Si les premiers méfaits d’EYEHATEGOD font partie de votre dose de désespoir quotidien depuis les années 90, c’est certainement parce que vous avez une conception très personnelle de la douleur musicale. Je suis moi-même tombé dans le fossé il y a longtemps, presque par inadvertance, tant ce style de Doomcore (qu’on n’appelait pas encore comme ça, encore moins Sludge d’ailleurs) n’annonçait pas grand-chose en avant vitrine, se contentant d’afficher quelques clichés de difformités diverses et autres afflictions cutanées fort peu ragoutantes. Mais la pochette ne dissimulait en rien les intentions néfastes d’un groupe qui depuis est devenu un véritable agent pathogène, et qui a influencé des milliers d’autres combos de par le monde, au point de pouvoir revendiquer la paternité d’un style hideux, que l’on a toujours autant de mal à situer aujourd’hui, même avec le recul maladif.
Dans cette liste de groupes sous perfusion, il convient d’inclure un quatuor bien de chez nous, qui de son Toulouse rose résidentiel à tendance à voir la vie en noir, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose tant de nos jours, l’existence est régie par des principes d’égoïsme, de lucidité excessive, et de renoncement tout à fait justifiés. SOYUZ BEAR nous propose donc sa vision d’une musique aussi écrasante que le poids d’un quotidien qu’Atlas lui-même aurait eu beaucoup de mal à porter sur ses solides épaules, au travers d’un premier album qui risque fort de faire date dans le paysage désolé du Doom français…
Le Doom, genre inamovible s’il en est, ne tolère aucune demi-mesure, et exige un investissement total et global. Yoann, Bast, Val et Pierrick l’ont très bien compris, et ont même prouvé leurs capacités à régurgiter le style avec vilénie sur leur première et acclamée démo, MMXV, publiée l’année dernière via Zanjeer Zani Productions, qui quelques mois plus tard nous offre donc sur un plateau CD leur premier LP, pas forcément plus engageant, loin de là… Black Phlegm de ses six longs titres confirme donc la réputation naissante des SOYUZ BEAR, qui loin d’épurer un Doom massif pour le rendre plus accessible, semblent vouloir en repousser les limites de la saleté musicale pour le transformer en marigot aux effluves immondes, tout comme leurs aînés d’EYEHATEGOD et d’IRON WITCH en leur temps. Inutile donc de vous attendre à un allègement même partiel, nos toulousains ayant formellement décidé de s’en tenir aux principes fondamentaux du style, en ne choisissant que les riffs les plus malsains, les rythmiques les plus pachydermiques, et les vocaux les plus maladifs. La symphonie est donc d’une puissance très inquiétante, et déroule ses leitmotivs nocifs tout au long de compositions qui tout en adoptant une posture statique, cherchent à faire avancer les choses en les aggravant, dans tous les sens du terme.
Guitares à l’agonie, qui trouvent dans la gravité l’exutoire indispensable à un dégoût de l’humanité et de ses travers, batterie qui cherche quand même la rupture et la trouve à l’occasion de quelques accélérations impromptues, basse qui sature au-delà de toute raison pour oppresser notre thorax, et lignes vocales en régurgitation répugnante faisant office de litanie de l’absurde, pour un résultat global qui empeste la méchanceté et les désillusions, sans toutefois s’en tenir à une métronomie rédhibitoire pour le néophyte.
En gros, c’est moche, très vilain, ça pue, c’est horrible, déprimant, mais hautement addictif, parce que préparé par des musiciens vraiment passionnés, et qui connaissent les codes de la torture par cœur. Si tant est qu’ils en aient encore un qui palpite. On se pose la question en dévorant des morceaux comme le cathartique « Scrub », qui joue l’alternance entre monolithisme forcené et crises d’épilepsie à peine contrôlée, nous soufflant dans l’oreille le glacé et le bouillant pour mieux peser de tout son poids sur notre moral déjà bien atteint. On n’entre pas dans ce disque avec une santé morale équilibrée, c’est un fait, mais on en ressort complètement exténué, et même surpris d’avoir gardé une lueur d’espoir sous le coude, croyant bêtement que les choses pourraient s’arranger. Les toulousains avec Black Phlegm sont là pour nous prouver le contraire, mais si leur flegme est remarquable et indéniable, c’est surtout leur clairvoyance qui fait mal. Il semblerait qu’ils aient choisi de synthétiser tous les travers de leur époque en un seul souffle épique de souffre, qui attise les braises de la déprime ambiante condamnant l’homme à répéter ses erreurs, encore et encore…Vous me direz que là est l’essence même du Doom, qui se ses itérations et répétitions insistent lourdement sur l’aveuglement de ses semblables, mais il y a quelque chose d’encore plus pourri au royaume des SOYUZ BEAR, qui transforme l’humanité en masse grouillante dévoyée et incapable de s’extirper de sa condition éphémère et futile.
Et bien que chaque morceau apporte sa lourde pierre au mausolée des illusions perdues, c’est finalement l’épilogue « Swollen » qui résume le mieux le travail de sape du quatuor, de ses lancinances déprimantes et de son évolution en crescendo Noisy, sans cesse interrompu par des idées encore plus glauques que la moyenne. Il devient alors très difficile d’accepter de rattacher la musique des toulousains à un simple Doom formel, tant leurs tentatives d’en repousser les névroses atteignent un point de non-retour assez catatonique. Ici, tout est fait pour vous mettre mal à l’aise, et à affronter votre reflet négatif dans le miroir, à l’aide de guitares en Némésis, de chant en thérapie inversée, et d’une rythmique qui pilonne sans cesse ses motifs écrasants, histoire d’appuyer un peu plus sur le désespoir qui nous vide de toute substance.
On sait par expérience que la vie n’est pas forcément belle, mais vu au travers du prisme de Black Phlegm, elle paraît encore plus laide, repoussante et dégoulinante de vacuité, à tel point qu’il serait possible de voir en ce premier album une affirmation de renonciation totale, et d’acceptation de l’inéluctable. Le tout s’achève non dans un fracas de cris d’épouvante, mais dans un silence absolu, témoignage de l’impossibilité de voir autre chose en l’existence qu’un chemin de croix…
Les SOYUZ BEAR signent avec ce premier longue-durée l’un des manifestes les plus nauséeux que le Doom/Sludge ait pu produire. Sans tomber dans la facilité ni la complexité hors-propos, les toulousains se permettent de proposer une musique vraiment funèbre aux atours funestes, qui se veut exploration des bas-fonds les plus horribles de l’âme humaine. On se prend à repenser à la naissance du style, même si les accointances avec les séminaux EYEHATEGOD ne peuvent servir d’unique point d’ancrage. Mais quelle sale plongée dans la déprime la plus totale, qui vous laisse à plat, et pas vraiment certain de vouloir continuer votre chemin. Un disque qu’on écoute avant de se laver les mains à grandes eaux, de peur d’être contaminé par un vicieux virus létal…
Titres de l'album:
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