Pardonnez-moi, j’ai toujours aimé ce qui est en marge. Ce qui sent mauvais, qui pue même, et qui se joue de l’étiquette pour pouvoir imposer son mal-être ou son manque d’éducation. Les laissés pour compte, les borgnes, les éclopés, les sales monstres de foire qu’on exhibe dans des spectacles aussi tristes qu’affranchis de toute morale. Et donc, par extension artistique, le Rock un peu foireux, qui ne joue surtout pas franc jeu, et qui détourne les codes pour loucher vers la bonne et nous l’enlever en douze mesures mal tassées.
Malsain bien sûr, mais ludique, et tout va encore bien. Les JESUS LIZARD, les SONIC YOUTH, les SEX SNOBS, les GIRLS AGAINST BOYS et tous les autres, athlètes d’une troisième ligue qui ne célèbre jamais ses héros de piste, qui en sortent un peu trop souvent devant l’arbitre. Alors, pensez bien que le nouvel album des barges de THE FAT DUKES OF FUCK n’allait pas passer au-dessus de mon radar. J’ai trop aimé suivre les pérégrinations de ces olibrius toutes ces années pour ne pas manquer leur nouveau vol plané en rase-mottes, qui s’annonce tout aussi misanthrope et pourtant généreux que les précédents.
Ils l’ont voulu plus sombre, eux-mêmes l’ont dit, et pourtant, on retrouve cette patte salement rigolarde dans le lardage de riffs abrasifs et dans le fourrage de rythmiques corrosives qui ont fait leur démarque de fabrique. Il faut dire que de leur Las Vegas lubrique, ils voient tout venir, et surtout les tendances qu’ils prennent un malin plaisir à déformer pour mieux les éviter.
Alors, sous quel costume se présentent-ils cette fois-ci ? Des sauveurs du Rock dérangé pétomanes et affolés ? Des pères Noël accros au Meth de l’esprit, qui confondent distorsion et déjection ? Un peu de tout ça, mais ces caméléons étant des adeptes de la transformation incognito, ne comptez pas sur eux pour en dire trop. Pour en savoir plus, mais pas forcément, il faudra écouter.
Et avec plus de cinquante minutes à se poudrer dans le nez, vous avez largement le temps de vous défoncer.
A Compendium of Desperation, Morality and Dick Jokes a été produit par un duo d’experts en blagues salaces et noisy, les DEAF NEPHEWS, qui ne sont autres que Dale Crover, batteur des vilains MELVINS, et le guitar-tech Toshi Kasai. Autrement, dit, c’est une affaire de spécialistes qui ont le canular sérieux dans le sang, et qui connaissent la non-musique sur le bout des dents. Pour autant, ne vous attendez pas à une longue litanie de lourdeur suffocante, mais si vous connaissez les DUKES, vous n’en craindrez rien. Pour leur second longue durée, les végasiens n’ont pas fait les choses à moitié, et ont mélangé dans le shaker de leur folie tous les ingrédients passant à leur portée. Du Rock bien sûr, du Hardcore, pour sûr, du déviant, du dissonant, mais aussi du Thrash, à peine violent, du Metal, du lo-fi gonflé en 32 millimètres, un peu d’Indie, mais surtout, beaucoup d’envie pour signer l’un des LP les plus stimulants de cette rentrée. On y retrouve tous les ingrédients faisandés qui ont contribué à la recette de leur légende, des guitares mutines qui butinent, un chant gouailleur, mais roublard à tout heure, une rythmique élastique qui s’y frotte s’y pique, et évidemment, des thèmes atypiques, comme les inconvénients de pouvoir baiser lorsqu’on conduit un mini-van. Car ces mecs sont drôles, c’est un fait, mais ce sont aussi des instrumentistes à l’aise dans leur rôle. Celui de pourfendeurs de la normalité, qui osent combiner la BO d’un Nintendo Thriller Movie à une ambiance à la FANTOMAS pour quelques mesures bien salaces (« Tasteful Ray », celle-là Mike P. tu ne l’as pas vue venir, même avec Lombardo). Celui de fantômes d’harmonies décharnées, capables de transcender un Blues crépusculaire pour l’habiller d’oripeaux Post Metal transparents révélant une poitrine trouée de balles pas forcément à blanc (« No Single Men », variations sur un même thème de haine pour solo hésitant et divagations cycliques BEATLESiennes de 1969 bien tapées psychédéliques et empêtrées).
Alors, on change de peau comme de monture, et on continue d’expérimenter aux confins des limites entre Rock abrasif et Metal maladif, comme en témoigne un pamphlet aussi acide que définitif tel « The Monotonous Adventures of a Hopeaholic », qu’un HAWKWIND complètement défoncé au LSD aurait pu composer pour des MELVINS juvénilement amusés. C’est tendu comme un anus avant un lavement dans un cirque Gruss, mais bizarrement, ça séduit de ses harmonies un peu étranges, comme un spectacle d’outrance qui irait coucher les gosses après minuit.
Adepte des longues digressions planantes ou aplatissantes, les THE FAT DUKES OF FUCK aiment le gras, et tailler dedans, et baiser bien sûr. Mais surtout nos oreilles qu’ils violent de chœurs Doo-Wop que Zappa n’aurait pas reniés durant ses jeunes années, mais qu’il aurait plaqués sur une guitare bien plus mordante que celle dont il abusait (« Promise Keepers », et sa fausse promesse d’allégresse, qui se termine en impasse feignasse de Post Sub-Pop en parodie cartoon maudit). Mais pas méchants dans le fond, ces marlous nous préviennent quand même lorsque l’effort risque de nous faire du tort, et ruiner nos tympans en martelant de faux accords (« I’ll Tell You When It Hurts », sa basse qui oscille-o-scope, son chant qui se veut plus rancunier qu’un crachat des LIZARD d’un balcon haut perché, et sa guitare qui dissone, résonne et se morfond dans ses notes sans boussole).
Avec tout ça, vous en avez déjà presque pour vingt-cinq minutes de votre vie, mais les gus sont aussi enthousiastes en version plus condensée. La preuve ?
« Whiskey and Bath Water », qui tonitrue d’une intro qui tue, le feedback et les morues, mais qui se rapproche d’une version PINK FLOYDisée des GIRLS AGAINST BOYS alcoolisés. « Mother of Rhea Pearlman » et son synthé aigrelet et maigrelet qui perturbe des licks presque Reggae. On s’amuse ?
Pour de vrai.
Entre boutades pour initiés légèrement perturbés par Freud et son inceste auto-proclamé, version ado Thrash mutilé (« Full Metal Jack Off », ou comment se foutre de la gueule des metalleux en avouant évoluer parmi eux), et déclarations d’intention accélérées (« Where Assholes Come To Die », Speed Metal pas banal, genre Lemmy qui se tâte la prostate sur fond de New Wave Of British Punk Heavy Metal), le compte est bon, le nôtre en tout cas, et on assiste hilare au défilé des majorettes de Las Vegas, nous incitant à remettre une pièce dans leur fente pour tenter le drop jackpot.
Et on se fait avoir comme des bleus, parce qu’on rigole en ne pouvant rêver mieux. Alors, je les aime moi ces FAT DUKES OF FUCK, parce que finalement, et ils en sont fort marris, mais ils ne baisent personne avec leur faux bruit/vraie musique. Non, A Compendium of Desperation, Morality and Dick Jokes n’a rien de désespéré ni de moral, se veut plutôt biaisé, mais d’une richesse admirablement agencée. Le genre de disque qu’on écoute entre…
Dans les milieux autorisés ?
Aucune n’est indispensable pour s’en sevrer.
Titres de l'album:
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