Je regardais hier soir pour la énième fois Good Morning England, juste pour le plaisir de revoir ces vieux roublards de Philip Seymour Hoffman, Bill Nighy, Nick Frost et Rhys Ifans faire leur show en totale roue libre. Mais aussi jouissives soient les performances de ces acteurs de légende, ne nous leurrons-pas. Lorsqu’on regarde un film pareil, ou un Almost Famous, un The Commitments, ou un Across The Universe, c’est avant tout pour la musique, cette musique profondément enracinée dans notre vécu et notre culture personnelle, cette musique du passé qui n’a jamais vraiment trouvé d’équivalent dans l’approche moderne, aussi bons furent les groupes des années 80 et décennies suivantes. Ainsi, j’adore PEARL JAM, je suis même un fan hardcore, parce que j’ai connu le groupe à peine adulte, mais avec l’expérience et le recul, je comprends que leurs chansons n’auront sans doute jamais l’impact de celles de LED ZEPPELIN ou DEEP PURPLE. On est toujours attaché à la musique de sa jeunesse, cette musique qui selon les générations fut découverte sur les plateformes ou sur les ondes radio…J’ai eu la chance dans mon enfance d’écouter la programmation de musicologues lettrés sur les grandes ondes, mais le plus gros de ma culture fut de disséquer les disques de mon grand frère pour essayer d’en percer le mystère : pourquoi eux, et pourquoi ces quinze années séparant 1962 de 1977 ? La réponse dépend évidemment de votre sensibilité, mais admettons-le, personne n’a rien produit de plus magique et intemporel depuis les sixties et les seventies. Et ce ne sont pas les norvégiens de SOULS OF TIDE qui me contrediront, eux qui visiblement ont été complètement et durablement traumatisés par les sons tournoyants et l’ambiance créative des magiques seventies, ce qu’ils avouent sans détour depuis leur création.
A priori, rien ne distingue vraiment les SOULS OF TIDE d’un autre groupe lambda versé dans la nostalgie. Cette recherche sonore reproduisant les tics à l’identique, cet amour d’une patine analogique qui permet aux instruments de respirer, ces arabesques vocales légèrement orientales, tout indique effectivement une fascination pour LED ZEPPELIN, DEEP PURPLE, CACTUS, SIR LORD BALTIMORE…Et à l’image d’une PRISTINE, d’un BLACK COUNTRY COMMUNION, et de centaines d’autres fondus back in time, ce second LP d’une jeune carrière assume le postulat le plus évident : si tous ces artistes et toutes ces chansons sont passées dans la culture populaire en tant qu’œuvres incontestables et symptomatiques de leur époque, ça n’est pas pour rien. Nostalgiques donc les SOULS OF TIDE mais pas bêtement et facilement. En synthétisant toute une décennie de musique, les norvégiens ont joué la carte de la pluralité, et Black Magic, sans utiliser la magie noire, possède une aura particulière, un parfum envoutant, et une attitude totalement Rock. Sextet (Vegar Larsen - chant, Anders Langberg - guitare, Ole Kristian Østby - guitare lead, Øyvind Strõnen Johannesen - basse, Tommy Kristiansen - batterie et Kjetil Banken - orgue Hammond), le groupe se fond dans le décor, mais fait preuve d’une intelligence rare en comprenant qu’une chanson n’est bonne que si elle parvient à capter l’air du temps sans oublier celui d’avant-hier. Pas question ici donc de se borner à reproduire des recettes qui ont déjà marché, mais bien de les appliquer à un contexte d’époque contemporaine. C’est ainsi que la production, vintage évidemment, ne refuse pas la brillance et la profondeur de 2020. Les guitares sont profondes, mais éclatantes, et nettes. La rythmique pulse, et ne cherche pas l’écho mat du Bonham pour faire la maligne. Le chant, un peu fragile et instable ne prétend pas côtoyer les cimes atteintes par Plant et Gillan, et si l’orgue Hammond est omniprésent, il a la délicatesse de ne pas empiéter sur les guitares. Le tout assemblé est évidemment convaincant et prenant, mais c’est surtout cette décision d’arrêter le chrono à trente-quatre minutes qui rend Black Magic aussi pertinent. Le LP claque, laisse les idées tourner dans la tête, mais n’empeste pas le patchouli et les odeurs musquées pendant des heures.
La démarche des norvégiens n’est pas foncièrement différentes de celle des KADAVAR, GRETA VON FLEET, LUCIFER, DATCHA MANDALA et autres chantres d’un passéisme passionné. Elle n’est pas non plus si éloignée de celle des BADLANDS et KINGDOM COME, qui à la fin des années 80 commençaient à lancer une vague de remise en rail des meilleurs plans de LED ZEP. Mais il y a quelque chose de plus naturel dans leur attitude, quelque chose de plus frais et moins marketing, sans aller jusqu’à parler de sincérité (celle des groupes précités étaient sans doute bien tangible), mais on sent en écoutant « Black Magic » que les six norvégiens ne cherchent pas forcément l’effet de mimétisme pour capitaliser sur un classicisme intemporel. On apprécie cette guitare énorme qui taille le bout de gras avec l’orgue, on aime cette manière de repiquer des plans à DEEP PURPLE pour les confronter à l’académisme Rock du ZEP, mais on aime surtout le fait d’écouter de très bonnes chansons, qui respirent, qui grandissent en vous comme des souvenirs d’aujourd’hui. Les mecs sont tous bons dans leur domaine, mais c’est leur osmose qui convainc, cette unité qu’on sent derrière toutes les attaques, ce que « Voodoo Ritual » démontre fermement, cette manière très nordique de traiter l’héritage anglais, en adaptant les fondamentaux aux impératifs presque Pop des pays du grand froid. Le son de l’album étant très souple, l’écoute n’en est que plus confortable, et lorsque le groupe se laisse aller à des influences plus eighties, la magie opère toujours, puisque la seule obsession n’est pas la copie carbone, mais bien l’hommage à une musique authentique (« Firegirl »). Pas de gimmicks ici, mais des riffs qui prennent, des refrains qui fonctionnent, pas de basse flatterie de l’ego, mais une communion collective qui ne met personne en avant. Un groove incroyablement contagieux qui syncope grave (« Morning Star »), des œillades prononcées aux sixties énamourées, un peu des DOORS, un peu de CACTUS, mais aussi des ambiances aux notes en volutes (« Interlude »), et en gros, le plus important : la musique, pour ce qu’elle est, et le plaisir qu’elle procure.
Beaucoup se diront que Black Magic n’est qu’un vulgaire produit de la manufacture nostalgique, un ersatz de plus qui s’échine en vain à retrouver la grandeur et la magnificence du ZEP (« The Offering »), mais il y a beaucoup plus que ça sur cette seconde offrande, et surtout, autre chose. Autre chose qu’une simple resucée, autre chose qu’une repompe, autre chose qu’une référence. Une énergie, un tempo, une envie, une honnêteté de propos, et surtout, des tonnes de Rock qui se déverse dans nos oreilles, du Rock sans compromis, mais gorgé de mélodies (« Evening Star »). Et savoir si oui ou non les SOULS OF TIDE seront toujours écouté dans trente ans n’a pas vraiment d’importance. L’important, est qu’ils le soient maintenant.
Titres de l’album :
01.Voodoo Ritual
02.Firegirl
03.Through the Fire
04.Morning Star
05.Black Magic
06.Interlude
07.The Offering
08.Evening Star
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