Voilà un nom qui va réveiller tous les amateurs d’avant-garde et de grandiloquence instrumentale. TIGGUO COBAUC - qui tire son nom de celui très ancien de sa ville, Nottingham - est en effet l’un des chantres de ce que l’on appelle l’Enochian Black Metal, qui répond plus ou moins à la définition suivante :
« Langage des anges », l’énochien est une langue construite occulte ou angélique supposée, possédant son propre alphabet, découverte dans les carnets de note des occultistes et alchimistes anglais John Dee et Edward Kelley
Lorsqu’on se réclame de cette mouvance, autant jouer une musique novatrice, sombre, passionnée par le passé et susceptible de remplir le cœur des archéologues Metal les plus chevronnés. Et justement, ce trio magique a largement les arguments pour convaincre un nouveau public de sa pertinence. Mais TIGGUO COBAUC est déjà connu d’une certaine frange de l’audience BM, puisque A Fountain of Anguish Is Gone est déjà son deuxième album. Trial by Combat (qui rappelait cette merveilleuse scène de Game of Thrones avec Peter Dinklage) avait posé les bases en 2022, et développait déjà des propos personnels, avec un large choix de thématiques, mais aussi une inspiration ouverte, empruntant au Heavy, au Death, au Dark et même au Metal symphonique. On y trouvait de l’EMPEROR mélangé à des restes de CELTIC FROST, le tout sous couvert d’une inspiration personnelle, et d’obsessions rituelles.
L’équation est donc simple. Réputation naissante + professionnalisme = monstre en devenir. Inutile de le cacher, A Fountain of Anguish Is Gone a eu un fort impact sur moi, de par sa science exacte des mélodies et son amertume qui suggère le passé avec beaucoup d’emphase. Emphase, c’est d’ailleurs le mot idoine pour décrire cette nouvelle œuvre aussi ambitieuse qu’efficace. Loin des obligations contractuelles de l’avant-garde, le quatuor (Reno Ramos - basse/chant, Luca Martello - guitare & Wayne Turton - claviers, avec en support depuis cette année Carl McParland - batterie) préfère la concision d’un Black moderne qui ne rechigne pas à rendre hommage aux plus grands. Mais loin de la fascination pour la scène nordique, suédoise ou américaine, les anglais préfèrent une approche centre européenne, quelque part entre la France et l’Allemagne.
On retrouve la rigueur d’outre-Rhin et cette façon de Wagnériser sa musique, mais aussi cette violence sourde et froide de notre beau pays, qui nous a permis d’intégrer le top 3 des pays les plus productifs en termes de Black Metal. Inutile donc de craindre des litanies sans queue ni tête, mais inutile aussi de vous attendre à un déluge d’arrangements pompeux sur instrumental classique.
Entre élitisme chic et puissance choc, TIGGUO COBAUC n’a pas choisi, et nous propose un voyage totalement fascinant. La confrontation permanente entre la lourdeur et la vélocité aboutit à un cocktail pour le moins détonant, et si les blasts se font rares, les passages Heavy nous enfoncent la tête dans le marigot du passé, avec une forte tendance à suggérer le Doom pour paraître encore plus empesé qu’on est.
Beaucoup d’intelligence donc, mais aussi une éthique propre, qui s‘articule autour de longs passages dévorants, que le grand BATHORY n’aurait pas reniés. Ainsi, « Eternal Quietus » n’est pas sans évoquer une collaboration imaginaire entre Quorthon et TRIPTYKON, avec son ambiance à la Monotheist trempée dans le fiel d’un Hammerheart.
Boucles orientales, franchise anglaise, le crossover est bouillant, et les titres développent tous une identité propre, chose appréciable dans un style qui prône souvent l’homogénéité plutôt que la diversité. En découle une écoute attentive, et une richesse qui ne fait que prendre de la valeur avec le temps. La majesté de ces riffs énormes et de cette rythmique imposante font que l’aventure prend des proportions épiques, tissant une fine toile entre la réalité et le fantasme, dans un demi-sommeil du juste qui rêve de ses propres ancêtres.
« Inner Disaster », encore une fois conséquent et gigantesque, traîne la patte pour mieux laisser les éclopés, les assoiffés, les esseulés et les parias rejoindre la marche, entre allusions à CELTIC FROST et passion pour un Dark Metal d’un noir profond. La voix de Reno Ramos, mixée en avant permet de s’accrocher à la narration comme une épidémie à son patient zéro, alors que la guitare de Luca Martello tergiverse entre les motifs, pour enchaîner un lick pachydermique et une mélodie en son presque clair.
Construit sur une progression logique de sept morceaux assez longs, A Fountain of Anguish Is Gone dément sa propre appellation en suggérant l’angoisse de son atmosphère pour le moins mortifère. S’il n’est pas le plus cru des groupes de BM, TIGGUO COBAUC n’est pas non plus le plus facile d’approche, tant ses idées s’imbriquent avec une fluidité, mais une violence rare. Il faut avoir l’oreille rompue à l’exercice du Black progressif statique, antinomie qui prend tout son sens sur cet album.
« Volt-Face » en est une parfaite illustration, avec encore une fois cette grandiloquence permanente qui se satisfait très bien d’un tempo lourd et processionnel. On avance en ayant le sentiment de faire du surplace, et pourtant, les mouvements sont bien réels, quoi qu’imperceptibles parfois. A tel point que certains sites préfèrent classer nos amis anglais dans la catégorie Sludge, ce qui est pour le moins incongru.
Non, TIGGUO COBAUC est purement Black, dans sa dominante la plus sombre. On pourrait même y voir une forme très sourde de Doom/Death, lorsque « Engaged Putridity » retentit comme un dernier avertissement. Ou avant-dernier, puisque « Deliverance » incarne la porte de sortie, qui étrangement, est aussi celle d’entrée.
Beaucoup de points communs avec le Thomas Fischer du vingt-et-unième siècle, pour un album imposant, à l’enceinte inviolable. Oppression, mystique, insistance, invocations, le tout ressemble à une formule magique énoncée quelque part dans un désert, destinée à ramener à la vie un dieu ancien dont les intentions ne sont pas des plus louables.
Et le noir. Toujours le noir. De nuit comme de jour. A Fountain of Anguish Is Gone est plus qu’un album, c’est une éclipse éternelle.
Titres de l’album :
01. Craving For Slay
02. The Darkest Emperor
03. Eternal Quietus
04. Inner Disaster
05. Volt-Face
06. Engaged Putridity
07. Deliverance
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