Après trois formats moyens sortis la même année (dont un concentré sur les bonus du premier tome), NARZISSUS ose enfin sortir du cadre pour s’exprimer en longue-durée. NARZISSUS, aka Narziss aka Erech Leleth aka Malte Laslo Katthagen est un personnage central de l’underground viennois, ce que confirme son CV étalé sans aucune prétention (ANCIENT MASTERY, BERGFRIED, CARATHIS, DER TOTEN LEBEND SCHEIN, GOLDEN BLOOD, GRANDEUR, SUMMER HAZE '99, ORDER OF ISTAR, HAUNTED PALACE). Omnipotent et expansif, le musicien autrichien se propose donc aujourd’hui de poursuivre son histoire entamée en 2020 par Akt I: Wille sur cet Akt III: Erlösung, concentré de complexité et de singularité, dans la plus pure tradition centre européenne.
NARZISSUS pousse les meubles, et danse dans ce grand salon qu’on imagine rongé par le temps, mais dont les voilures et tissus, les ors et les ivoires témoignent d’un faste passé que personne n’a oublié. Un genre de clin d’œil à la grande tradition autrichienne, ses princesses, ses sujets, et ses fêtes données pour n’importe quelle raison.
Mais en 2024, les fêtes sont solitaires, ou fréquentées par des fantômes nostalgiques d’une grandeur décadente appartenant au passé.
NARZISSUS évoque cette vague roulante d’artistes affranchis des codes les plus formels du Black Metal. Refusant la cacophonie et l’atonalité, les dissonances ou les stances discordantes, le mystérieux musicien préfère confronter un Metal plus généraliste et accrocheur à des colères intenses, tout en se montrant allusif à tout un pan de la culture musicale mondiale. Ainsi, les morceaux sont parsemés d’idées incongrues, parfois hispaniques dans le jeu de cordes, parfois slaves dans les mélodies, mais toujours bien amenées et intégrées.
Et Dieu sait s’il est complexe de se vouloir aussi hétéroclite. On tombe souvent dans le bric-à-brac mal rangé, le vide-grenier cheap ou la brocante de campagne, mais le talent de NARZISSUS lui permet justement d’éviter ce genre de fête de patronage un peu populo, en se concentrant sur les aspects les plus abrasifs de sa musique. D’autant que le musicien ne tarde pas à affirmer sa singularité, dès les premières harmonies de « Empor zum Ideal ». Si ce premier titre fait montre d’une prise de contact souple et prudente, il ne tarde pas à poser les jalons d’une philosophie ouverte, entre froideur norvégienne et rigueur allemande.
Mais c’est évidemment « Erlösung » qui s’impose comme première grande étape d’un disque assez court pour son créneau. S’inspirant de ce que le Thrash a pu proposer de plus saccadé, piochant dans le réservoir de pluie d’un Death mélodique à la suédoise, reconnaissant le legs d’un DISSECTION, tout en s’intéressant de près à la vague expérimentale des KRALLICE et autre DØDHEIMSGARD. C’est ainsi qu’une voix féminine omniprésente apporte une touche de pureté à ce fiel de ses vocalises éthérées et désincarnées. Mais les arrangements ne sont pas la seule richesse d’un album qui ose souvent interrompre son allant de positions plus mesurées.
Aussi mélodique qu’il n’est agressif, Akt III: Erlösung prouve s’il en était besoin que le Black Metal de classe internationale s’arrange parfaitement d’un line-up restreint. Seul à la barre de son propre navire, NARZISSUS accomplit une véritable prouesse, fricotant avec l’originalité sans perdre de vue la cohérence artistique. Là où de nombreux autres groupes se perdent à force de ne pas vouloir suivre le même cap que les autres, NARZISSUS ne s’embarrasse pas d’idées superflues, et préfère se concentrer sur les aspects les plus Folk d’un Black Metal libre, nous offrant même un sublime épilogue de plus de dix minutes.
« Der Größte Lohn » suggère quelques pensées émues envoyées aux MIRANDA SEX GARDEN, une fascination raisonnable pour le catalogue 4AD, mais aussi une admiration pour la quiétude d’un Shoegaze de l’orée des années 90. Cet énorme pamphlet se veut le miroir de « Erlösung », et développe peu ou prou les mêmes arguments, gardant cette franchise rythmique sous le coude pour soutenir une base Heavy Metal et Folk Metal.
Un son ample, des instruments qui respirent et qui évitent les facilités expérimentales d’usage, pour un disque plus original que vraiment avant-gardiste. Une belle prouesse tant il est facile de sombrer dans le figuratif sans explication, en justifiant ses idées tordues par un libre-arbitre irréfutable. NARZISSUS préfère se distinguer par la qualité de ses compositions, et y parvient sans problème.
Un disque rare et précieux, qui s’apprécie sur la durée, et qui prouve une fois encore que le BM reste toujours en alerte pour ne pas se noyer dans ses obsessions les plus crues.
Titres de l’album:
01. Empor zum Ideal
02. Erlösung
03. Vanitas/Victoria
04. Im Glanze Baden
05. Der Größte Lohn
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