Après le vintage Thrash qui a contaminé la moitié des musiciens de cette foutue planète, le Blackened Core continue lui-aussi de faire des ravages, à une vitesse exponentielle. Alors, dès lors, il convient de séparer dans les deux cas le bon grain de l’ivraie.
Inutile de densifier Black un Hardcore à moitié faisandé à la base, ça n’assainira pas le mélange et ne le rendra pas plus digeste. Pour en arriver à un résultat viable, il ne faut pas se contenter d’appliquer les mêmes recettes que tout le monde, sous peine de ressembler à tout le monde.
Et quand on se veut hors-normes et un peu excentré, c’est bien la pire des punitions, et ça les New-yorkais de HELLKEEPER l’ont très bien compris.
Ils ont d’ailleurs expliqué pourquoi ils l’ont si bien compris à l’occasion de deux précédents EP, dont un assez tétanisant Dead City et sa pochette urbaine un peu mal cadrée qui pour le coup, ne risquait pas de les faire rentrer dans le rang.
Depuis, ils n’ont pas changé mais mis beaucoup de Crust et de D-beat dans leur vin Core, ce qui rend le cocktail encore plus enivrant, et encore plus défonçant.
Alors, Blackened Core, moi je veux bien, mais tout ça va tellement plus loin que je m’en refuse à en rester là.
A World Within Flesh part d’un crédo/leitmotiv/fable assez simple en soi, et tellement utopique. Vivre dans un rêve pour fuir une réalité un peu trop violente et cruelle. Mais n’est-ce pas déjà ce que nous faisons tous, à des degrés divers, pour supporter un quotidien harassant qui enterre les songes d’adolescence sous une énorme pelletée de terre concrète ?
Si.
Et adulte ou pas, ado ou vieux con, tout le monde pourra apprécier la vision des choses de ce groupe décidément pas comme les autres (quatuor ou quintette ? Voici en tout cas son line-up Facebook, Paul Butler - Guitare et chant, Jack Xiques – guitare, Terrence Orlando – basse et Mike Pistone – batterie), qui propose un sale mélange de tout ce que l’underground extrême compte de plus violent et véhément, pour finalement nous proposer un crossover assez peu charmant de Hardcore blackisé, de Crust diabolisé et de D-beat solidifié.
Une symphonie de l’outrance apte à faire passer les NAILS, TRAP THEM, UNSANE, PRIMITIVE MAN pour de mignons petits conteurs d’école primaire. Vous pensez que j’exagère ?
Alors envoyez-vous de suite les vingt-six minutes de ce A World Within Flesh qui écrase tout sur son passage comme un Inception d’une nuit sans fin, agitée par les agissements d’intrus aux intentions pas vraiment bienveillantes.
Depuis leurs débuts, les HELLKEEPER veillent jalousement sur l’entrée de leur Enfer personnel qui semble être une porte bizarre menant sur un monde onirique pas vraiment rassurant en l’état.
Et si « Obscure » met les choses au point assez lentement (une entame digne d’un Doomcore vraiment flippante, avant qu’un riff purement Core ne déclenche un torrent de blasts menant sur un D-beat tenace et loquace), s’il propose un genre de refrain plein d’entrain, c’est pour mieux vous arracher sans complaisance de votre dite « réalité » pour vous emmener vers un ailleurs aussi violent, mais cathartique sur le moment. Et dès lors, on sait que tout va être différent, plus rapide, plus malsain, mais concret.
Un peu comme si les CONVERGE se paumaient volontairement dans les couloirs du manoir en ruine des ENTOMBED période Wolverine, en écoutant au casque les délires des SLABDRAGGER. Lourd, rapide, poisseux, limpide, une version Thrash contemporaine qui conchie le Thrash et loue le Loudcore. Pas compris ?
Pas grave, passez au reste de la virée.
Et puisque « Drown » vous enfonce encore plus dans la boue d’une vérité nocturne parallèle, il le fait avec une aisance à la NAPALM DEATH des meilleurs jours (les derniers), en multipliant les tours de passe-passe Grind dans un chapeau rempli de dissonances Chaotic Core.
Riffs Sludgy qui écrasent un final vraiment dantesque, voix qui raclent et exhortent, lourdeur, feedback, oppression sur le thorax…Une paralysie du sommeil pour une Alice pas encore effrayée d’être passée de l’autre côté du miroir.
« Henbane » joue la carte du lapin pressé, et associe stridences irritantes à un Crust/Grind vraiment dément, qui dégénère soudainement en D-beat infernal, avec le diable à queue fourchue sur vos talons pour vous enfoncer son trident dans le fion.
« Species » ne fait rien pour calmer les ardeurs, à part placer une rythmique tribale pile à l’heure. Les guitares se veulent plus accrocheuses, singent les UNSANE en stage chez les NAILS, et on sursaute aux prémices d’un up tempo vraiment catchy…
Des questions ? Tout ceci est-il homogène et précis ? A la rigueur on s’en tape, puisque ça fonctionne, et mieux que chez n’importe lequel de leurs concurrents circonstanciels.
Parce que les HELLKEEPER composent des morceaux, et ne se contentent pas d’empiler les strates de haine musicale sans réfléchir à leur impact.
Ils peuvent même tenter le coup du Post Hardcore, avec un « Quietus » qui nous fait croire à une accalmie, alors même que Paul hurle comme jamais. Intro abrasive, et entrée soudaine du backing band qui érige un pur mur sonore à la gloire du Hardcore le plus massif, lancinance garantie et pourtant débauche d’énergie, comme si les dernières secondes étaient comptées depuis longtemps. UNSANE encore ? Oui, avec un peu des LIZARD et de HELMET, version négatifs aperçus dans une pellicule de songe qui met mal à l’aise. Plus puissant que n’importe qui et quoi, et terrassant, asphyxie à quatre heures du matin…sans oxygène à portée de main.
Enregistré, mixé et masterisé par Chris Bittner aux Applehead Studios, A World Within Flesh, c’est la chair qui se fait organisme indépendant, un peu comme si David Cronenberg mettait en relief un projet perso avec l’aide des CULT LEADER pour sonner plus vrai.
Une « expérience » comme diraient nos ancêtres de la génération Woodstock, certainement horrifiés d’entendre un groupe pareil.
Et pourtant aussi terrible soit cet effort, il parvient à attirer l’attention et à la retenir, avec des intermèdes modérés dans la démesure, tel ce « Cycle » qui rebondit de plan en plan tout en restant malin et collant. Et si le groupe se paie le luxe de nous réveiller violemment (« Simulacrum », mais ils ne font pas semblant), c’est pour mieux nous ramener au quotidien, celui-là même qu’ils nous proposaient de fuir…Ironique ? Pas tant que ça.
« J’ai utilisé des éléments de Hamlet et du White Noise de Don Delillo, parmi d’autres bouquins »
Et lorsqu’un musicien lettré se propose de mettre en tragédie votre vie, on le lit, on l’écoute et on le respecte. Parce qu’il sait très bien ce qu’il dit. Jusqu’au bout de la nuit…
Titres de l'album:
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