La musique, comme tout art est une forme d’expression, mais aussi une affaire de ressenti. Peu importe qu’un artiste ne fasse pas partie de votre univers, pour peu qu’il exprime des sentiments qui vous touchent, des émotions qui vous impliquent. Le but du jeu justement, répond au simple principe de l’ouverture sur un monde qui n’est pas forcément le vôtre, pour constater qu’il est beaucoup plus vaste que vous ne l’imaginiez, et que certaines personnes ressentent la même colère, les mêmes peurs, les mêmes envies. Ainsi, celui de ROOM ME, aka Anne-Sophie REMY en est un résolument à part, en convergence de multiples univers, que la musicienne aime à fondre dans un même creuset d’inspiration, ce que démontre sans ambages ni précaution particulière son premier longue durée, l’envoutant Anaon. Forte d’une expérience riche, la messine a d’abord accumulé les EP, osant même les projets annexes incongrus, en compagnie de Jérôme Colombelli, au sein du surprenant GOD’S EMPIRE. Elle se jette aujourd’hui à corps perdu dans le bain de l’exercice personnel en version longue, et nous offre l’un des albums les plus noirs, les plus nuancés et les plus personnels qui soient, sans pour autant renouveler de fond en comble ses options. Nous aurions beau jeu de tomber dans les sempiternelles comparaisons auxquelles l’artiste a eu droit depuis ses débuts, de cette influence P.J Harvey qui n’a plus forcément lieu d’être aujourd’hui, ou cette analogie semblant évidente avec l’occultisme introspectif d’une CHELSEA WOLFE, mais autant l’admettre tout de suite, Anaon n’est rien d’autre qu’un petit fragment de temps et d’imagination dont Anne-Sophie est la seule responsable, au regard de son propre passé, de son présent, et de son hypothétique avenir. Et disons-le, ce voyage aux allures de partance pour un au-delà intérieur à des airs de road-trip intimiste qui se terre dans l’obscurité pour mieux s’enivrer de la lumière blafarde de néons fatigués…
Ce road-trip pourrait sinuer sur les routes d’une Amérique perdue, tant les accents musicaux en portent le lourd héritage, mais il pourrait tout aussi bien tracer sa voie n’importe où dans le monde. Impossible de situer dans l’espace et le temps les dédales de ces compositions pourtant homogènes, qui racontent des histoires complétives, et qui pourtant laissent traîner des indices disparates. Une sorte d’enquête de style et un travail du même calibre, pour des mélodies étranges, des nappes vocales lointaines, et des arrangements obscurs, qui tamisent le soleil pour lui faire épouser la lune. Et dès « The Encounter », ROOM ME évite la facilité d’une continuité logique pour dévier de sa trajectoire sans trahir son crédo. Et c’est beau, aussi beau que ça n’est désespérant d’un certain côté, malgré la dose d’espoir qui semble émaner de cette résignation. Ne confondons pas fiction et réalité, bien que les deux se mélangent dans cet assemblage pénétrant de Rock assumé et de Post crépusculaire. Les thèmes y sont usuels, la mort, la fin, l’amour, la haine, tout ce qui constitue les fondements d’une vie qu’on passe à en chercher le sens, en vain, jusqu’à trouver le sien. Et sur ce premier LP, Anne-Sophie nous offre les bases de sa philosophie artistique, qui refuse justement d’être cantonnée à une théorie particulière. Elle peut tout aussi bien se satisfaire d’un background aux limites de l’Electro (« Love And Hate », TRICKY rencontre Peter Steele dans une pharmacie pour renouveler leurs ordonnances de Prozac respectives), que d’une assise acoustique faussement fragile (« My Death »), pour formaliser sa vision d’un destin placé sous l’égide de la fragilité et de la force. Et le spectacle est magnifique, d’autant plus que l’interprète s’y livre corps et âme et se veut aussi exhibitionniste que pudique.
Enquête sur une artiste pas forcément au-dessus de tout soupçon, Anaon (du breton qui désigne le royaume des morts et leurs âmes qui y planent) va au-delà de la mort justement, pour y trouver l’essence de la vie, pour établir un équilibre entre espoirs déçus et douleurs tangibles, admettant parfois la subtilité d’une souffrance tapie à la table d’un mariage sans invités, partis, et qui ne dansent plus (« Death Smiles and Dances are Gone »), et la délicatesse de draps propres sous lesquels l’âme se cache pour se reposer des efforts (« Under The Sheets », demi instrumental aux allures de Folk électrique apaisé). Les draps d’un lit trônant au milieu d’une chambre qu’on imagine aux murs suintants de mémoire, qui se souviennent des écho des guitares du VELVET, des SONIC YOUTH et des volutes de piano des MIRANDA SEX GARDEN (« Wandering Shadow »), et qui finalement, se passent très bien de photos qu’on n’y accroche pas de peur de fixer le passé sur un présent qui ne demande qu’à évoluer. La voix d’Anne-Sophie est devenue impressionnante de maîtrise, avec ces modulations parfaitement en phase, et ces multiples couches qui se veulent presque oniriques et désincarnées, mais qui ne font que renforcer l’attirance qu’on éprouve pour une artiste aussi évanescente que concrète. C’est à cause de ça, mais de ci aussi qu’on ne parle pas de style quand on évoque Anaon, puisque le sien est insaisissable, et probablement trop personnel pour être nommé. Et c’est sans doute aussi pour ça que l’album se termine par une déclaration d’intention hypnotique, entonnée à deux en compagnie de Jean-Claude Vandoom des lyonnais CULT OF OCCULT, chantres d’un Doom compressé et étouffant. Ce long morceau, embrassant les dogmes d’un proto Sludge pénétrant et mystérieux profite de l’osmose entre les deux timbres de voix, pour opposer la lourdeur et la légèreté, la suffocation et les respirations, et confère une patine encore plus dramatique à ce disque unique qui offre une porte de sortie à la DENIGRATA en version épurée, ou une issue de secours à la CHELSEA WOLFE, ne menant pas pour une fois vers un maniérisme de surface, mais bien vers un expressionisme terriblement personnel.
Je pourrais d’ailleurs me servir de cette ultime référence pour rattacher le disque à notre propre univers, nous autres, fans de distorsion et de pulsions amplifiées, mais je ne me permettrai pas une telle vulgarisation à des fins de logique rhétorique tordue. Car Anaon est un disque trop attaché à sa propre nature pour se laisser amadouer par une caractérisation facile, et le rattacher à un wagon distancié particulier reviendrait à le regarder flétrir de ne plus pouvoir respirer l’air qui lui est nécessaire. Je l’accepte en tant que tel, et assume la possibilité d’un rejet, mais après tout, il n’est pas dit que ROOM ME/Anne-Sophie REMY a voulu séduire les masses en composant telle œuvre. Elle continue en tout cas son chemin sans se soucier de celui qu’on aimerait lui tracer, et assimile ses influences antérieures pour en chercher de nouvelles, qui lui sont de plus en plus propres. Un premier album qui laisse une trace durable, film pour des oreilles rompues à l’exercice de la tolérance, de la souffrance, mais aussi de l’acceptation que la musique, et l’art par extension, sont des formes d’expression qui résultent du ressenti, et non de l’analyse, CQFD. Et n’étant pas psychanalyste, je n’aurais la prétention de sonder l’esprit d’une musicienne qui échappe à toute étiquette. Mais qui en tant que compositrice et interprète, vient de signer un joli manifeste de faux Rock sombre aux éclats éblouissants.
Titres de l'album:
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