Avant même d’avoir posé une oreille, je suis séduit par le truc. Ça sent le Crossover à plein nez, de Venice à San Francisco, l’artwork est magnifique, et la certitude d’être trainé dans les années 80 très concrète. Et puis sincèrement, un groupe qui propose sa propre ligne de skates en offrant l’album en cadeau, et qui en plus se fend d’une reprise de SUICIDAL TENDENCIES, ça inspire confiance non ?
Si.
Originaire de Fort Mc Murray, Alberta, SUPERMODEL TAXIDERMY aurait dû voir le jour en Californie. Son inspiration y est ancrée, et ses instincts dérivés. Bien que canadiens, ces trois lascars (Shawn Maynard - guitare/chant, Reilly Williams - batterie, Michael Cheney - basse/chœurs) sont donc des expatriés virtuels, tant leur musique évoque celle de notre bon vieux Mike Muir, et ses projets parallèles. Mais attention. L’inspiration est une chose, et la copie en est une autre. Ici, pas question d’appropriation culturelle sans rendre la monnaie, puisque ce premier album se permet d’actualiser d’anciens réflexes pour les rendre plus contemporains.
Addiction, Anti-religion, Prostitution, Perseverance, Hypocrisy, Love
Ce sont les thèmes abordés sur At What Cost, et la pochette signée Andrei Bouzikov (MUNICIPAL WASTE/TOXIC HOLOCAUST) en dit très long. On retrouve ces fameux cols blancs, gardiens de la flamme de l’Amérique capitaliste, conspuant la jeunesse, les outsiders, et tous ceux ne rentrant pas dans le moule. Ce personnage aux cheveux longs qui se fait malmener aurait pu être vous il y a quelques années, effrayant la bourgeoisie de vos patches et autres t-shirts blasphématoires. Mais la jeunesse emmerde toujours la bourgeoisie, en 2024 comme en 1986. Il y a des valeurs qui ne se perdent pas avec le temps.
Musicalement parlant, At What Cost est une véritable bombe. Impeccablement produit pour que chaque intervenant touche sa part du gâteau, concentré sur les riffs, laissant la basse fouetter comme la queue d’un chat, ce premier long est une assertion, celle d’un legs assumé, même à des milliers de kilomètres et des années de distance. On se s’accapare pas un classique comme « Subliminal » par hasard ou pour faire les malins, puisqu’il faut lui faire honneur sous peine de susciter l’ire des puristes. Et le trio canadien s’en sort à merveille, permettant à ST de rester vivant, agressif, et parrain de cette nouvelle génération fougueuse.
Mais une reprise n’est pas un album, et le répertoire personnel des trois joyeux est lui aussi inattaquable. « Exorcist For Beer » entame d’ailleurs les hostilités sous les meilleurs auspices, avec son ton guilleret et ses chœurs noyés dans la piste principale sur fond de Thrash/Hardcore californien joué avec le cœur. L’investissement du trio est indéniable, et le résultat coule de source. At What Cost est un album heureux, joué avec les tripes, et avec ce petit plus de jeunesse qui défie les plus grands, avec une morgue tout à fait justifiée.
Entre morceaux compacts et rapides et titres plus construits, SUPERMODEL TAXIDERMY joue les empailleurs de mauvaise humeur, et fricote même avec l’illégalité d’un Thrashcore qui pousse et tousse. Ainsi, le très référencé « Gage », qui rappellera quelque chose aux amateurs de Stephen King, est à la limite du chaos avec sa batterie folle et ses cris hurlés d’une gorge très fatiguée.
Aussi Metal qu’il n’est Hardcore, ce premier jet est la quintessence même du Crossover à la ricaine. On y sent du EXCEL, du HALLOWS EVE, du NO MERCY, et évidemment, pas mal de street rockers des mêmes années, qui commençaient à comprendre que les deux familles pouvaient s’unir sans se trahir. Les saccades, les accélérations en bombe, cette façon de détaler sur les trottoirs les deux pieds vissés sur une planche plus ou moins fiable ont quelque chose de délicieusement vintage, sans pour autant se perdre en recyclage facile.
Impossible de résister à une échappée comme « Kevlar », qui peut déjà prétendre à l’oscar de l’hymne Thrash de l’année, tout comme il est impossible de ne pas admettre que « The Hanging Tree » est le plus parfait compromis entre ANTHRAX et SUICIDAL TENDENCIES. Nous avons déjà parlé du cas de cette cover de « Subliminal », mais ajoutons qu’elle arrive à point pour faire un dessert à la hauteur du repas. A tel point qu’on en vient presque à oublier qu’elle n’est pas un original, tant les trois canadiens l’ont faite leur.
Classique mais dynamique, At What Cost est en effet un disque à écouter à tout prix. Il est fun, diabolique, hystérique, mais intelligent, et se laisse parfois aller à des tendances plus radicales et euphorisantes (« Death Dealer », l’un des titres les plus exubérants de l’année, tout en restant socialement et politiquement engagé). On n’a guère le temps de s’ennuyer lors de cette demi-heure bien tassée, et une fois l’écoute terminée, le réflexe est immédiat : on renvoie le lecteur à son point de départ, et on repart pour une folle virée sur un morceau de bois à roulettes renforcées.
Que tous les skateurs se mettent sur la ligne du départ. Une course folle les attend, et les figures les plus improbables et dangereuses sont les bienvenues.
Pledge your allegiance.
Titres de l’album :
01. Wake Up
02. Exorcist For Beer
03. Clinics
04. Lipstick
05. Blood Painted Dash
06. Gage
07. Kevlar
08. The Hanging Tree
09. Subliminal
10. Death Dealer
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