voyage peut enfin commencer, vous emmenant de nulle part au milieu d’ailleurs.
Pas moins de quarante-trois minutes pour six morceaux, dont certains étirés au-delà du raisonnable pour laisser le ressenti immédiat s’imposer, погружать est un labyrinthe dont il faut éventuellement accepter le manque de sorties. Il n’est pas aisé de s’abandonner à un album sans savoir ce qui risque de se passer, mais si vous acceptez de déposer votre libre-arbitre sur le perron de l’expérience sensorielle, vous en ressortirez non grandi, mais différent. Il est toujours difficile de savoir ce que ressentent les personnes affligées de pathologies mentales et mémorielles, mais cet album est justement une des clés qui vous permettra d’ouvrir la porte de l’énigme. Et en traitant de la même façon la brutalité la plus sourde et les mélodies les plus pastorales, KORSAKOV nous propose des contradictions tout à fait en phase avec le concept choisi.
De fait, inutile d’attendre de chaque piste qu’elle éclaire le chemin, puisque l’album a été pensé comme un tout, indivisible malgré sa numérotation romaine. Погружать est un album qui s’écoute en entier, et dont chaque détail fait partie d’une peinture plus vaste que la somme de ses parties. Monochromes mélodiques, contraste BM accentué, évanescence des pastels Shoegaze, KORSAKOV utilise toutes les nuances pour dépeindre une réalité alternative, entre mensonge et vérité personnelle, nous perd en route pour mieux nous retrouver au détour d’une harmonie sublime, voilée d’un galimatias d’arrière-plan ressemblant furieusement à la peur ressentie par une mémoire chancelante mise face aux faits réellement accomplis.
Loin du casse-tête prétentieux ou de l’horreur psychiatrique d’un STALAGGH, погружать est comme son titre le suggère une plongée dans les tréfonds de l’âme, et une façon d’accepter l’usure du temps et les afflictions y étant liées. Sans parler de schizophrénie musicale, l’album explore tous les recoins de souvenirs réels ou factices, et plonge au sein d’un même morceau dans les eaux opaques de l’oubli Blackgaze pour soudainement émerger à la surface d’un BM âpre et rude, comme des vagues balayant la mémoire sans vraiment laisser d’indices sur le sable.
Pas de bouée, pas de gilet de sauvetage, KORSAKOV vous livre donc quelques astuces pour survivre en apnée dans le corps même de votre essence, en vous confrontant à la pire épreuve qu’un être humain doive affronter dans sa vie : la perte des souvenirs, la confusion, et finalement, l’impossibilité de s’exprimer autrement qu’en mélangeant les mots et les sons, au point de ne plus être capable de produire autre chose qu’une litanie indéchiffrable et…résignée.
Il émerge pourtant de la lumière de ce constat assez pessimiste, et il est certain que le projet lillois a encore de belles heures devant lui. Ce qui est certain, c’est qu’une fois погружать écouté, vous ne pourrez plus l’oublier. Et il reviendra vers vous comme les ondes d’un passé flou, dont on se souvient par intermittence les jours où la pluie de la lucidité frappe à votre fenêtre.
Titres de l’album:
01. I
02. II
03. III
04. IV
05. V
06. VI
Bonjour,
Merci beaucoup pour d'avoir pris le temps d'écouter l'album et pour la rédaction de cette chronique très complète.
A. pour Korsakov
J'imagine que ça va fonctionner. Tournée dans les grands festivals assurée.
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