L’art comme guérison, le processus est connu de la médecine et largement utilisé. Mais l’art est aussi une échappatoire à une situation en impasse, et le réconfort dont vous pouvez avoir besoin lorsque tout va mal et que rien ne semble pouvoir s’arranger. On a connu des musiciens au fond du trou, de la bouteille et de la seringue, se sevrer avec l’espoir d’accoucher d’un grand œuvre en catharsis, et d’autres parvenant à accepter l’adversité en se jetant corps et âme dans la création, à l’image de Robert Wyatt enregistrant Rock Bottom complètement immobilisé. Le destin n’a pas épargné Steve Grimmett ces dernières années. Le pauvre a perdu une partie de sa jambe, et plus grave encore, son frère, ce qui aurait pu le mettre définitivement hors course et au tapis, mais c’eut été sans compter sur la foi Heavy Metal du vocaliste de légende. Et au lieu de s’apitoyer sur son sort, l’ex-LIONSHEART/ONSLAUGHT/CHATEAUX a préféré faire fi de cette adversité pour retourner en studio avec son groupe actuel, GRIM REAPER, encore frappé du sceau personnel STEVE GRIMMETT'S GRIM REAPER. Et si en 2019, le groupe porte le nom de son leader, c’est plus qu’une appropriation, c’est une incarnation. Car à l’écoute de cet At the Gates, on sent que le chanteur va mal, très mal. Pour une raison plus qu’évidente, celle de son incapacité à retrouver sa flamboyance vocale d’antan, et de devoir souvent se contenter de poussées poussives dans les aigus qu’il défiait avant de sa tessiture et de sa grandiloquence. .A l’image d’un Dickinson ou d’un LaBrie qui ont toujours eu du mal à tenir la distance live, Steve s’accroche en effet aux branches, fait de son mieux, mais doit la plupart du temps s’en remettre à ses compères qui le soutiennent de leurs chœurs puissants et bien présents. Mais malgré ce handicap plus que patent, atténué de circonstances plus qu’atténuantes, le jugement d’un chroniqueur ne doit se porter que sur des données factuelles. Seulement, sous cet aspect-là aussi, le résultat est plutôt bancal. La faute à des musiciens appliqués, qui donnent ce qu’ils peuvent, mais ne cherchent jamais à transcender ce Head n’Heavy trop classique pour décoller, et loin de la grandiloquence des premiers efforts.
Car accepter d’endosser encore le costume de la légende GRIM REAPER en 2019 n’est pas chose facile. Même si le groupe n’est jamais devenu un membre de la prestigieuse A-list du Heavy Metal, il a toujours incarné la royauté musicale anglaise dans toute sa splendeur, celle née de la NWOBHM. Les purs et durs n’ont donc jamais oublié les pamphlets virils que furent See You in Hell ou Fear No Evil, ces brûlots lyriques capables d’unir dans un même élan JUDAS PRIEST, IRON MAIDEN et DIO, et la quintessence de l’inspiration Metal des eighties qui n’était pas encore consciente des concessions qu’elle allait devoir faire. En 2016, Walking in the Shadows avait permis au chanteur de se remettre en selle, presque trente ans après Rock You to Hell, et l’album du comeback avait su séduire les anciens passionnés comme convertir de nouveaux abonnés. Trois ans plus tard et des accidents déplorables en plus, At the Gates aura beaucoup plus de mal à fédérer les néophytes et les anciens, puisque sa musique s’en ressent moins inspirée, et plus destinée à remettre le brave chanteur sur les rails de la confiance qu’à établir de nouveaux records de fidélité. Fidèle pourtant, ce disque l’est, à une recette plus qu’éprouvée, celle d’un Heavy à tendance Power et légèrement lyrique sur les bords, qui saura contenter les plus classiques des quadra/quinquagénaires. On y retrouve parfois le talent du groupe d’origine, sur les morceaux les plus enlevés (« Rush », « Breakneck Speed »), mais malheureusement, les difficultés de Steve à maîtriser son timbre et à devoir en faire trop pour ne pas en faire moins plombent souvent des titres qui auraient pu devenir des classiques, mais qui ne restent que des moments agréables.
De fait, plus qu’un achèvement, At the Gates est à appréhender comme une guérison, une thérapie. Une manière pour Steve de se persuader qu’il a toujours sa place dans la grande famille du Heavy Metal des années 80 qui refuse de mourir et de laisser sa place aux amateurs de vintage qui tentent en vain de reproduire le passé. Sous cet angle-là, ce deuxième album de la formation STEVE GRIMMETT'S GRIM REAPER est appréciable, toutes proportions gardées. On sent que le quatuor (Paul White - batterie, Ian Nash - guitare, Martin Trail - basse et Steve - chant) a joué la sécurité, et a préféré s’en remettre à des réflexes conditionnés plutôt qu’à un sens de l’aventure qui n’avait pas lieu d’être, eu égard aux risques énormes qu’il induisait. Le problème étant que les dits réflexes marquent de leur systématisme l’intégralité ou presque de l’album, chaque morceau semblant un succédané du précédent, avec juste ce qu’il faut de variations pour marquer la rupture. Difficile en effet dès « Venom » de voir les nuances entre les titres suivants, si ce n’est sur quelques variations minimes de tempo qui font monter l’intensité d’un cran. Non que le résultat soit désagréable, mais déjà plombé par les difficultés de Grimmett à chanter certaines parties un peu trop techniques, il subit la loi de la linéarité qui s’apparente à celle d’une trop grande gravité, laissant l’inspiration au ras du sol. Bien sûr, avec ses faux airs de JUDAS PRIEST de transition, « The Hand That Rocks The Cradle » donne le change. Le Speed léger de « Line Them Up » dynamise un peu la stimulation, mais le final « Shadow In The Dark » retombe dans les travers déjà énoncés, et se contente d’un lick tellement classique et convenu que le DIO de la fin des années 80 n’aurait su s’en satisfaire. Restent des moments d’intensité, quelques soli bien troussés (mais une fois encore si formels qu’on a du mal à s’enthousiasmer), et le plaisir de constater que Steve s’accroche et ne compte pas raccrocher. Il aurait des raisons pourtant, mais le soutien des fans ayant récolté quatorze mille dollars pour lui permettre de se soigner (merci à sa compagnie d’assurance qui a considéré que son métier était « trop risqué » pour justifier un remboursement) a dû le galvaniser, et lui donner l’énergie d’y croire encore.
Sans savoir ce qu’il adviendra de lui, cette expérience l’aura rendu plus philosophe. Il a appris la patience, et s’est offert un nouveau regard sur sa vie. Qu’on lui souhaite longue, heureuse, mais plus créative que cet At the Gates qui ressemble à un pansement de l’âme, plus qu’à un classique du Heavy Metal.
Titres de l’album :
1.At The Gates
2.Venom
3.What Lies Beneath
4.The Hand That Rocks The Cradle
5.A Knock At The Door
6.Rush
7.Only When I Sleep
8.Line Them Up
9.Breakneck Speed
10.Under The Hammer
11.Shadow In The Dark
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