Oui, on vous a fait le coup de la « révélation Raw Black » à de nombreuses reprises. Souvent l’accroche est plus consistante que le contenu lui-même, et l’aura de « mystère » entourant la sortie d’un disque encore plus farouchement nihiliste que les précédents, n’est que poudre aux yeux et brume du petit matin, pas plus opaque que celle enveloppant une campagne isolée du reste du monde.
Sauf que dans ce cas précis, cette « révélation » n’en est pas une, ou à postériori, ou « mieux vaut tard que jamais », puisque le groupe concerné existe depuis de très nombreuses années et que son following est déjà important dans l’underground.
Jugez du peu.
Sept démos, deux EP, sept splits, une compilation, et surtout, quatre longue durée qui font de ce projet une des valeurs les plus sures du circuit.
Lequel ?
Celui du Black underground le plus abrasif, mais intelligible. Car là est le talon d’Achille de ce style hermétique qui refuse tout compromis, y compris celui d’une production digne de ce nom, trop apte à mettre en valeur la linéarité du propos et le manque flagrant d’idées.
Mais le manque d’idées n’est pas un handicap notable dans le cas des/du portugais de BLACK CILICE. Pour être honnête, des idées, l’homme en a puisqu’il est seul à la barre de son navire en perdition. Et qu’il les met en exergue de disques en projets, sans dévier d’un iota de sa philosophie de départ.
BLACK CILICE, c’est un peu la coupe sombre à laquelle s’abreuvent tous les fans de Dark Black les plus absolus, mais qui souhaitent quand même comprendre quelque chose à la problématique. Elle est simple, respecter les dogmes tout en s’ouvrant sur le monde extérieur, sans pour autant renier les principes fondamentaux et minimalistes du courant.
Depuis A Corpse, a Temple, l’énigmatique leader de BLACK CILICE n’a pas vraiment modulé ses vues sur les préceptes d’un BM fort abrasif et peu complaisant, mais développe quelques accroches qui laissent présager d’une évolution certaine, accroches pas forcément perceptibles aux non-initiés. Pour eux, tous les albums se ressemblent, et Banished From Time n’apparaîtra pas foncièrement différent de Summoning The Night ou Mysteries, qui ne le seront pas forcément. Il est vrai que les nuances sont infimes, mais bien palpables pour ceux capables de déchiffrer les énigmes proposées, pourtant assez franches dans leur résolution.
Les guitares sont toujours aussi chichement mélodiques, le chant parfaitement inintelligible dans ses abysses de douleur, et la rythmique inamovible, partageant son beat entre downtempo capiteux et blasts hideux. Alors, de quoi parler en cette occurrence qui n’a déjà été écrit des dizaines de fois à propos de cet obscur projet ? Simplement que BLACK CILICE continue sa route, devenant de plus en plus fort et imposant, et soignant des disques qui s’ils s’ingénient à rendre visible l’invisible des ténèbres, s’ouvrent un peu à la lumière d’un BM moins abrupt que la moyenne des productions Raw.
Cinq morceaux, tous semblables et pourtant différenciables par touches fugaces, et quarante minutes de tir de barrage ininterrompu, dans la plus droite lignée des groupes nationaux dont BLACK CILICE fait figure de leader.
Des traces d’ADN commun avec les CANDELABRUM évidemment, l’autre marque page du Necronomicon local, mais aussi des vues partagées avec les MONS VENERIS, ou VETALA, bien que chacune de ces trois références soit valide en leur nom propre.
Cinq morceaux qu’il est difficile de dissocier d’un tout, même si les harmonies vénéneuses de « On the Verge of Madness » le place en porte-à-faux d’un presque optimisme qui nous fait nous interroger sur l’avenir de la formation.
Plus de mélodies ? Moins d’agression ? Il est certain que le chant capté à des kilomètres de sa source d’émission n’encourage guère à une adaptation aux standards du BM le plus « formel », même si ces mêmes lignes vocales semblent se rapprocher d’album en album.
Mais le fond reste le même, et l’aspect « progressif », plus concret, quoique toujours très discret.
Difficile une fois de plus de gloser sur le sens d’un LP viscéral qui se respire, qui se ressent, et qui vous touche ou vous laisse de marbre.
Il est évidemment plus intéressant de l’écouter que de le lire, mais en substance, on peut affirmer qu’il est un non-changement dans la continuité, offrant une logique évolutive quasi nulle sur la ligne de carrière de ce projet portugais.
Il sonne comme une litanie Canadienne, comme une homélie macabre Ukrainienne, mais reste d’appartenance lusophone, et profondément inscrit dans l’histoire de sa propre essence.
Je n’essaie via ce laïus ni de persuader plus en amont les convertis, ni de convertir ceux qui n’ont jamais donné leur aval. Il faut juste comprendre qu’aussi massif et indivisible soit Banished From Time, il mérite son titre à bien des égards en restant imperméable à toute influence parasite, et en continuant son travail d’opacification des mélodies pour les rendre encore plus ténébreuses.
Les cassures sont toujours placées au même endroit, les harmonies amères sont souvent sur la même tonalité, et pourtant le travail séduit, puisque dans le petit monde faisandé et cloisonné du Raw Black, la course à la malséance et à la répétitivité à outrance prend des proportions grotesques, que ce quatrième longue durée refuse en se montrant plus accessible et plus « humain » dans sa déshumanisation.
Mais tel est le concept.
Hors du temps, banni à jamais. Banni par les fans de BM qui trouveront une fois de plus la tentative ridiculement minimaliste et faussement emphatique, et banni par les fans de Raw qui penseront que l’homme derrière le nom s’est vendu aux fantômes de la concession.
Mais de mon côté, je continuerai à supporter les ambitions pas si démesurées que ça d’un homme qui a foi en sa musique, aussi impénétrable soit-elle.
Et j’affirmerai même que si Banished From Time était posé en pinacle d’un style, celui-ci pourrait retrouver des lettres de noblesse qu’il n’a jamais acquises.
Titres de l'album:
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