Ne mentez pas. En lisant le nom de ce groupe, un autre nom vous sera immédiatement venu à l’esprit. Inutile même de le nommer, tout le monde y a pensé, et pour cause. A la première lecture, on se dit qu’on va immanquablement avoir affaire à un groupe sous perfusion ou un tribute-band pour une fois décidé à faire le grand saut des compositions originales. Et pourtant, cette association d’idées très logique est une impasse, et vous obligerait à faire demi-tour. Car non, ces KASHMIR là n’ont absolument rien à voir avec le titre homonyme de LED ZEPPELIN, et encore moins avec le groupe lui-même, même si les réminiscences sont inévitables au vu du style pratiqué. Style qui n’en est pas un d’ailleurs, puisque le groupe ne se revendique que d’un Rock à tendance Hard assez généraliste, mais spécifiquement de qualité dans les faits. Affaire faussement simple donc, et pourtant, au regard des rares informations que j’ai glanées sur le net, la réalité du terrain est plus complexe qu’il n’y paraît. KASHMIR n’est donc pas un groupe de jeunes loups proposant leur version de seventies toujours plus regrettées, mais plutôt un combo qui traîne ses guêtres dans le biz’ depuis un bon moment, puisque son premier album date déjà de…1992. Et pour cause, puisque sa formation date de 1989, et qu’il a quand même publié deux longue-durée dans les nineties (Promised Land et Hard Times, à quatre ans d’écart), avant de faire la première partie de SCORPIONS en 1997, puis de monter une tournée hommage à DEEP PURPLE en collaboration avec Hush Magazine, baptisée The Traces Of Deep Purple. Un nom qui évoque LED ZEP, une tournée de reprises des classiques de DEEP PURPLE, les choses commencent à se dessiner avec plus de précision, et à l’écoute de ce Balance, sorti cette année (ne me demandez pas ce qu’ils ont fait entre 98 et 2020 parce que je n’en sais rien), on comprend rapidement que les KASHMIR ont grandi au son des guitares rageuses, bluesy, et de l’orgue Hammond caressé avec beaucoup de délicatesse, ou au contraire frappé virilement.
Il y a évidemment des traces du ZEP dans la musique de Balance. Mais il y a aussi pas mal de DEEP PURPLE. Comme on trouve aussi des réminiscences de WHITESNAKE, des BLACK CROWES, de TESLA, d’AEROSMITH, de CACTUS, de TRAPEZE, de Bob SEGER, enfin, en gros, l’histoire du Rock qui prend toute son ampleur sur la route, et qui laisse place à la nostalgie une fois que les musiciens sont partis. Originaires de Gijón, ville située sur la côte des Asturies en Espagne, KASHMIR est le prototype de groupe qui se propose de synthétiser toute une décennie de musique en un seul album, certes conséquent, mais admirablement bien résumé en quelques notes et inflexions. Et dès les oreilles chauffées par la fournaise de « Sweet Child », on pige très bien là où ils veulent en venir. On pense évidemment à « Speed King », à « Rock N’Roll », mais aussi à BLACK COUNTRY COMMUNION, et à tous ceux qui ont trempé leur culture dans le bain bouillonnant des seventies, la décade qui a transformé le Rock en art de stade. L’affaire étant posée, la simplicité du propos n’empêche pas la diversité d’expression, et comme pour bien entériner les parallèles, le groupe espagnol nous sert tout chaud un habile démarquage de « Cryin’ in the Rain » de WHITESNAKE avec le très bluesy « Freezing In Your Heart ». Entre Alannah Myles et David Coverdale, ce morceau est un petit bijou brillant d’un feeling vingt-quatre carats, l’orgue débordant du cadre sans empiéter sur la rudesse d’une guitare qui n’a pas l’intention de se laisser faire, le tout enrobé dans le velouté de chœurs proéminents, mais enivrants. Avec un chanteur (Fernando Martínez ) capable de moduler sans en faire trop, de pousser quelques petits cris sans singer Robert, et un guitariste qui n’a ni les riffs, ni les soli dans sa poche (Ángel Antonio Berdiales), mais qui ne tente pas de phagocyter le jeu de Jimmy ou Ritchie, un organiste (Emilio Gutiérrez) qui ne compte pas non plus verser dans la grandiloquence classique de Jon Lord, ou les délires baroques de Keith Emerson, le groupe peut donc s’appuyer sur trois solistes très capables, soutenus par une section rythmique solide, aux trouvailles parfois inspirées, mais toujours stable (Manu Maroto - batterie et Jandro Espina - basse).
Seventies donc, obligatoirement, mais une culture étendue, puisque les espagnols poussent jusqu’à unir Springsteen et BON JOVI, avec des mélodies Americana très prononcées, et un penchant à s’intéresser à toutes les formes de Rock possibles. Ainsi, « Rescue Me » tente la séduction de masse, les clins d’œil à Rick Springfield, mais aussi à tout un pan de l’histoire musicale du New-Jersey, avec un panache étonnant. A l’inverse, « With Hands In Heaven » adopte un déhanché à la EXTREME/MR BIG, ce qui n’est pas illogique puisque le quintet a vu le jour à l’orée des années 90. L’ombre d’AEROSMITH plane, mais pas assez bas pour être considérée comme une référence trop pesante, et on pense plus volontiers à la carrière de Glenn Hughes, l’autre maître du Hard-Rock authentique et légèrement bluesy. Il y en a décidément pour tous les goûts sur ce Balance, qui décidément, mérite son titre à tous les niveaux. L’équilibre des allusions est parfait, comme celui d’une approche plurielle mais cohérente, et lorsque les volutes de Blues-Rock de « With Hands In Heaven » envahissent la pièce, on se croit en plein bar du sud des Etats-Unis, un samedi soir, avec un local band on stage, proposant son répertoire comme récompense d’une semaine de travail. Et le festival continue avec « Around This Moment » qui ne se gêne pas pour avouer un certain intérêt dans la vague Hair-Metal des eighties, CINDERELLA, SLAUGHTER, le tout joué comme si les ibères se tenaient sur scène pour une reprise de Rock of Ages. Avec plus d’une heure de musique au compteur, il était pourtant facile de tomber dans le piège de la paraphrase bête et méchante, mais le tour de force de KASHMIR est justement d’avoir systématiquement trouvé des idées pour diverger, sans se trahir. Ainsi, le terrible « Remember Kashmir » propose une intro orientale, et un déroulé fatal, sans piquer dans les partitions de LED ZEP. Miracle ? Non, juste beaucoup de créativité dans la nostalgie…
Et dès que la machine menace de tourner en rond, l’énergie prend le relais et porte à bout de bras l’effort, qui n’en est pas vraiment un. On se laisse entraîner dans l’orgie de boogie syncopé de « Queen Of The Show », qui une fois encore rappelle les EXTREME, tout comme on accepte tacitement de calmer le jeu avec le plus nuancé « Another Name In The Sand » et sa montée à la « Sweet Emotion » d’AEROSMITH. Et de fil en aiguille, de riff de guitare en nappes de claviers, de puissance vocale en nuance rythmique, les soixante minutes passent comme dans un rêve, se terminant dans le petit matin voilé de « Hard Times R'n'R »…Alors par pitié, ne vous faites pas avoir par le nom, ni par la pochette. Car les KASHMIR sont tout sauf un ersatz, mais bien un original qui recycle les classiques avec un brio incroyable…De quoi éviter le crash en plein vol.
Titres de l’album :
01. Sweet Child
02. Freezing In Your Heart
03. Rescue Me
04. With Hands In Heaven
05. Around This Moment
06. Dirty Road
07. Remember Kashmir
08. Having A Good Time
09. Queen Of The Show
10. Another Name In The Sand
11. Come And Dance
12. Hard Times R'n'R
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