Un peu de brutalité dans ce monde de tendresse, parce que vous n’alliez quand même pas croire que j’allais vous laisser en toute quiétude traverser ce long week-end sans vous abrutir les oreilles avec une dose homéopathique de Grind ? Si tel est le cas, je suis fort aise de vous contredire et de contrecarrer vos plans paisibles, puisqu’en ce samedi matin, jour de marché s’il en est, je suis allé faire le mien en Slovaquie, histoire de vous ramener un bon kilo de méchanceté sonore et de hurlements à la mort. Et soyez comblés, puisque je ne me suis pas moqué de vous en traitant du cas d’une légende locale, qui se complait depuis la fin des années 80 dans la pratique d’un Grind de tradition qui se décline aujourd’hui en mode compilation. Du moins, c’est ce que le titre du nouvel album des ABORTION laisse paraître, puisqu’il est étalé sur deux années, et qu’il en a mis une à trouver preneur et distributeur. S’apprêtant à fêter ses vingt années d’existence, ce trio de démence (Anton "Lepra" Varga - basse/chant, Libor "Bibo" Hanulay - guitares, et Miro Raučina - batterie) nous offre donc son nouveau longue-durée, qui ne vient en rien contredire leurs préceptes précédents, en se concentrant sur une forme très véhémente de brutalité underground. Disposant d’un solide bagage discographique d’une bonne trentaine d’entrées, les trois slovaques peuvent donc se reposer sur sept LP, une bonne fournée de splits, quelques compilations et autres démos, ce qui en fait donc l’un des groupes les plus productifs du pays, qui ne semble d’ailleurs pas vraiment enclin à ralentir la cadence.
Et en termes de cadence, les trois lascars en connaissent un rayon. Ayant toutefois le goût de ne jamais sombrer dans le chaos fatigant du Grind à tendance Gore ou Porn ou Cyber, les malandrins manipulent les riffs comme à la parade et privilégient une analogie de circonstance, qui place en avant une énorme basse ronflante, et un chant sourd et sombre qui enfonce encore plus des morceaux déjà bien empêtrés dans le marigot du Thrashcore à tendance Grind. Difficile toutefois de rapprocher leur barouf de références trop précises, puisqu’eux-mêmes se revendiquent d’un éventail reliant Afric SIMONE à NAKED CITY, histoire de nous compliquer la tâche et de la rendre encore plus drôle. Et c’est bien la bonne humeur qui prédomine tout au long de cet imparable All You Need Is Hate (2017-2018), qui contredit Lennon pour mieux affoler les nonnes, et qui dévaste tout sur son passage en prenant grand soin de garder une certaine complicité avec la musicalité. Très typique d’un Grind de l’est qui privilégie la sècheresse initiale à la profondeur, ce nouvel effort ne ménage pas les siens pour nous convaincre de la pertinence de sa démarche bordélique, et s’en tient à des principes de sauvagerie séculaire pour parvenir à ses fins, et nous ébouriffer de ses rythmiques éclatantes et de ses riffs percutants. Parfois aussi NASUM qu’un ASSUCK puisse l’être, parfois à la lisière d’un Thrashcore vraiment sévère, les déflagrations des slovaques atteignent donc leur but en se concentrant sur une forme très pure de sauvagerie, qu’ils gardent sous contrôle grâce à une pratique instrumentale rodée et éprouvée.
Alors, bien sûr, de temps en temps, on se fait plaisir et on adule le chaos comme on recule le frigo, mais ces accès de rage sont très souvent tempérés par des manipulations assez intelligentes des codes, menant même parfois à des appropriations plutôt incongrues (« Grand Hotel Alepo », cover de SODOM semble-t-il. Hum…On dirait bien une version très concentrée et tronquée de « Ausgebombt » plutôt, mais bon…), mais surtout à une abondance de riffs accrocheurs, un peu Crossover, mais toujours à l’heure, ce qui permet à All You Need Is Hate (2017-2018) de rester frais et de ne jamais lasser. Bien loin des ANAL CUNT et autres pourfendeurs de sérieux qui confondent private joke et boutade de qualité, les ABORTION s’essaient même à l’exercice du Hardcore blasé (« To Be Less Than Mean », épais, mais bien plombé par un chant monocorde désabusé), et si les titres ne dépassent évidemment presque jamais les deux minutes (à l’exception de celui susmentionné et du plutôt rigolo « Shit », qui laisse des traces Core au fond du trip), « Last », épilogue inévitable se permet quant à lui de refermer cette parenthèse en prenant son temps. Dans la plus pure veine des stridence NAPALMisantes et des déformations dissonantes de BRUTAL TRUTH, ce dernier morceau nous permet d’apprécier une certaine lourdeur de ton et d’industrialisation de fond, histoire de bien coller à la réalité d’un style qui aime bien refermer la porte en étirant ses mouvements. Mais au-delà de ce conformisme d’apparence, ce nouvel album du trio de Nitra joue bien avec la nitro, histoire de mériter son sale air de zappeur, sans tomber dans le respect trop figé, mais sans non plus prendre trop de libertés. Un album de Grind qui pourrait rythmer votre fin de semaine, à moins que le sempiternel barbecue chipos/merguez/ventrèche ne vous phagocyte un peu trop.
Titres de l’album:
1.Keep Calm Citizen
2.Alone
3.I´m Not You
4.You´re Lying
5.Tried
6.Sausage Is For Free
7.Everything Is Alright
8.Kebab Nazi
9.Poison Me
10.Shit
11.Grand Hotel Alepo (Sodom cover)
12.To Be Less That Mean
13.Syphilis Of Soul
14.Don´t Die For the Others
15.Time Has Changed
16.Just War
17.Primitive Consume Psalm
18.Goals, Points, Drugs
19.Metal Stars, Money Wars
20.Last
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