Si on m’avait dit en 1985 lorsque j’écoutais le vinyle de Power of the Universe, que je me retrouverai trente-cinq ans plus tard, face à mon clavier, pour chroniquer un nouvel album de NIGHTMARE, j’aurais doucement ri sous cape. En effet, alors âgé de quatorze ans, mes goûts s’orientaient déjà vers un extrême dont les grenoblois ne faisaient pas partie, et si la musique de ce LP était sympathique, sa production erratique et ses envolées Heavy lyriques ne faisaient déjà plus partie de mon lexique. Pourtant, je suis là, en 2020, à chroniquer le onzième album d’un groupe dont je n’étais pas vraiment fan lors de sa première période d’activité, et qui ne ressemble plus en rien au quintet d’origine. Il faut dire que bien des choses se sont passées depuis sa création en 1979, et plus de quatre décennies plus tard, seul l’indéboulonnable bassiste Yves Campion reste le témoin d’une lointaine époque depuis longtemps révolue, accroché à ses quatre cordes et à sa créativité pour garder son groupe à flot, ce qu’il parvient à faire avec beaucoup de panache, et de flair au moment de choisir ses compagnons de route. Depuis Dead Sun, dont j’avais dit le plus grand bien il y a quatre ans, encore deux changements de line-up, avec l’arrivée en 2018 du batteur Niels Quiais, et surtout, le remplacement de Maggy Luyten - qui n’aura chanté qu’un seul été - par Marianne Dien aka Madie, vocaliste au sein des FAITH IN AGONY, censée apporter un coup de fouet à la musique composée par Yves. Encore une fois, nouveau chanteur, nouveau batteur, mais la direction musicale elle ne change pas, évoluant toujours sur la fine limite séparant le Heavy Metal du Power Metal, proposant une sorte de crossover ultra puissant qui donne une image flatteuse du groupe.
Toujours hébergé par l’imposant allemand AFM, NIGHTMARE continue donc son parcours, durcissant souvent le ton pour se mettre à la hauteur des cadors européens. Mixé et masterisé au Domination Studio de Simone Mularoni en Italie, Aeternam cherche donc l’éternité dans son propos, et table sur une formation rafraîchie pour faire preuve d’un opportunisme bien vu, et titiller la corde sensible des amateurs de Heavy musclé à la lisière d’un Thrash parfois salement renforcé. C’est bien vu, et comment reprocher à Yves et ses deux fidèles guitaristes Franck Milleliri et Matt Asselberghs de vouloir rester ancré dans leur époque, proposant parfois des morceaux parmi les plus violents du répertoire du groupe. C’est ce que l’on constate en écoutant le terrassant « Downfall Of A Tyrant », qui ne dépareillerait pas sur un album de PRIMAL FEAR, avec ses cassures violentes et son agencement mélodique très intelligent. Niveau progression depuis Dead Sun, outre ce renforcement des muscles, on note l’amalgame d’un timbre féminin parfaitement adapté aux compositions, Madie n’en faisant jamais trop et ne cherchant pas à nous impressionner d’un vibrato excessif ou de montées dans les aigus risquées. C’est donc une formation au rendu homogène qui se présente à nous, et autant dire que le résultat s’en ressent. Evidemment, en cherchant la puissance et en s’appuyant sur une production moderne, le groupe a pris le risque de redevenir anonyme dans la masse, se standardisant à outrance (le son de l’album est très générique et pourrait être associé à n’importe quel groupe contemporain du créneau avec un minimum de moyens). Mais heureusement pour Yves et les autres, une poignée de compositions plus nuancées permettent d’éviter l’anonymat, dont ce superbe « Crystal Lake », qui loin des massacres de Jason Voorhees, propose une balade nostalgique dans un parc Heavy Metal qui n’a rien oublié des années 80.
Inattaquable dans la forme, Aeternam est plus discutable dans le fond, qui se contente souvent de revisiter le répertoire Heavy des eighties et nineties avec plus de modernité, et l’ajout d’arrangements synthétiques qui accentuent le dramatisme de l’opération. Mais il est très difficile de ne pas se montrer admiratif d’un musicien qui y croit depuis la fin des années 70, et qui est toujours capable quarante ans après de s’adapter à l’air du temps sans trahir ses convictions d’origine. Certes, la musique de NIGHTMARE est beaucoup moins reconnaissable en 2020 qu’elle ne l’était en 1985, mais c’est le prix à payer, celui du professionnalisme et du modernisme. Et si « Temple Of Acheron » entame les débats avec une puissance à décorner ADX, batterie en mitraille et guitares qui saccadent comme des AK-47, « Divine Nemesis » nous ramène vite dans le giron d’un Heavy Power Metal de première catégorie, joué par des pros qui n’ignorent pas qu’un refrain fédérateur est un élément de succès public obligatoire. On peut immédiatement souligner un son de batterie très aseptisé, aux graves trop prononcés, un chant un peu noyé dans les effets parfois et un peu trop en retrait dans le carnage ambiant, mais avec deux guitaristes affutés comme des feuilles de boucher et une grosse basse qui lie le tout, le mélange est probant, à défaut d’être étonnant. Conscient de jouer une carte importante - 2020 a été d’une production dense au vu de l’impossibilité des groupes de tourner - NIGHTMARE a fait le tri dans ses compositions pour ne proposer que le fin du bourrin, et si parfois, l’inspiration marque le pas pour retomber dans le classicisme excessif du Heavy, elle impose en première partie d’album les chansons les plus dures et séduisantes (« The Passenger »).
Madie, très à l’aise, et sans savoir quel sera son avenir au sein du groupe livre une prestation sans fautes, tandis que le nouveau cogneur Niels Quiais s’en donne à cœur joie sur les inserts les plus violents. Mais l’homme est capable de soutenir un mid tempo plus accessible, donnant de la baguette pour solidifier le classique « Lights On », qui rappelle un peu les débuts du groupe, tandis que « Aeternam » prête allégeance au Thrash le plus puissant, avec blasts à la clé et intro dynamitée. Bodybuildé, le quintet exhibe donc son nouveau corps travaillé, et n’a aucune honte à s’afficher avec la physionomie d’un jeune groupe fraichement formé. Un groupe très à l’aise avec son répertoire, qui s’il n’a pas foncièrement traqué l’originalité a méchamment travaillé son formalisme pour le rendre hermétique à toute critique, même si parfois, cette dernière ne manquera pas de faire remarquer quelques redites un peu malheureuses (« Under The Ice », avec toutefois un riff très SLAYER assez surprenant).
Et comme si Yves souhaitait nous laisser sur une impression de puissance, l’album se termine par un titre en trompe l’œil, dont l’intitulé suggère une ballade (« Anneliese »), mais qui n’est finalement rien d’autre qu’une dernière démonstration Power Metal avec voix bien grave en support de Madie, celle du guest Mick de DESTINITY. Alors, se retrouver en 2020 face à NIGHTMARE ne fait pas la même impression que de l’avoir côtoyé en 1985. Et si le groupe avait proposé cette musique à l’époque, j’en aurais certainement fait l’un de mes groupes fétiches, mais l’histoire étant déjà ce qu’elle est, je préfère ne pas avoir oublié le groupe aujourd’hui pour pouvoir apprécier des albums de la trempe d’Aeternam.
Titres de l’album:
01. Temple Of Acheron
02. Divine Nemesis
03. The Passenger
04. Downfall Of A Tyrant
05. Crystal Lake
06. Lights On
07. Aeternam
08. Under The Ice
09. Black September
10. Anneliese
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