Après treize ans de silence en longue-durée, MELEE DES AURORES revient sur le devant de la scène avec un nouveau méfait. Monté par les deux figures que sont Blanc-Feu et Cadavre (CANTIQUE LEPREUX, CHASSE-GALERIE), ce side-project propose aujourd’hui un successeur au très remarqué Errances, qui en 2010 avait bousculé l’underground de ses tonalités graves et sentencieuses.
Alors, après l’errance, la stabilité ?
Pas vraiment, puisque le duo poursuit son exploration des sonorités abrasives et des constructions complexes, à tel point que leur label n’hésite pas à les comparer aux sorciers BLUT AUS NORD, PORTAL et DEATHSPELL OMEGA. De solides références donc, mais un tantinet hors-sujet, puisque le sens de l’expérimentation de MELEE DES AURORES reste raisonnable, et loin des abysses fréquentées par les trois groupes précités. Ce qui ne veut aucunement dire que le duo s’empêtre dans les enchaînements classiques et autres instrumentations formelles.
Avec seulement cinq compositions au générique, Aube Cannibale ne cannibalisera pas votre temps, mais stimulera votre sensibilité la plus sombre. Dans la plus droite lignée d’un BM canadien âpre et mystérieux, ce second long est une petite perle retrouvée dans la marée noire du Black venu du froid, mettant en avant sa brillance dans les ténèbres avec un panache incontestable. On remarque de temps à autres quelques notes de piano, des déviations sadiques et des incantations plutôt glauques, et dans son ensemble, Aube Cannibale parvient à tisser des liens solides entre le mouvement expérimental et avant-gardiste, et la tradition brutale des années 2000.
Mais alors, est-il important de s’y intéresser ?
Oui, car les deux hommes ont su travailler leur matière pour lui donner la forme d’un golem traquant les idées les plus convenues. Les silences, intelligemment placés, les dissonances, nombreuses et irritantes, les reprises tonitruantes, tout contribue à faire de ce album une surprise permanente, ponctuée de scare-jumps et autres masques d’effroi anonymes.
Entre cette guitare tiraillée entre l’inconfort et les mélodies acides, et cette rythmique décomplexée qui s’autorise toutes les figures, le tableau est richement décoré, et regorge d’easter-eggs que les spécialistes identifieront sans problème. On retrouve ainsi toute la sauvagerie aride des factions canadiennes, parmi les plus abruptes du marché, mais aussi le sens de l’à-propos abscons américain, pour faire bonne figure durant les réunions d’anciens élèves indisciplinés et réfractaires à l’autorité classique.
S’il est évident qu’avec si peu de titres, MELEE DES AURORES n’avait nullement le droit à l’erreur, le résultat final est encore plus impressionnant que ce que l’on aurait pu espérer, même avec un trou de presque quinze ans dans l’emploi du temps. Les cassures brutales de « Aube Cannibale », exercice de style grandiloquent nous entraînant dans une spirale infernale de traumas et autres phobies, les certitudes macabres de « Soleil des Méduses » qui vous analysent comme un psychiatre défroqué et rayé de l’ordre des médecins, et le maelstrom sonore de « Incubation » qui tournoie comme des vautours autour d’une carcasse, tout contribue à instaurer un climat d’oppression et de méfiance, faisant perler la sueur sur le front dans l’attente de la prochaine catastrophe à venir.
Comme la B.O d’un film d’horreur païen et mystique, Aube Cannibale travaille ses ambiances et peaufine ses atmosphères, tout en laissant une part conséquente à l’improvisation balisée. On retrouve cette tendance à se laisser aller sur le monstrueux final « L’éternel Retour », d’une lenteur processionnelle, et qui contrebalance les accès de fureur des quatre titres précédents.
Cette lancinance en goutte d’eau qui trouble un sommeil agité est tout simplement anxiogène, tout autant qu’un journal télévisé axant ses sujets sur les faits d’hiver les plus macabres.
Le tout est emballé dans une production en modèle du genre, précise, grave, nette, qui permet d’apprécier les parties de guitare comme autant de rasoirs qui tranchent les chairs, et de se laisser séduire par ce chant vénéneux aux intonations morbides qui sert de guide à cette apnée musicale.
Voilà donc une petite quinzaine d’années d’absence excusées par un travail de titan, accompli par deux musiciens sachant très bien quelle direction emprunter. Cette concession qui n’en est pas vraiment une entre l’avant-garde et le BM âpre et traditionnel fonctionne sur plusieurs niveaux, mais peut s’apprécier sans avoir à trop se demander si la caution artistique est assez intègre pour être respectée.
Une demi-vulgarisation qui mérite toute votre attention, pour une aube blafarde bouffant les sourires, les espoirs et les après-midi avec un appétit féroce. Pas vraiment le cadeau de Noël idéal, mais une belle surprise inopinée qui tombe parfaitement pour illustrer une époque de désillusion.
Titres de l’album:
01. Incubation
02. Soleil des Méduses
03. Aube Cannibale
04. Ignitus
05. L’éternel Retour
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