Depuis quelques années maintenant, la vie des groupes est encore plus complexe qu’elle ne l’était au début des années 2010. Avec l’explosion du streaming qui rémunère les artistes aussi grassement qu’Amazon ses petits employés chinois, des problèmes de tournées qui coutent de plus en plus cher, une abondance de sortie qui ne garantit à personne une exposition minimale, les problèmes à affronter sont légion, et bien souvent, ces mêmes groupes préfèrent jeter l’éponge plutôt que de s’échiner à perdre de l’argent quoi qu’ils décident.
Et il arrive aussi que des problèmes internes rajoutent quelques épreuves supplémentaires, histoire de vous apprendre que la vie a toujours une mauvaise surprise en réserve.
Les anglais de MASTER’S CALL en sont bien conscients, eux qui ont réussi comme par miracle à accoucher de leur premier album dans le chaos et les tourments. Après un premier EP paru en 2019, le groupe a comme tous ses petits copains connu les restrictions du confinement, et l’impossibilité de défendre son répertoire sur scène. Et après avoir investi de nouveau le studio, c’est leur chanteur qui a dû quitter la scène en plein milieu de l’enregistrement pour problèmes de santé, obligeant le guitariste à s’occuper des parties vocales.
De quoi en décourager plus d’un, mais les membres de MASTER’S CALL ne sont pas du genre à se laisser aller à la première anicroche. La preuve, puisque leur premier album est aujourd’hui disponible, et qu’il va vous écraser le champignon en mode tour-bus qui s’affole et prend les virages à fond les ballons.
John Wilcox a donc abandonné la guitare pour se concentrer sur le micro, remplacé à son poste par Bear, venu étoffer une formation qui se reposait sur Dave Powell (guitare) et James Williams (batterie). Lewis Chrimes (basse) vient donc compléter le tableau, assez impressionnant, et digne de figurer dans les musées Metal en bonne place entre BEHEMOTH et MORBID ANGEL.
Car A Journey For The Damned, concentré sur les épreuves les plus éprouvantes de la vie se refuse à rester bien sage dans son coin de l’extrême, revendiquant une pluralité d’inspiration qui se constate dès les premières mesures de « All Hope In Fire ». Bien que frappé du sceau Death/Black, le quintet de Wolverhampton ne laisse aucune pierre à terre, et les retourne une par une pour construire un mur du son aussi imposant qu’une tour de Babel érigée en plein milieu d’un champ.
Dans un registre de Metal vraiment extrême, MASTER’S CALL joue la carte dangereuse de la mélodie dans le chaos, et relève le défi avec une morgue admirable. Loin des facilités old-school mais en honorant les anciens, les anglais parviennent à se démarquer de cette scène nostalgique par une production soignée et très ample, sans trahir leurs convictions. En résulte un disque épais, grandiloquent, ambitieux et très réussi.
Pour en être convaincu, laissez-vous bercer très près du mur par le bodybuildé « The Serpent’s Rise », sorte de prototype d’une méthode de construction en gigogne, qui enchaîne les plans avec une facilité déconcertante. Rappelant parfois le CARCASS de fin de première partie de carrière, passé entre les mains d’un coach aux biceps saillants, MASTER’S CALL ne s’embarrasse pas de principes inutiles, et accepte de composer des plans accrocheurs pour mieux captiver son auditoire. De fait il est impossible de résister au tsunami émotionnel déclenché par le torride « Blood On The Altar », qui parvient à tracer un trait d’union entre Hearwork et Storm of the Lights Bane.
Incroyablement agressif, ce premier album fait montre d’une maîtrise du sujet absolue. Les cinq musiciens sont parvenus à régler leurs problèmes un à un avant d’enfin pouvoir nous offrir ce disque d’une puissance assourdissante, et pourtant, toutes ces chansons sonnent aussi naturelles que si elles avaient giclé des guitares de Wilcox et Powell, les deux compositeurs du quintet.
Si parfois, l’équilibre est rompu pour basculer du côté Black (« Damnation’s Black Winds »), la moyenne est toujours trouvée avec une science exacte, pour échapper à l’affiliation directe à l’un des deux camps. Plus extrême que réellement Death/Black ou Black/Death, A Journey For The Damned est en effet un voyage pour les damnés de toute sorte, entre le purgatoire et des enfers personnels à la température rédhibitoire.
Complet, saisi dessus/dessous, né d’une inspiration démoniaque, A Journey For The Damned est le type même d’album qu’on laisse tourner pendant des jours tant ses détails réclament une attention particulière. Et si le souvenir de cet ancien vocaliste plane encore au-dessus des chœurs, la mainmise de John Wilcox sur le micro est évidente, tant l’ancien guitariste manipule à merveille les intonations les plus caverneuses et sentencieuses.
Grave et imposant, A Journey For The Damned est un gigantesque coup de pied qu’on encaisse directement dans l’estomac et qui nous laisse sur le flanc. Mais il est avant tout une sacrée revanche sur le destin, qui à n’en point douter va se montrer plus clément à l’égard de ces anglais.
Ce qui ne serait que justice finalement.
Titres de l’album:
01. All Hope In Fire
02. Beyond The Gates
03. The Serpent’s Rise
04. Blood On The Altar
05. Damnation’s Black Winds
06. Into The Abyss Once More
07. Pathways
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