Voilà le retour d’une des figures les plus controversées du Black Metal américain. Non pour ses prises de position politiques ou d’un quelconque comportement borderline, mais pour sa propension à se foutre de la gueule du monde en assouvissant ses addictions en escroquant à peu près tout le monde. Je ne vais pas vous refaire la bio de Blake Judd, mais son passé de scammer lui colle aux basques comme un vieux chewing-gum, à tel point qu’il s’est mis une bonne partie du milieu à dos, allant même jusqu’à se moquer de ses fans en sortant un t-shirt grotesque. Séparer l’œuvre de l’artiste ? Si vous n’êtes pas tombé dans ses filets, c’est toujours possible, et moins grave que des allégations d’agression sexuelle. Alors, pour le temps d’une chronique, je vais faire fi de cette réputation désastreuse et me baser sur la musique de ce dernier long, le premier depuis Ancient Howls of Dawning Fury en 2018.

Mais avant de plonger dans les eaux troubles de Blight Privilege, quelques mots de son auteur semblent pertinents :

Comme un tireur d’élite, chaque chanson de Blight Privilege touche sa cible. Les éléments les plus sombres et attendus, sont là : des voix dures et coupantes, le bourdonnement féroce et le ronflement de guitares brûlant d’un feu glacé, des moments de beauté extatique et exaltée dans des paysages sonores infernaux. Mais il y a aussi ces détails que Judd a toujours astucieusement cachés dans cette agression sonore générale, ces éléments Post-Punk et Wave, et maintenant même une pointe de Country outlaw. Blight Privilege relie NACHTMYSTIUM à ses jours de gloire, non pas comme une réminiscence nostalgique, mais comme une suite tournée vers l’avenir et la prochaine étape de l’évolution.

A vous maintenant de faire le tri dans ces informations, évidemment avantageuses - promotion oblige - mais qui décrivent avec une certaine acuité le contenu d’un album qui résonne déjà comme un classique du genre, et un haut-fait de la carrière du groupe. Le silence de ces six dernières années semble avoir porté ses fruits, puisque le fantasque américain nous offre un spectacle ininterrompu, intégral, entre Black traditionnel des racines norvégiennes, et expérimental modéré à l’américaine. Toutefois, pas d’avant-gardisme à craindre, la musique de NACHTMYSTIUM restant concentrée sur ses options, allant même jusqu'à fouiller les coffres de la cave pour y chiper des plans que BATHORY utilisait dans les années 80.

L’art de Blake est d’être capable de sonner mainstream et Metal sans se compromettre dans une opération séduction populiste. A l’image d’ABBATH et du DARKTHRONE de ces dix dernières années, Blake compose parfois des titres si accrocheurs qu’on en viendrait à tout lui pardonner. Je cite pour exemple l’irrésistible « Predator Phoenix », entre Metal et New-Wave, qui ose un riff redondant et une basse Post-Punk, validant ainsi les points soulignés dans le laïus promo. Difficile de ne pas dodeliner du chef sur un morceau pareil, après lequel court CRADLE OF FILTH depuis sa naissance, et qui groove autant qu’il ne colle au sol, comme si les STRANGLERS, CARCASS et WIRE unissaient leurs forces pour produire le single du siècle.

L’équilibre trouvé entre la brutalité et les œillades énamourées est tout bonnement stupéfiant. Blake n’a rien perdu de ses capacités, et nous aborde avec la morgue des bandits talentueux que l’on excuse toujours. Il remet d’ailleurs le couvert avec le très roots « Conquistador », qui brosse un tableau saisissant de la prise d’un port par RUNNING WILD copiant les tactiques de Quorthon. Cette façon de partager son inspiration entre efficacité et brutalité à quelque chose de surnaturel, et une fois encore, la magie opère. On sent que le bonhomme a de la bouteille, et qu’il est toujours capable de nous prendre par les sentiments. La production étant imperfectible, avec une voix noyée d’effets, le confort d’écoute est maximal, mais le résultat est aussi evil que n’importe quelle sous-production colombienne.

« Survivor’s Remorse » et  « The Arduous March » en témoignent. Ces deux longues suites illustrent le côté plus progressif de NACHTMYSTIUM, plus lancinant et atmosphérique, à la limite du DSBM, mais gardant ce côté âpre qui proscrit les atermoiements inutiles. Une belle panoplie de riffs simples mais amples, des chœurs fantomatiques, et un raclage de gorge en bonne et due forme, et surtout, une atmosphère très vilaine, qui prend aux tripes, et vous fait glisser le long de la pente de la dépression.

Ce neuvième chapitre de la saga est certainement l’un des plus contrastés. Les esprits frappeurs tournent à plein régime sur « Blind Spot », et sont encouragés par quelques nappes de claviers qui tournent en arrière-plan, alors même que la guitare ne mouline le même thème jusqu’à l’écœurement. La voix de son maître est toujours aussi puissante et impressionnante, et ce désir de rester ancré dans les nineties tout en assumant son ancienneté à quelque chose de fascinant.

Le meilleur de tous les mondes. Voilà le constat que l’on peut porter une fois Blight Privilege digéré. En quarante-quatre minutes, Blake Judd fait le tour du propriétaire, se rappelle de son parcours chaotique, se laisse aller à la mélancolie sur un solo pur et clair, et exige de sa rythmique des performances historiques. Il est évident que Blake ne vendra jamais son terrain, y veillant jalousement comme un paysagiste misanthropique.

Achetez ce disque. Certes, pas forcément par le biais de son concepteur sous peine d’attendre indéfiniment une rondelle qui n’arrivera jamais et vous enfilera bien la vôtre. Pardonne-t-on aux gens surdoués leurs écarts de conduite ? Pas forcément, mais on passe l’éponge pour un court instant histoire de savourer leur talent.      

Titres de l’album :                                              

01. Survivor’s Remorse

02. Predator Phoenix

03. A Slow Decay

04. Conquistador

05. Blind Spot

06. The Arduous March

07. Blight Privilege

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