On disserte toujours sur l’idéologie de nombreux groupes affiliés au Black Metal, arguant du fait que leur iconographie, leurs textes et leurs prises de positions sont souvent sujets à caution. Evidemment, les groupes adhérant aux préceptes NSBM sont d’emblée évacués de la bienséance eut égard à leurs accointances d’extrême-droite complètement assumées, mais d’autres, au discours plus flou, doivent aussi rendre des comptes et voir leurs concerts parfois remis en cause. On se souvient du brouillard nationaliste qui entourait la première génération norvégienne, mais Morgan de MARDUK a dû faire face à de nombreux problèmes de communication eut égard à sa passion dévorante du IIIème Reich (goût qu’il partageait d’ailleurs avec le regretté Jeff Hanneman), tout comme des dizaines d’autres combos qui jouent sur l’ambivalence et la provocation, se référant à la sempiternelle et sacro-sainte liberté d’expression artistique. Mais la plupart des ensembles du cru se retrouvent souvent autour d’une philosophie antireligieuse assez claire (et dans la majorité des cas orientée vers la lutte contre le christianisme), prônant le nihilisme, l’égoïsme, l’hédonisme, ce qui revient généralement à se mettre d’accord avec les préceptes de ce cher Anton LaVey et du satanisme moderne tel qu’il fut propagé dans les années 60. D’autres groupes au contraire cherchent à mettre les choses au point d’emblée, précisant leur optique pour ne pas avoir à répondre de fausses accusations d’assimilation. C’est le cas des allemands d’APOTHEOSIS OMEGA, qui réfutent les théories politiques et religieuses des extrêmes, de gauche, de droite, chrétiennes ou autres, préférant se concentrer sur d’autres concepts, plus viables et réalistes selon eux. Ils se réfèrent donc aux écrits et études de M. A. Smith, A. Mason, P. Carrol, C.G. Jung, E.A. Koetting, A.D. Chumbley, K. Grant ou Aleister Crowley pour justifier de leur Black Metal orthodoxe, qui en effet se base sur des préceptes cosmiques et un refus de la condition matérielle de l’être humain.
On ne sautait blâmer un propos un peu plus intelligent que la moyenne, qui nous évite le cirque des têtes de bouc et autres pentagrammes bon marché et éculés depuis le premier HELLHAMMER. Mais le fait est que musicalement, ce quintet d’Aachen présente des arguments solides, à cent lieues d’un BM formel que l’on n’a que trop entendu. Se définissant d’ailleurs comme un groupe progressif, ce collectif (Dorn (chant), Dorlac (guitare) S.Sc. (guitare), Abyssus (basse), Mylandres (batterie)) s’est formé sur les cendres de HADER, une fois Mordred évacué de l’équation pour raisons personnelles. Et depuis 2014, APOTHEOSIS OMEGA a proposé un premier LP il y a quatre ans, Vama Marga, qui représentait la première étape d’un parcours personnel qu’Avoda Zara vient maintenant compléter. Sans citer d’influences, les allemands jouent donc un Black Metal d’obédience multiple, se rapprochant parfois de l’âpreté du Black des origines, tel qu’il était pratiqué par les DARKTHRONE, IMMORTAL et consorts, tout en y insufflant une haute dose de mélodie, pour approcher d’un Black progressif et envoutant qui dénote dans la production actuelle. Fondant ses partitions sur des riffs dissonants et/ou mélodiques, le quintet se permet de travailler ses ambiances en profondeur, pour titiller la corde d’un symphonique initiatique, en admettant quelques sonorités Folk de très bon ton. Ce qui n’empêche pas leur Metal extrême de sonner comme tel, et de faire bon usage des blasts, qui interviennent avec régularité pour souligner des riffs morbides, mais parfaitement compréhensibles.
Se voulant au-delà des clivages philosophiques, éthiques, religieux et sociaux, APOTHEOSIS OMEGA s’affranchit donc de pas mal de charges inhérentes à la pratique d’un BM formel, et propulse sa musique au-delà des clivages, pour séduire au même niveau les fans d’un BM dur à l’Allemande, mais aussi les plus modérés qui ne crachent pas sur un brin de modulation mélodique. Proposant des morceaux assez longs et développés, les cinq musiciens offrent un visage homogène, et le mixage de cet album, d’une propreté rare, permet d’apprécier des performances individuelles notables, dont celle du bassiste Abyssus qui ne manque jamais une occasion de mettre ses arabesques en avant. Les guitares de leur côté s’expriment tout aussi bien en osmose qu’en solitaire, et tissent une toile d’harmonies entremêlées fascinant, alternant les parties acides et les riffs plombés, dont l’exergue se trouve selon moi au cœur même de « Abu Al-Hol » à la mystique aussi dense que l’efficacité. Osant parfois placer quelques inserts plus Heavy que la moyenne, le groupe se montre sous une nuit aussi catchy qu’opaque, et si « Paroketh » convainc de sa volonté de percuter plus que d’effrayer, « Ben Samael » joue plus volontiers sur l’opposition des climats pour suggérer une nostalgie de la créativité originelle des EMPEROR et compagnie. C’est donc un album qui se tourne autant vers le passé que l’avenir qui vous attend, même si l’ancrage temporel n’est pas forcément l’obsession de ces musiciens. L’enchaînement de parties complexes et denses et de segments plus puissants se retrouve pratiquement sur tous les chapitres et peut servir de modèle global, si l’on met de côté l’intro efficace, l’intermède grandiloquent et atmosphérique « Eres Nod », et le final gargantuesque « Phosphoros », qui du haut de ses presque douze minutes offre une conclusion à la hauteur des théories et des ambitions.
Sans aller jusqu’à affirmer que ce dernier morceau est l’acmé d’un album qui ne connaît que très peu de baisses de régime, concédons lui une progression parfaitement agencée et des idées porteuses. Commençant comme une litanie à la MAYHEM propagée par le CRADLE des débuts (sans le côté putassier et commercial de la bande à Dani), « Phosphoros » avance quasiment sans discontinuer, sinon le temps d’une cassure théâtrale et organique, qui permet à Dorn de faire étalage de ses capacités de vocaliste/guide/théoricien. Alternant le chant hurlé et les incantations dramatiques à la Attila, le chanteur nous offre une prestation convaincante, profitant d’une base instrumentale plurielle, caractéristique des efforts les plus évolutifs du genre. Et finalement, sans trahir ses convictions et sombrer dans les affres d’un Post BM trop expérimental, mais sans non plus se cantonner au rôle de garant intime de la légende, Avoda Zara trouve un juste milieu convaincant entre le traditionalisme et la transcription plus personnelle, sans être bancal ou peu crédible dans les deux rôles. Une façon comme une autre de se distancier de la masse, par des théories plus intéressantes que la moyenne, et une musique aussi dense et riche qu’elle n’est implacable et violente.
Titres de l'album :
1.Abel und Qayin
2.Paroketh
3.Ben Samael
4.Ama Lilith
5.Eres Nod
6.Abu Al-Hol
7.Tetragrammaton
8.Phosphoros
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