Black Rain

Fish On Friday

15/05/2020

Esoteric Antenna

Pour jouer du Rock progressif, il faut d’abord en être capable techniquement. N’importe quel musicien avec quelques années de pratique n’en est pas forcément apte à développer les qualités nécessaires à l’élaboration d’un répertoire évolutif. Mais avant tout, il faut en être capable émotionnellement. Aimer le style, pour en respecter les codes suffisamment pour les transgresser de temps à autres, vouloir toucher les gens en plein cœur, les émouvoir, les surprendre, leur offrir autre chose qu’une simple démonstration vulgaire ou une digression interminable et lénifiante d’ennui. Et ça n’est pas pour rien que les plus grands noms du genre sont les mêmes depuis tant d’années. Depuis les sacro-saintes seventies qui ont vu la vraie naissance du genre. Si en 2020, les musiciens font toujours référence à PINK FLOYD, GENESIS, YES, KING CRIMSON, ELP, c’est que leur musique est éternelle. Riche d’une expérience unique, fruit de la rencontre entre le Jazz, la Pop, le Rock, le Classique, la Folk, de laquelle est née cette liberté créative absolue. On n’écoute pas un chef d’œuvre du Progressif, on s’y immerge, on y rentre comme on rentre dans les ordres, on savoure, on ressent, on imagine, on traverse des paysages, on les raconte ensuite, peinant à trouver les bons mots pour retranscrire…des sentiments. Voici le mot clé de tout travail respectable, les sentiments. Je n’aime jamais autant un album du cru que lorsqu’il suscite chez moi des sentiments contraires ou complémentaires. C’est pour ça que je me reconnais en Neal Morse, Steven Wilson, RUSH, et quelques autres qui ont le don de transcender mon quotidien musical pour le transformer en introspection, en quête d’un ailleurs, en voyage si personnel que nul autre ne peut comprendre mon ressenti. Et en écoutant le cinquième album du collectif international FISH ON FRIDAY, j’ai voyagé. Loin, longtemps après avoir terminé l’une des nombreuses écoutes du LP en question. On pourrait penser qu’avec autant de métier derrière eux, et des collaborations fameuses, les musiciens auraient été à la peine au moment d’offrir un successeur à Quiet Life, publié il y a trois ans. Mais c’est exactement le contraire qui s’est produit. Galvanisé par un resserrement des rangs, le groupe a gagné en cohésion, sublimé ses mélodies et son inspiration.

De quintet, FISH ON FRIDAY est passé au quatuor. Le claviériste William Beckers s’en est allé l’année dernière, laissant Frank Van Boaert (chant/guitare/claviers), Nick Beggs (basse), Marty Townsend (guitare) et Marcus Waymaere (batterie) se débrouiller entre eux. Le résultat ne s’est pas fait attendre, et nous arrive sous la forme d’une heure de musique et onze nouveaux morceaux, parmi les plus énergiques et solaires de l’histoire du groupe. Sous sa pochette cryptique d’un immeuble anonyme, Black Rain est un nouveau concept, prenant acte de la dérive en perdition du monde. Changement climatique, situation désespérée des réfugiés, climat politique proche de la démence, tout y passe et le constat est sans appel : le monde tel que nous l’avons connu vit certainement sa dernière transition vers un nouvel âge dont nul ne connaît les contours. Entre les mains d’autres musiciens, ce constat se serait accompagné d’une musique tragique, plombée, lourde, déprimante. Mais entre les mains de FISH ON FRIDAY, la fin de non-recevoir atteint des sommets de beauté et de pureté. Constante dans l’album, les arrangements sonores et les transitions. Ils assurent le lien entre les chapitres, et renforcent la cohésion, comme Sgt Pepper. Mais loin du psychédélisme de la référence et de son côté tape-à-l’œil, Black Rain se veut aussi simple et beau que le sourire d’un enfant, et aussi dense et complexe que les rapports humains. Encore une fois, on note la participation de Lula, fille de Nick au chant, sur quatre morceaux de l’album, suite au bon accueil de son apport sur Quiet Life. Mais aussi précieux soit cet apport, c’est le travail des quatre musiciens qui force l’admiration, une admiration manifeste dès les premières minutes du magnifique « Life In Towns ». Revendiquant toujours l’influence d’ALAN PARSONS PROJECT, PORCUPINE TREE ou TEARS FOR FEARS, FISH ON FRIDAY tient à marquer sa singularité, tendant parfois à se rapprocher d’une Pop progressive pas si Rock que ça, cette Pop que l’on ressent sur le sublime « Mad At The World », pourtant noir de son texte, et qui développe des arrangements magnifiques. Enterrée dans le mix, la voix de William Beckers est toujours aussi pure et belle. Le chanteur ne recherche pas les effets faciles, le vibrato appuyé, et tient les notes juste ce qu’il faut. Le clavier, toujours aussi modeste, soutient la structure, mais ne dérive pas vers les récifs pomp si dangereux à éviter. Et l’équilibre des quatre participants est admirable de respiration. On s’en rend compte en écoutant « Murderous Highland Highway », huit minutes de délicatesse instrumentale, avec notes éparses, et ambiance à la Devin Townsend passé au prisme de la Synth-Pop suédoise. Tout est souple, généreux, coulant de source, et vivifiant. On en vient presque à voir l’avenir avec espoir et clémence, ce qui en dit long sur l’effet produit par cette musique.

Loin d’imposer de longues plages d’une dizaine de minutes ou plus, le collectif continue de concentrer son propos sur cinq ou six, nous laissant juste le temps d’apprécier pleinement les idées avant de passer à autre chose. « Letting Go Of You » rappelle ENYA, et la voix de Lula, elle aussi humble et belle sait se mettre en avant sans mettre les autres en arrière. Sa fusion avec le timbre de William est magique, et le morceau n’en ressort que plus grand. Bien évidemment, les amateurs de sensations fortes et de prouesses techniques en seront pour leurs frais. Ici, pas d’esbroufe, du réalisme harmonique, et beaucoup de sensibilité. De la délicatesse rythmique, beaucoup de vérité, et un « Angel Of Mercy » qui traverse la mémoire comme une inconnue traverse une ville la nuit. L’ombre des grands ensembles cache la lune, et pourtant sa face cachée fait une apparition en inspiration divine d’un PINK FLOYD des grandes années, 73/75. Mais la Pop, la vraie, l’authentique est bien présente, avec des inserts prononcés, et un bondissant « We’ve Come Undone » à la basse galvanisante. On pense à un Neal Morse en villégiature à la campagne, pensant une musique urbaine mais apaisée, mais la vraie identité de FISH ON FRIDAY transperce chaque sillon numérique de Black Rain. On peut se laisser surprendre par le jumpy « We Choose To Be Happy », qui sonne comme un tube de R.E.M repris par Roland Orzabal, ou par « Trapped In Heaven » qui associe complexité rythmique tribale et pureté des lignes de cordes. Mais ce qui choque surtout, c’est cette facilité déconcertante avec laquelle le groupe tisse des textures et joue avec des thèmes, les transformant légèrement d’un titre à l’autre tout en gardant un fil conducteur, à la manière d’un MARILLION minimaliste.

Et lorsque le voyage s’arrête à la fin de l’onirique « Diamonds », on se dit finalement que tout n’est peut-être pas perdu. Que nos enfants et nos petits enfants auront le courage de changer le monde, de le rendre meilleur, moins injuste, de comprendre que notre propre intérêt n’est pas nos intérêts, mais celui d’un ensemble plus grand que la somme des individualités. Alors peut-être qu’un jour nouveau naîtra, au son d’un Black Rain que les générations futures se transmettront comme un secret magique venu du passé.     

                         

Titres de l’album :

                       01. Life In Towns

                       02. Murderous Highland Highway

                       03. Black Rain

                       04. Mad At The World

                       05. Letting Go Of You

                       06. Angel Of Mercy

                       07. We’ve Come Undone

                       08. Morphine

                       09. We Choose To Be Happy

                       10. Trapped In Heaven

                       11. Diamonds

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par mortne2001 le 20/10/2020 à 17:13
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