Je ne vais certainement pas me la jouer expert sur ce coup-là, d’autant plus que l’honnêteté est la base même de cette chronique, que j’aurais pu intituler « reprendre le train en marche ». En effet, j’aborde aujourd’hui le cas d’un groupe que je n’ai pas écouté depuis presque trente ans, et dont j’ignore tout du parcours depuis cette époque. Car pour moi, le vrai RIOT remonte au début des années 80, et la sortie de ce chef d’œuvre impérissable que restera à jamais Fire Down Under, avec sa célébrissime pochette ignoble, et sa musique à la qualité inversement proportionnelle. Mais c’est précisément Thundersteel, l’album du comeback de 1988 qui m’avait complètement converti à la cause des américains, et c’est aussi The Privilege Of Power qui m’avait persuadé que je faisais peut-être fausse route et réaliser que tout ça n’était sans doute qu’un joli accident. Depuis, j’ai ignoré les reformations, les changements de line-up, et complètement occulté des LP comme Nightbreaker, Inishmore, Through The Storm, ou Unleash The Power, si bien que c’est l’esprit vierge de tout préjugé que j’ai abordé l’écoute d’Armor Of Light. J’ai d’abord cherché à comprendre l’ajout de ce V romain auprès du nom du groupe, qui aujourd’hui ne compte plus aucun membre originel, et dont les musiciens les plus fidèles n’ont rejoint le combo qu’en 1986, voire 1989. Les deux seuls instrumentistes pouvant donc se targuer d’un passé illustre au sein de la formation sont donc Don Van Stavern, parti en 1990 puis revenu en 2008, et Mike Flyntz, fidèle au poste depuis la fin des années 80. Aucune implication donc dans la partie la plus légendaire de la carrière de RIOT, et une formation dont les deux tiers des membres évoluent en terrain connu depuis le nouveau siècle. Dès lors, je compris assez vite qu’il était vain d’attendre du quintette des souvenirs qui étaient enterrés depuis longtemps, si ce n’est quelques allusions plus ou moins finaudes au chef-d’œuvre Thundersteel, qui se verra même gratifié dans la version deluxe de cet album d’une relecture, histoire de bien mettre l’emphase sur cette merveilleuse anecdote.
RIOT V donc, depuis la mort du regretté guitariste Mark Reale en 2012, et un nouveau vocaliste, Todd Michael Hall, en poste depuis 2013, qui tente depuis cinq ans de nous persuader qu’il est de la trempe du miraculeux Tony Moore, qui striait de ses interventions suraiguës les morceaux de ce fameux LP historique. LP qui trouve aujourd’hui, trente ans après sa mise sur le marché un écho certain, puisque de ses rythmiques à ses soli, de sa vélocité à ses mélodies, Armor Of Light fait tout pour nous replonger dans le bain incandescent de cette œuvre qui a redéfini les paramètres du Power Metal moderne, le faisant flirter avec le Thrash. Est-ce pour autant que ce devoir de mémoire aboutit à la genèse d’un travail de qualité équivalente ? La question est d’importance, et la réponse un peu plus compliquée qu’il n’y parait. Produit par Chris “The Wizard” Collier (METAL CHURCH, FLOTSAM & JETSAM, SLIPKNOT ou KORN), Armor Of Light est incontestablement l’un des disques de Power Metal des plus performants, qui nous offre une véritable démonstration de savoir-faire dans le style, et qui dispose d’un son à décorner Satan lui-même. Les musiciens se sont tous donnés à fond pour nous faire adhérer à leur cause, et s’il est évident qu’aucun reproche ne saurait être formulé à l’encontre de leur performance individuelle, l’osmose générale donne lieu à quelques récriminations très personnelles. En jugeant des morceaux présentés ici, et en faisant abstraction du passé glorieux du groupe, ce nouvel effort a de quoi faire craquer n’importe quel amateur de sonorités modernes et de puissance à la JUDAS PRIEST/SABATON/PRIMAL FEAR. On y trouve tous les ingrédients nécessaires à l’élaboration d’un album de Pur Heavy/Power Metal, et l’énergie qui s’en dégage est purement phénoménale. Mais en prenant en considération l’historique d’un ensemble qui n’a jamais rien fait comme tout le monde et qui a toujours proposé sa vision au détriment des vogues et modes en cours, le manque d’émotion patent qui condamne ce disque à une écoute polie et respectueuse ne pardonne pas, et relègue le ressenti au second plan, s’effaçant devant un sens de la démonstration qui, s’il force l’admiration, à tendance à faire se flétrir la passion.
En voulant atteindre la perfection, les RIOT V sont tombés dans le piège classique du stérile admirable. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter avec attention sa production, plombée, compressée, et surtout, cette batterie qui fonctionne comme un pattern pro-tool déformant le son de la grosse-caisse pour la faire s’apparenter au barouf d’un marteau-piqueur en pleine séance de perçage de macadam. Si le chant de Todd Michael Hall n’est pas sans rappeler le timbre de certains cadors du style, si les chœurs sont efficaces et toujours placés au timing idoine, si les duels de guitares n’ont rien perdu de l’acuité de l’époque, le tout s’embourbe dans les figures de style, au point de copier les arabesques et autres pirouettes des combos les plus usés à l’exercice du Power ciselé, celui-là même qui les rapproche plus d’un Wagner du Heavy Metal que d’un Verdi. Les morceaux passent, les uns après les autres, et développent les mêmes qualités, mais on cherche en vain le moindre gimmick capable de nous sortir de notre torpeur, fort marri de ne pouvoir formuler aucune critique assassine au regard de la qualité indéniable de l’ensemble. Mais les qualités individuelles et la perfection n’ont jamais été des gages de séduction, et c’est assez indifférent que l’on assiste à une succession de plans homériques, prompts à faire passer les RHAPSODY pour de gentils couseurs de genouillères, et les IRON SAVIOUR pour des artisans à cheval sur l’authenticité de leur art. Pompier, démesuré, agressif mais finalement assez inoffensif, Armor Of Light n’est rien de plus qu’une armure qu’un simple lance-pierre parviendrait à transpercer, et peine à cacher une inspiration de surface qui ne va jamais chercher l’argument qui pourrait nous persuader de son bien-fondé. Alors, certes, quelques morceaux semblent vouloir s’extraire de ce barnum global, comme « Angel's Thunder, Devil's Reign », au groove assez sympathique, ou le plus léger « San Antonio », qui est bien le seul clin d’œil au passé suffisamment crédible pour qu’on se replonge dans la nostalgie des premiers LP.
Pas vraiment étonnant dès lors de trouver dans la liste des groupes ayant un jour honoré leur mentor RIOT d’une reprise en forme d’hommage des noms comme HAMMERFALL, RHAPSODY, Axel Rudi PELL, NIGHT DEMON ou SAVAGE MASTER. Ils appartiennent tous à la même catégorie d’ensembles qui privilégient la forme sur le fond, et qui préfèrent la démonstration à l’effort de composition. Et en reprenant ce putain de train en marche, j’ai pu constater aujourd’hui que le RIOT de légende avait disparu, et qu’il a été remplacé par ce RIOT V, qui tient plus du groupe de reprises que d’une extension logique et capable. Tout ça est beau, clinquant, impressionnant, mais terriblement fatiguant et le pire, est que je me vois obligé de leur accorder une note tout à fait correcte pour ne pas laisser ma subjectivité l’emporter sur la qualité d’un disque que les fans du genre ont déjà adoubé. Terrible paradoxe, pour un coup de hache dans l’eau.
Titres de l'album:
1 - Victory
2 - End of the World
3 - Messiah
4 - Angel's Thunder, Devil's Reign
5 - Burn the Daylight
6 - Heart of a Lion
7 - Armor of Light
8 - Set the World Alight
9 - San Antonio
10 - Caught in the Witches Eye
11 - Ready to Shine
12 - Raining Fire
13 - Unbelief
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