DARKENHÖLD nous a encore fait patienter trois ans avant de revenir sur le devant de la scène, si l’on met de côté le split paru l’année dernière et enregistré avec GRIFFON. Il est d’ailleurs amusant de constater que les deux groupes ont préparé leur retour la même année, avec des albums d’une grande qualité. Pour autant, inutile de les juger en parallèle, leur optique n’ayant que peu de points communs, si ce n’est évidemment un goût générique pour l’extrême. Nous fêtons donc en 2020 le cinquième album de la formation niçoise, qui après A Passage to the Towers en 2010, Echoes from the Stone Keeper en 2012, Castellum en 2014 et Memoria Sylvarum en 2017 nous en revient les bras chargés de violence instrumentale et de délicatesse mélodique, tentant d’équilibrer la balance pour que les deux éléments soient en fusion, bien que le BM soit toujours la composante la plus importante de leur musique. Pas grand changement à noter dans l’attitude du groupe, qui reste fidèle à sa recette, et qui continue d’explorer les frontières et limites d’un concept acceptant la violence et l’harmonie comme seules voies d’expression. C’est ainsi que l’art du groupe consiste toujours à superposer des passages d’une violence rare à la véhémence rauque héritée de BATHORY et des segments plus développés et médium qui acceptent facilement l’intégration de mélodies folkloriques, sans tomber dans la niaiserie ambiante du BM médiéval. En écoutant ce genre d’album, je crains toujours des débordements celtiques/bretons nous anesthésiant d’instrumentation classique, mais dans le cas de DARKENHÖLD, cette crainte n’a pas lieu d’être, même si le maelstrom ambiant est parfois interrompu par de délicates guitares acoustiques. Mais nous avons la preuve via le superbe et tempétueux « Héraldique » que les musiciens sont toujours aussi doués pour intégrer des sonorités externes à leur haine intérieure, et une fois encore, le crossover fonctionne à merveille.
Arcanes & Sortilèges égrène donc ses contes en totale tranquillité, et avec une passion qui fait plaisir aux tympans. Nous retrouvons donc les deux chefs de file du projet, Aldébaran (guitares, basse, synthé, flûte, chants clairs et composition) et Cervantes (chant et textes), soutenus par Aboth (batterie), et autant dire que le partage des tâches entre les deux musiciens est toujours aussi fiable. Avec à peine quarante-cinq minutes de timing, le groupe parvient à dire tout ce qu’il a à dire, et nous entraîne dans une folle sarabande ou la bestialité prend parfois des atours étranges. Ainsi, « Le Bestiaire Fantastique » entame sa course comme du Crust des années 80 ou du Power Metal de la décennie suivante, osant le tempo rapide pour mieux soutenir un chant théâtral et des chœurs en arrière-plan qui confèrent une ambiance gentiment mystique à l’ensemble. Inutile donc de craindre une monotonie d’ensemble, et une répétition maladroite, puisqu’Aldébaran a encore une fois travaillé son canevas pour nous offrir des chapitres dissemblables, répondant toutefois à une logique globale. La tonalité de l’album est donc plutôt positive, loin d’un BM plombé, même si certains morceaux de leur nostalgie réaffirment l’allégeance des deux musiciens pour un art pluriel. Mais avec une intro de la violence de « Oriflamme », pas de doute à avoir sur les intentions des niçois, le Black Metal est toujours leur obsession majeure, même si les éléments Folk sont toujours présents dans les lignes de chant et l’orchestration. Cette prise de contact se propose donc de synthétiser toutes les caractéristiques du groupe, avec ces premières minutes en déluge de blasts, soudainement interrompues par une tonalité médiévale soulignée par un chant presque narré.
Les allergiques au Black épique et d’inspiration moyenâgeuse seront donc inquiets à ce moment-là (bien qu’à la base ce nouvel album ne s’adresse pas forcément à eux), mais ils seront vite rassurés par le cheminement d’Arcanes & Sortilèges qui garde tout du long un cap franc, massif et éminemment violent. Ainsi, « L’Ost de la Forteresse » va chercher dans le BM norvégien des années 90 de quoi alimenter son bestiaire, et nous délivre une adaptation moderne tout à fait crédible des canons en vogue à l’époque. Si les passages les plus abrupts en sont directement hérités, les nombreuses cassures en mid tempo aèrent un peu le tout de leurs arrangements évanescents, et c’est justement cette alternance qui fait la force de cet album, qui continue le travail entrepris depuis les origines tout en le faisant avancer sur la bonne voie. A tel point qu’on ne parle presque plus de « crossover », mais de genre identitaire à part entière, DARKENHÖLD ayant trouvé une approche qui lui convient parfaitement après dix ans d’existence.
Enregistré au Cryptic Studio et au Studio Artmusic, Arcanes & Sortilèges dispose d’une production en parfaite adéquation avec son propos, très sèche pour les guitares (qui se permettent même quelques soli bien sentis, notamment celui développé sur « L’Ost de la Forteresse »), mais offrant à la rythmique une profondeur non négligeable, production qui ne dessert ni les attaques les plus virulentes, ni les segments plus apaisés. Les riffs, encore une fois alignés comme à la parade montrent qu’Aldébaran n’a rien perdu de sa créativité, et se multiplient sur les pistes, sans reproduire les mêmes motifs, ce qui est tout bonnement bluffant. La guitare du leader sait modifier ses licks, tâter de la violence la plus crue et sèche, avant d’opter pour des mélodies distordues jouées avec fermeté pour ne pas sombrer dans les lénifiantes litanies du Folk épique médiéval qui nous ennuie tant. D’ailleurs, Aldébaran n’hésite jamais à se montrer allusif à un Heavy Metal plus classique comme le prouve le très catchy « Incantations », déroulant sur un mid tempo très entrainant, sans pourtant passer pour le proverbial chien dans un jeu de quilles. Et cette facilité à passer d’une humeur à l’autre sans trahir son état d’esprit fait la force de ce cinquième album, qu’on désignera par facilité comme celui de la maturité avancée, et celui ouvrant encore plus de perspectives pour le duo niçois.
Difficile de ne pas se montre fasciné par cette grandiloquence qui n’a rien de symphonique, et qui refuse les effets faciles. Ici, tous les artifices n’en sont pas, et résultent d’une instrumentation naturelle soulignée parfois par des claviers, mais reposant la plupart du temps sur le sacro-saint triptyque guitare/basse/batterie. Et face à cette tempête naturelle, le fan de Black Metal riche et agencé de craquer face aux batailles menées tambour battant par « Le Sanctuaire Embrasé », avant de jurer allégeance lors de l’outro « Dans le Cabinet de l’Archimage ». Un parcours sans tâches pour DARKENHÖLD, et un nouveau chapitre de qualité pour une saga dont on n’est pas près de connaître l’issue.
Titres de l’album:
01. Oriflamme
02. L’Ost de la Forteresse
03. Incantations
04. Mystique de la Vouivre
05. La Tour de l’Alchimiste
06. Héraldique
07. Le Bestiaire Fantastique
08. Le Sanctuaire Embrasé
09. Dans le Cabinet de l’Archimage
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