ECR.LINF, c’est un nom de groupe étrange, mais c’est surtout une signature. Celle utilisée par Voltaire pour conclure ses courriers, et qui invitait ses correspondants à le joindre dans son combat contre l'obscurantisme, mais aussi celle qu’ont choisi des musiciens français pour exprimer leur colère. Des musiciens qui s’affilient plus facilement à notre âge de ténèbres qu’au siècle des lumières, et qui tels des gladiateurs modernes, entrent dans l’arène la rage aux lèvres et l’arme à la main.
D’abord duo, partagé entre Dorian Lairson et Krys Denhez (OPHE, NEO INFERNO), ECR.LINF est aujourd’hui quintet, suite à l’adjonction des services de figures de la scène. On retrouve donc aux côtés des deux fondateurs Jiu Gebenholtz (ex-NO RETURN) à la basse, Rémi Sefarino (ex-SVART CROWN, HYRGAL) à la batterie et Jean Lassalle (JARELL) aux claviers. Le gratin de l’extrême, le who’s who du chaos, et en tout cas, une configuration à l’efficacité maximale qui dynamite les conventions avec un premier album peaufiné depuis l’année dernière.
Dès 2023 le groupe entre au Lower Tones Place Studio (NATURE MORTE, DEMANDE A LA POUSSIERE, OMRADE) pour enregistrer sous la houlette d’Edgard Chevallier ce Belluaires, qui comme son nom l’indique, se réfère aux gladiateurs luttant avec des bêtes féroces, d’où ma comparaison initiale. Et il n’est pas vain de penser que ce premier longue-durée est aussi violent et sanguinaire que les antiques jeux du cirque, lorsque les chrétiens se faisaient bouffer par les lions et les esclaves transpercer par leurs bourreaux.
Si l’univers du Black Metal est depuis des années encombré comme une maison hantée remplie de fantômes, il garde de la place pour les nouveaux arrivants, dont les chaînes claquent encore plus fort que celles de leurs aînés et influences. Et celles d’ECR.LINF sont si lourdes et blessantes qu’une simple écoute suffit à vous écraser les tympans et éteindre toute velléité de défense naturelle.
Osons le jeu, et défions la chandelle. Belluaires est de ces albums qui marquent leur époque. Disposant d’un son gigantesque à rendre fou n’importe quel maniaque de la console, cet assemblage dense et impressionnant prend à la gorge immédiatement, pour ne plus jamais desserrer son étreinte. Mais attention, car la nuance est d’importance. Belluaires n’est pas qu’un gros grain qu’on essuie tant bien que mal et qu’on subit en attendant des jours meilleurs, il est une longue missive écrite en l’honneur des fans de BM noble, grandiloquent, intelligent et fourbe. Il est un pamphlet contre l’uniformisation, une déclaration d’intention malveillante, et plus simplement, ce qui restera sans doute l’un des plus grands disques de l’année 2024.
De par son utilisation du silence, des pauses, et grâce à une instrumentation ouverte qui s’autorise jusqu’à un accordéon à l’agonie mais totalement à sa place, Belluaires se lit par amour pour les beaux mots, les formules poétiques, ne cachant pas un contenu explicite. En gros, la quintessence de la violence domestiquée et contrôlée, comme celle des fauves que combattaient ces gladiateurs.
Cirque moderne aux numéros extraordinaires, découpé en sept tableaux plus une outro, Belluaires marque de son emphase et de sa véhémence. Mais l’expérience des musiciens impliqués permet une richesse sonore incroyable, et une succession d’idées simples, mais terriblement efficaces. Ainsi, le monstrueux et oppressant « Missive » tire parti d’un riff direct et redondant pour imposer une ambiance étouffante, alors que « Le Royaume du Vide » joue la carte de la brutalité franche avec sa partie de batterie lunaire et ses guitares assassines qui portent l’estocade fatale toutes les deux ou trois secondes.
« La Danse des Crânes », acide et fielleux comme une âme noircie par les péchés est aussi l’un des hauts-faits d’un disque qui reste bien au-dessus du niveau des cimes de qualité. On prend conscience de tout le potentiel d’un quintet qui se pave une voie royale vers la reconnaissance critique et publique, et qui dans les années à venir va conquérir un following grâce à sa créativité, et par projection, ses prestations live qu’on espère nombreuses.
Ayant passé avec une facilité déconcertante le test des écoutes multiples, Belluaires se révèle dans toute sa grandeur au fur et à mesure de sa découverte. On reste pantois face à cette production massive et pourtant aérée, face à ces morceaux qui dévoilent toujours un petit détail supplémentaire, mais surtout, face au brio incontestable de musiciens qui connaissent leur boulot, et qui le transforment en passion inusable.
Pourtant, le Black Metal, aussi ouvert soit-il se heurte souvent à l’écueil des citations un peu trop directes. Mais le talent d’ECR.LINF est justement de savoir tremper sa plume dans l’encrier du temps, sans pour autant renoncer à sa prose propre. On reconnaît la patte nordique sur l’hivernal « Mon Ultime Projection », sec comme une nature hostile et opaque comme un brouillard de janvier, mais on accepte le principe puisque les images suggérées renouvèlent le bestiaire, comme le font ces textes emprunts de classicisme.
De la préhistoire à nos jours, l’histoire s’est déchaînée sur l’Homme d’une telle violence qu’on en chercherait un coupable idéal. Alors, on pourrait commencer à faire une liste de toutes les personnalités historiques en les accusant d’avoir fait tomber l’humanité dans ses plus grands travers : une guerre mondiale par ci, une épuration par là… Mais ceci ne nous aiderait guère à faire évoluer les mentalités, on rejetterait encore une fois la faute sur autrui (aussi vil soit-il).
Quel est donc ce dénominateur commun ? Le contexte historique, économique ou idéologique ? Un peu de tout ça mais si on remonte un cran en amont, c’est le procès de l’âme humaine qu’il nous faut réaliser.
Tout est dit, ou presque dans ce paragraphe explicatif. L’âme humaine, la plus sombre, la plus inextricable, le plus sordide des mystères. Sans aller jusqu’à dire que Belluaires en dissèque les mécanismes le plus enfouis, on peut résolument affirmer qu’il en décrit les abominations cachées avec une acuité impressionnante.
Titres de l’album:
01. Le Désespoir du Prophète
02. Tribunal de l'Âme
03. La Danse des Crânes
04. Missive
05. Le Royaume du Vide
06. Mon Ultime Projection
07. Valetaille
08. Feu Pâle
"...jouer un concert en Arabie Saoudite. Un honneur absolu et un privilège. Les loups du nord apporteront la tempête hivernale à Riyad !"Un véritable honneur absolue de jouer en Arabie Saoudite, la ou les apostas sont condamnés &agra(...)
21/11/2024, 08:46
Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
19/11/2024, 21:57
J'avais pas vu cette chronique. J'étais au soir avec Ulcerate et je n'ai pas du tout regretté...Le lieu : il y a forcément un charme particulier à voir ce genre de concert dans une église, surtout que le bâtimen(...)
15/11/2024, 09:51
Le who's who des tueurs en série. Un plus gros budget pour l'artwork que pour le clip, assurément. (...)
14/11/2024, 09:20
J'imagine que c'est sans Alex Newport, donc, pour moi, zéro intérêt cette reformation.
11/11/2024, 16:15