Voici donc cinq jeunes gens bien dans leur temps, leurs baskets et leur style musical, qui nous en viennent de la capitale comme on dit en province. Une simple lecture de leur bio en temps normal m’aurait suffit pour balayer du revers du mépris cette sortie, mais quelque chose d’inexplicable m’a poussé à tenter l’aventure quand même…Appelez-ça le sixième sens, l’intuition, ou une pulsion divine, je n’en sais rien, toujours est-il que je me retrouve en cet après-midi ensoleillé à vous parler des valeureux KADINJA, qui après un premier EP éponyme se lancent dans le grand saut dans le vide du LP de présentation via les services de Klonosphère/Season of Mist.
De présentation, le terme est un peu exagéré, puisqu’ils sont déjà connus des services du public, celui plutôt ouvert à des expérimentations de leur âge, et portés sur un Metal très syncopé, très produit, très appuyé et plutôt explosif.
Vous avez dit Metalcore ? Vous êtes assez proche de la réponse, et pourtant si loin…Car si le laïus fourni avec le CD est plutôt ciblé, la musique du quintette est-elle relativement libre et sauvage, et des années lumières d’un Core saccadé et faisandé inondant les bacs à intervalles réguliers.
Et si leur label aime à parler de « Metalcore Tech progressif », dites-vous que le marketing n’a rien à voir là-dedans tant les morceaux d’Ascendancy se permettent d’être brutaux, mélodiques, inventifs, techniques et progressifs à la fois, en évitant la redondance, la lassitude, et autre sentiments de rejet éventuels. Possible ? Sûr et certain, et sans vouloir faire le malin au jugé de mon inexpérience de la chose, je dirais même que ce premier LP fait partie dès sa sortie des révélations d’un créneau pourtant surchargé et propices aux dérives les plus stéréotypées.
KADINJA, ce sont d’abord cinq musiciens, dont certains noms ont évolué au fil des années, mais qui maintenant se sont fixés sur ceux de Philippe Charny Dewandre (chant), Pierre Danel (guitare), JJ Groove (basse), et deux petits nouveaux ou presque (depuis 2015), Nicolas Hørbacz (guitare) et Morgan Berthet (batterie). Cinq musiciens qui sont autant de role models dans leur créneau respectif et qui connaissent admirablement bien leur instrument et leur place dans le groupe.
Mais les KADINJA, c’est aussi un son. Enorme bien sûr, avec des graves dignes de gigantesques boomers d’une techno-party Allemande fournis par Bose, et des guitares au son délicatement synthétique, qui pourtant déchirent l’atmosphère de leur staccato. Rythmique en osmose, batterie en épilepsie, basse qui gigote, tricote, rebondit et fricote, et duo de six-cordes à l’unisson d’une destruction programmée de votre raison, pour une affiliation totale à la cause futuriste. Enregistré et produit par la paire Pierre Danel et Amaël Durand, mixé par les soins du même Amaël, Ascendancy est une véritable tuerie auditive qui pourtant ménage votre marteau et votre enclume en évitant la sursaturation et l’exagération, mais qui en version CD fait trembler vos enceintes et le parquet flottant leur servant de support. De quoi donner des suées à vos voisins sans rien endommager…
Mais soyons honnête, KADINJA, c’est avant tout une musique. Une musique très personnelle qui emprunte à droite à gauche pour s’approprier le meilleur, et qui n’hésite pas à citer dans le texte les délires tantriques de MESHUGGAH, le meilleur du Metalcore moderne Européen, et les divagations technoïdes qui transforment une rythmique en superball qui rebondit de mur en plafond.
En gros, un dédale d’idées puissantes et pertinentes, qui ne prennent pas l’auditeur pour un imbécile, mais l’entraînent dans un voyage aux confins des styles et des époques pour lui faire perdre le nord.
Assez uniques en leur genre, les parisiens sont parvenus à une synthèse parfaite de mélodies séduisantes, de puissance tétanisante, et d’inventivité écrasante, qui parfois fait penser à une union improbable entre DREAM THEATER, MESHUGGAH et PERIPHERY.
En comme en plus, ils ne manquent pas d’esprit comme le suggère leur brève appropriation du « Dominique » de Sœur Sourire, pour l’intro de… « Dominique », qui s’avère très ironiquement le plus brutal sur leur étal, on ne peut pas leur reprocher grand-chose, sinon, d’être…trop bons ! Et d’ailleurs, soyez honnête après écoute dudit morceau, et admettez qu’on aurait pu le retrouver parmi les meilleures idées de Fredrik Thordendal, sans que personne ne suggère un coup fourré…
Beaucoup de compliments, mais il est certain qu’Ascendancy, que vous le preniez en lecture diagonale, en long, en large, ou en perspective ne souffre d’aucun travers. Et pour une fois, personne ne songera à critiquer l’alternance growls/caresses de Philippe Charny Dewandre, qui s’en sort admirablement dans les deux domaines et domine de ses impulsions un instrumental libre et béton.
Cet instrumental qui une fois superposé au micro trouve sa véritable fusion, prend son vertigineux envol dès l’ouverture massive de « Stone Of Mourning », qui ne perd guère de temps à faire son deuil d’une quelconque sobriété, et qui pose les jalons d’entrée. Batterie impulsive, riffs qui se conjuguent et se mélangent dans une ambiance techno étouffante, et refrain d’acier pour un maximum d’efficacité, telle est l’approche de ces chevaliers de la brutalité catapultée, approche qu’ils perfectionnent au fur et à mesure de l’avancée d’un album qui n’en finit plus de se révéler.
Certains penseront d’ailleurs que le pic de génie est atteint à l’occasion du sidérant « A November Day », et ils ne pourront pas vraiment se tromper. En cinq minutes à une seconde près, les parisiens se livrent à une démonstration hallucinante qui les éloigne définitivement de toute étiquette embarrassante, et qui délivre un torrent de plans rythmiques cohérent et abondant, tout en ménageant de véritables instants de calme apaisant, rapidement réduits à néants par des interventions de guitare féroces. On pense à ce moment-là au passé de techno Death metalleux de Nicolas Hørbacz qui a certainement apporté sa pierre au monolithe, mais à vrai dire, nous sommes tellement perdus dans un espace-temps différent que nous ne sommes plus à même de juger de certains éléments objectivement. Metalcore ? Restons décent. C’est tellement plus que ça que le terme même devient insultant.
Et si « Episteme » partie une et deux jouent l’ultraviolence matinée d’onirisme en latence, le long et enivrant « Ropes Of You » justifie la dénomination en progression de ses thèmes qui s’entremêlent dans un ballet de gravité assumé, et se permet encore de se démarquer du reste du répertoire, ce qui en dit long sur l’imaginaire de ces compositeurs en totale absence de limitation.
Pour un chroniqueur, certaines choses sont très difficiles à admettre. D’une, qu’un style qu’il se plaît à honnir peut tout de même le réjouir, et que ce dit style est loin d’être figé et peut encore évoluer. C’est la leçon à retenir de ce premier album impressionnant de maturité et de créativité, qui use sans abuser d’une technique très poussée pour parvenir à ses fins de liberté.
Mais avec Ascendancy, les parisiens de KADINJA vous emportent dans une spirale ascendante de violence et d’harmonie qui risque de vous échouer sur une autre planète, ou la médiocrité, la linéarité et la répétitivité n’ont pas lieu d’exister. Un voyage bousculé qui laisse des séquelles une fois les multiples G encaissés, mais qui franchit les portes d’univers parallèles pour mieux transcender la réalité.
Titres de l'album:
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