« Comme Dylan, Springsteen, ou Tom Waits, les HUNTSMEN perpétuent la tradition américaine de raconter des histoires en musique. Ils le font juste avec un volume plus élevé, et avec une approche plus…metallique ».
Les conteurs sont les baladins musicaux du vingtième siècle. On le sait, l’Amérique des cols bleus a toujours aimé raconter sa propre histoire au travers de chansons dénonçant l’autre Amérique, celle des cols blancs, cette nation bâtie sur la domination, l'oppression, mais aussi celle des grands espaces, de la liberté, et des possibilités infinies. Il est vrai que Dylan s’en est fait une spécialité, et que Bruce, John Cougar, Jackson Browne et tant d’autres ont écrit le roman d’un assemblage d’états disparates, fondant en fondu un ensemble de légendes pas toujours glorieuses, mais réellement authentiques. Cette tradition séculaire se fonde sur un rapport amour/haine des coutumes, et d’un mode de vie, ce fameux american way of life si bien vendu par l’industrie du tabac, mais aussi par les Kerouac, les Mailer, et tous ceux qui ont arpenté les routes de leur propre destin, projetant leurs desseins sur ceux d’un peuple parfois laissé à l’abandon, sacrifiés d’un mythe du self-made-man dans lequel ils ne se reconnaissaient plus. Il serait facile de réduire ça à quelques épisodes historiques, qu’on se raconte de père en fils autour d’un barbecue, mais j’aime cette image dominicale de paix temporaire…Qu’en est-il de sa version Metal en 2018 ? A-t-elle une pertinence quelconque en termes littéraires et artistiques ? Peut-on chanter les non-louanges de son pays en réglant ses amplis au maximum, et en se revendiquant de deux genres aussi antagonistes qu’une loi débattue entre républicains et démocrates ? Visiblement oui, et c’est en tout cas ce que veulent prouver les originaires de Chicago, Illinois, ces HUNTSMEN qui avec American Scrap nous offrent leur premier longue-durée sous la forme d’un scrapbook musical hétéroclite, mélangeant des photos variées, qui une fois assemblées, forment une carte qui se veut objective et honnête de l’Amérique du vingt-et-unième siècle…
Doom et Post-Metal, et en soi, la confrontation la plus improbable de l’extrême et de l’underground, qui s’incarne autour de la dualité lourdeur/harmonie, de l’opposition crudité/subtilité. On sait les deux genres radicalement éloignés, et difficilement juxtaposables, pourtant, ce premier LP nous démontre que les opposés s’attirent, et se complètent miraculeusement. Mais ces garçons-là ont déjà fait leurs armes en amont, via deux EP remarqués, Post War en 2014 et The Colonel en 2016. Il était donc largement temps de viser une narration plus en longueur, ce qui est aujourd’hui fait via les huit pistes et quarante minutes de cet American Scrap, baignant dans une lumière aveuglante, mais nous plongeant dans les ténèbres d’un Post Doom à tendance Sludge, qui finalement s’accorde très bien de la posture de narrateur à laquelle les musiciens tiennent tant. Difficile évidemment pour des non-anglophones de saisir l’essence même du propos, mais en se focalisant sur la musique seule, on peut saisir toutes les contradictions d’un pays qui se veut chantre de la liberté, et qui la piétine allègrement de sa soumission au lobby des armes et autres intérêts pas vraiment nationaux. Alors, que faire d’un disque inclassable qui utilise les codes du Post Metal pour les percuter d’une violence sourde héritée du Doom et plus particulièrement d’une forme larvée de Stoner/Sludge ? L’écouter, et l’apprécier pour ce qu’il est, comme la rencontre improbable entre des BARONESS pas encore certains de la direction à suivre, et d’une mouture assez embryonnaire des DISCRETS, avalant du bitume en duo, et admirant les paysages environnant pour remplir un carnet de route constitué d’humeurs, de réflexions sur le manque d’humanité d’une époque repliée sur elle-même, mais regardant vers un avenir encore flou. Aussi apaisé qu’il n’est en colère, aussi névrotique qu’il n’est résigné, aussi zen qu’il n’est tendu, ce premier LP est un concentré d’idées, de tendances, mais surtout un écrin fabuleux pour une musique riche et transcendante, qui utilise toutes les ficelles rythmiques et mélodiques pour parvenir à ses fins.
On peut penser à une version plus posée venant d’outre-Atlantique de nos HYPNO5E, ou à une vision soudaine d’une Amérique vouée à sa perte, et qui chercherait dans le métissage sa planche de salut. Mais en se basant sur les textes et prévisions des HUNTSMEN, il est difficile de croire en une « renaissance de la nation », d’autant plus que leur progression n’augure rien de bon. Du Doom, ils ont gardé la pression et les riffs charnus, la violence sourde et le manque d’illusion. Du Post Metal, ils ont embrassé les possibilités, et l’absence de cadre, les harmonies qui s’envolent comme des rêves mort-nés, et ces images qu’on n’encadre pas pour les laisser exprimer leur sens en toute quiétude. Les deux genres partageant cette absence de limitation temporelle, leur combinaison ne présente pas de problème particulier en termes de durée. Alors, les musiciens jouent leur va-tout, et offrent une sorte de concept-album contemporain, qui pourtant pourrait trouver racine à n’importe quelle époque. Ils reprennent à leur compte le vocable infini des guitares Post, pour mieux les brider soudainement d’une pulsion Sludge qui pousse à réfléchir. Et dès « Pyre », le chemin est pavé, pas forcément difficile à suivre, mais avec des étapes plus ou moins impulsives, répondant à un besoin d’ailleurs. Ce besoin s’incarne autour d’arpèges doucereux, de couches vocales superposées suggérant une paix de l’âme, et d’un durcissement du ton méchamment bien amené, comme un ciel dégagé se retrouvant soudainement noir comme un futur mal dessiné. On pense à ce moment-là à un Sludge abordable, payant son tribut au Sabbath de « War Pigs », ou une sorte de Stoner psychédélique qui aurait parfaitement convenu à Thimothy Leary, en route vers une autre dimension, que ses suiveurs n’allaient pas tarder à rejoindre, certains définitivement d’ailleurs…
Plus prosaïquement constitué de longues suites et d’intermèdes beaucoup plus brefs, American Scrap nous rappelle nos propres MALLORY, qui eux aussi aiment narrer des histoires, plus fictives bien sûr, mais tout aussi nuancées et attachantes. Et « Canary King » de se vouloir tout aussi Post Grunge que Post Rock, avec toujours ce feedback en arrière-plan qui enfume la voiture, et ces voix qui s’entremêlement en voulant raconter la même histoire. Du Rock aussi gras que des ribs qui suintent au-dessus de la grille du barbecue, mais à la graisse qui se transforme en énergie du désespoir, sous forme de cocottes de guitare claire en écho. Et si « Atlantic City » trouve un éclairage plus blafard sous la direction du groupe, ses vices sont admirablement bien décrits par un tourbillon rythmique s’aplatissant soudainement d’une énorme distorsion très honnête. La voix se fait plus grave, plus posée, mais les cassures, la mouvance, les stridences se disputant la part du lion avec les nappes éthérées, décrivent avec pertinence un monde à l’agonie, dans lequel l’argent a depuis longtemps remplacé les valeurs. Il n’est d’ailleurs pas vraiment surprenant de retrouver en arrivée/liberté un morceau aussi apaisant que « The Last President », qui ne peut une fois encore s’empêcher de laisser sa colère Sludge s’exprimer pour incarner un constat aussi effrayant qu’inéluctable…en prévision.
« The last American President gives a final TV address to the nation then has a nice dinner with her family before euthanizing them & hanging herself before the bombs fall »
Ce président aurait pu être Hillary, mais sera peut-être une autre, certainement même. D’ici là, l’Amérique sera peut-être morte avec ses rêves d’autrefois, ou plus grande encore que la Babylone qu’elle a toujours incarné. Et elle trouvera toujours des groupes comme les HUNTSMEN pour raconter son histoire. Une histoire chaotique, humaine, erratique, dont personne ne peut vraiment reconstituer le puzzle sans avoir à réfléchir à sa propre condition.
Titres de l'album:
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21/11/2024, 08:46
Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
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J'avais pas vu cette chronique. J'étais au soir avec Ulcerate et je n'ai pas du tout regretté...Le lieu : il y a forcément un charme particulier à voir ce genre de concert dans une église, surtout que le bâtimen(...)
15/11/2024, 09:51
Le who's who des tueurs en série. Un plus gros budget pour l'artwork que pour le clip, assurément. (...)
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