C’est cette sublime pochette au noir et blanc fascinant qui a attiré mon attention sur le premier LP des finlandais de HARMS. Ce visage paisible, cette sensation de bien-être, de connexion avec soi-même m’a donné envie d’en savoir plus, d’autant que le titre de l’album va à l’encontre de cette impression de départ. Une vie entière passée à mourir, voilà donc un postulat intéressant, qui certes contient une part de vérité. Après tout, à peine nés, nous entamons une marche inéluctable vers notre mort, marche lente, rapide, chaotique, linéaire, rythmée par des coups du sort, des évènements heureux, des déceptions, de la souffrance, des pertes insupportables et des rires tonitruants. Alors, consacrer un album à ce concept n’est pas incongru, spécialement à notre époque où chaque évènement semble être encore plus funeste que le précédent, et où tout le monde dramatise ses moindres petits bobos sur les réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux justement sont une arme redoutable pour les nouveaux groupes, qui les utilisent comme outil de promotion gratuit. Ainsi, ces originaires de Lappeenranta s’y sont fait une bonne place, mais pas suffisamment pour que je remarque cet album le mois de sa sortie. C’est donc avec pas mal de retard que j’attaque l’analyse de ce A Lifetime Spent on Dying, mais le temps perdu n’a en rien gâché le plaisir de la découverte.
Faussement présentés par la bible The Metal Archives comme un énième combo Metalcore, les HARMS évolueraient plutôt dans un créneau de Hardcore légèrement Post sur les bords, mais méchamment sombre au milieu. Déjà auteurs d’une première démo il y a quelques années, les finlandais ont donc mis leur créativité à contribution, pour pondre neuf morceaux aussi cohérents que différents. Usant d’une trame classique d’opposition lourdeur/chaos, HARMS ne se distingue pas vraiment de la masse occupant son créneau par son originalité, mais plutôt par son énergie et sa volonté de créer des textures émotionnelles tangibles.
On se sent parfois proche d’un univers commun aux TENGIL et à NEUROSIS, le chant étant souvent proche d’une version juvénile de Scott Kelly, et la lourdeur de certains plans n’étant pas sans évoquer la fureur larvée des américains. Mais les nombreuses mélodies, les transitions coulées appartiennent décidément à la scène Post la plus éthique, ce qui nous donne un Blackened Post-Hardcore fameux en oreilles, et drivé par une colère incroyablement compressée.
« Dusk » donne d’ailleurs le ton dès le départ, avec ses notes de claviers amères et son riff principal déboulant de l’ombre des siècles. La pression et mise, mais le morceau évolue rapidement vers un mid-tempo plus léger, mais pas moins haineux pour autant. Sur une mise en scène classique, les finlandais brodent une intrigue personnelle, utilise des motifs harmoniques très Metal dans les tierces, mais posent les jalons d’un Hardcore en torrent de blasts dès que l’occasion leur est donnée. Formel, l’album dispose pourtant d’un charme certain, un charme certes sombre et parfois nauséeux, mais de ceux qui enivrent les sens en nous attirant vers l’obscurité de l’existence.
Et « Deeper into Darkness » le prouve d’ailleurs de son titre, mais aussi de son beat énorme et frappé à la blanche lourde de sens. La voix, dédoublée pour accentuer le malaise permet aux guitares de se livrer à un jeu de dupes inter-styles, provoquant le Hardcore de Brooklyn, le Doom de Birmingham, la NOLA de la Nouvelle-Orléans, pour un mélange certes lourd à l’âme, mais délicat. Les cinq musiciens ont d’ailleurs un don certain pour brouiller les pistes et se montrer catchy lorsque l’humeur le réclame, et placent des riffs qui rentrent dans le crâne comme des idées noires.
Morceaux courts mais lapidaires, contenant toujours une ou deux idées porteuses généreuses, emphase mise sur l’intensité et la versatilité, pour des breaks tombant comme des couperets ou des mauvaises nouvelles. « Black », très loin de la nostalgie de PEARL JAM jouerait plutôt le NYHC adapté vingt-et-unième siècle, tandis que « Finite » explore les confins de la pesanteur pour nous aspirer dans un vortex de ressentiment en Doom/ Sludge majeur.
Vous l’aurez donc compris, les HARMS n’ont pas choisi ce titre par hasard, et nous racontent une courte vie de souffrances, de regrets, de doutes, de douleurs intérieures et d’agressions extérieures, comme si ce trajet entre le berceau et la tombe n’était qu’un chemin de croix, ou une longue route avant le repos. Entre ces boucles mélodiques concentriques typiques du Post-Hardcore classique, cette alternance de violence qui se matérialise selon les besoins, cet interlude Ambient glauque et grandiloquent qu’est « Towards the Sixth End » (encore une fois, merci à NEUROSIS et ses traumas), ces passages soudainement fluides et totalement Metal (« The Sixth End »), HARMS propose de la douleur, c’est irréfutable, mais aussi de bonnes raisons de s’enthousiasmer pour sa musique.
Il faut évidemment préférer son Hardcore lent et douloureux, mais entre les pulsions de « Aurora » et ses cordes émergeant du brouillard pour annoncer une quiétude inattendue, et le final orgiaque et compressé de « Ventures in Sorrow », A Lifetime Spent on Dying s’incarne en candidat sérieux pour les tops de fin d’année, version Hardcore évidemment.
Un disque en noire passion, une musique sous pression, pour une lucidité nécessaire pour affronter le quotidien. Je conviens que tout ça peut être douloureux, mais la vie ne l’est-elle pas ?
Titres de l’album:
01. Dusk
02. Deeper into Darkness
03. Black
04. Finite
05. Towards the Sixth End
06. The Sixth End
07. Inherit a Void
08. Aurora
09. Ventures in Sorrow
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