La photo officielle du trio, affichée sur la page Metal Archive du groupe, évoque plus volontiers une sorte de Shoegaze ou un Indie Rock à la limite de la Chamber Pop, qu’un Sludge sale, sourd, sournois et vicieux. Les cheveux coupés ras, la bassiste en plein milieu, les lunettes de comptable, les t-shirts unis, l’air hébété, difficile de discerner dans ces traits de caractère photographique un groupe adepte de la secte du bruit organisé et compacté, mais l’habit ne faisant pas le moine, éloignons nous du couvent pour nous rapprocher de la congrégation des PRIMITIVE MAN et consorts.
TORPOR, c’est la torpeur moite, la somnolence dangereuse, l’endormissement propice aux cauchemars les plus atroces et insistants. Une certaine idée de la pesanteur la plus étouffante, mais aussi des silences les plus inquiétants. Il faut souligner que le trio n’en est pas à son coup d’essai, puisque Abscission est déjà son troisième effort, après dix ans d’existence.
Précédé de From Nothing Comes Everything (2015) et Rhetoric of the Image (2019), ce nouveau chapitre à la gloire de la lenteur et des séances d’apnée à l’air libre se place comme troisième sur la ligne d’arrivée, et donc, le récepteur le plus important du relais. TORPOR est donc déjà très connu dans les cercles d’initiés. Ses œuvres ont rencontré un écho très favorable chez les fans de Noisy Sludge, de Post Metal et de Doom granuleux, et Abscission va une fois de plus convaincre et sceller une fois pour toutes le destin de ce groupe pour la postérité.
Le son, gigantesque, profite de respirations étranges, à la limite du field recording, et les compositions prennent évidemment leur temps pour infuser le malaise et le mal-être. « Interior Gestures », gros pamphlet de dix minutes joue la franchise en ouverture, mais développe de beaux arguments progressifs, loin du Sludge traumatique le plus assommant.
La beauté au service de la violence la plus sourde. La recette est connue depuis les magnifiques SWANS, mais trouve ici une nouvelle jeunesse via une combinaison de riffs maladifs, et de lignes de chant cathartiques. Aussi Heavy qu’une rencontre entre CATHEDRAL et ISIS, TORPOR nous honore de ses instincts déviants, et nous offre une œuvre sombre, épidermique, et aussi viscérale qu’un cri de désespoir dans la nuit.
Abscission incarne notre dialogue collectif, de rupture et de renouveau.
Une fois encore, les trois musiciens (Lauren Mason - basse/chœurs, Simon Mason - batterie/chœurs et Jon Taylor - guitare/chant, soit un line-up inchangé en dix ans) se servent de leurs expériences personnelles pour communiquer avec leur public. Le deuil, la perte, la disparition, mais aussi la méditation la contemplation, et un voyage psychologique à la recherche de réponses ou de non-dits, pour un album difficile d’accès, qui semble utiliser les éléments les plus abrasifs des styles qu’il aborde.
On pense évidemment à une batterie de références, SUMAC, THOU, NEUROSIS, CULT OF LUNA, WREN et d’autres plus ou moins évidentes, mais la spécificité de cet orchestre de tombe qui se définit lui-même comme étant du « Sludge existentiel » reste cette alternance intelligente entre émotions et ressenti. Nous évoluons donc dans un monde onirique assez tétanisant, enchaînant les parties sombres aux accalmies éthérées, imbriquant la suffocation d’un Sludge nauséeux et les respirations d’un Post-Doom malheureux, pour créer un univers propre à l’auto-analyse des névroses qui bouffent la vie, et grignotent l’espoir petit bout par petit bout.
La linéarité, indispensable à ce genre de réalisation extrême est bien présente, puisque les titres affichent tous la même humeur bipolaire. Car même « Carbon », seul interlude de moins de quatre minutes évite les facilités Ambient pour mieux nous écraser d’une puissance à faire perdre ses dents de lait à GNAW THEIR TONGUES.
Tout ceci est donc très concret, mais aussi très, très laid. Aucune image lumineuse à laquelle se raccrocher, aucun instant de complicité évoquant une éventuelle humanité retrouvée, le désespoir reste maître en ses lieux, et la nuit traversée ressemble à un paysage de désolation en pleine époque troublée.
Comme un caillou provoquant des ricochets dans l’eau pour finalement mourir d’une noyade logique, Abscission répète les mêmes mouvements, pour constater un résultat inévitable et logique. Celui d’une pierre qui rebondit de plans ignobles en idées nauséabondes, pour finalement heurter la tête d’un pauvre hère perdu là par le hasard d’une vie ratée.
Relativement peu joyeux, mais admirable dans l’obsession, Abscission vous ampute de quelques illusions, pour vous entraîner sur le chemin de la rédemption. Mais je me demande toutefois quelle rédemption les TORPOR peuvent espérer. A savoir s’ils en espèrent une, ou s’ils souhaitent au contraire s’enfoncer de plus en plus profondément dans la boue de l’inhumanité, pour en ressortir tel un Golem satisfait de voir que le monde a finalement accepté son sort.
Antidépresseurs conseillés, et lumière allumée pour ne pas voir les monstres cachés dans le noir.
Titres de l’album:
01. Interior Gestures
02. As Shadow Follows Body
03. Accidie
04. Carbon
05. Island of Abandonment
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