On sait depuis longtemps que le métissage sied bien au Metal. Et la Fusion, ou le Crossover selon votre terme préféré ont produit des albums considérés à juste titre comme des classiques qu’il serait vain d’énumérer ici. Mais s’il est un style qu’on imaginait mal s’accommoder avec la puissance et la violence du Metal, c’est bien le Jazz. Pourtant, depuis les exactions de la famille Ipecac, les délires de Jon ZORN, et les déviances multicolores de SHINING, le Jazz a prouvé que son ADN était tout à fait compatible avec celui du Metal extrême, pour peu qu’il soit joué à la manière d’Ornette Coleman : free.
En effet, le Free Jazz comme son nom l’indique, avec ses envolées chromatiques et ses dissonances est le petit ami parfait pour une belle femme métallique aux contours charnus, mais au profil irascible et instable. Les deux génèrent évidemment beaucoup d’électricité durant leur union, des fulgurances en triphasé à faire sauter les plombs d’une usine de fonte, mais aussi des embrassades sous le gui d’une douceur incroyable lorsque madame exprime tout son amour pour les watts les moins amplifiés. Et il n’est donc guère étonnant de constater que l’ensemble australien VALTOZASH célèbre cet amour avec une acuité sans précédent, en trouvant le juste équilibre entre le caractère foncièrement viril du Metal, et les sinuosités charnelles mais sauvages du Free Jazz.
VALTOZASH is the world's first jazz-metal big band
C’est ainsi que se présente ce petit orchestre de Brisbane City, en toute humilité. Composé d’une trame instrumentale en trio classique (James McIntyre - guitare, Zac Sakrewski - basse et Ben Shannon - batterie) sur laquelle viennent se greffer toute une famille de cuivres complètement barges, mais capables, avec pas moins de six saxos (Julian Palma, Martin Kay, Andrew Ball, Connor Sharpe, Yori Dade, David Cox), cinq trompettes (Zac Chambers, Simon Ward, Philip Harden, Jacob Hills et Dan Brown), et quatre trombones (Moniqua Lowth, Jamie Kennedy, Antony Visser et Seans Mackenzie), VALTOZASH est le genre de groupe un peu fou dont la vision de la musique s’accorde mal avec une normalité commerciale. Vu de l’extérieur, tout ceci ressemble à un pari désespéré, une communion impossible entre deux publics bien différents, mais vu de l’intérieur, on comprend immédiatement pourquoi les australiens ont cru pouvoir unir les mains des deux familles en toute confiance.
Ainsi, la doublette « Boiling Solitude » / « Too Many Eggs, Too Many Baskets » démontre en douze minutes pourquoi ce mariage est valide et soutenu par moult témoins. Sur une assise rythmique totalement Extreme Metal, le groupe s’amuse de ses propres digressions, mais propose une magnifique complémentarité entre les instruments, et ose des arrangements dignes d’une BO de road-movie improbable, quelque part entre Sydney et Melbourne. Un road-movie qui sent bon la poussière, le désert, les confessions intimes, les longs silences de nuit pudiques, et cette musique s’envole vers des paysages tantôt luxuriants, tantôt ascétiques et désolés.
Le génie du groupe, outre sa capacité instrumentale largement au-dessus de la moyenne, est d’avoir joué crânement sa carte de big-band sans retenue. Les passages violents sont dignes d’un Death autrichien, tandis que les passages vraiment jazzy nous ramènent parfois à la Nouvelle-Orléans, en plein mardi-gras, avec ses touristes amusés et ses locaux pas dupes. On pense aux passages les plus cartoonesques du Devin Townsend de « Bad Devil », on pense à un DIABLO SWING ORCHESTRA plus trash et moins obsédé par le vaudou et la danse de bal, mais on pense aussi parfois au Zeuhl si cher à Christian Vander et ses suiveurs, lorsque les chœurs fantomatiques prennent le dessus sur l’instrumentation déjà très dense.
L’autre coup de génie du groupe, est d’avoir laissé quelques parties de chant libres, afin que la voix monstrueusement grave et glauque de Cameron Whelan fasse son office d’outre-tombe. La voix caverneuse du vocaliste confère une patine encre plus agressive au concept, et domine de son timbre raclé quelques passages qui n’en deviennent que plus intenses. Mais le réel talent des musiciens est d’avoir agencé leur album comme un tout découpé en parties, et non pas d’avoir assemblé des parties pour en faire un tout.
Boiling Solitude est donc une longue symphonie pas si folle qu’il n’y parait au départ, avec des moments de pure musicalité, comme ce « Witness Me », au groove incroyable, qui laisse une rythmique totalement Heavy et déconstruite soutenir un ballet de trompettes et de saxos pour produire une sorte de proto-Funk totalement contagieux et euphorique.
Vous l’aurez donc facilement compris tout ceci n’est pas qu’un fantasme de musicien, et le grand public peut largement y trouver son compte. Entre les allusions au véritable Jazz tel qu’il était pratiqué dans les années 70, les stridences de son cousin tordu le Free qui mettra l’écume aux lèvres des fondus de l’équilibrisme, et les poussées de fièvre Metal toujours atténuées par une mélodie sous-jacente, Boiling Solitude est une œuvre riche et dense, qui trouve son acmé sur le long « Pedalling E », qui pendant neuf minutes s’amuse avec les possibilités du mi sans manque d’inspiration. Les soli sont magnifiques, les anches sont chaudes et caressées par des lèvres expertes, les percussions malmenées par un batteur qui frappe ses peaux au lieu de les caresser, et on ressort de l’écoute de cet album galvanisé, heureux, et certain que le monde peut parfois réserver de belles surprises, pourvu qu’on accepte l’ouverture aux autres.
Et le ballet final outrancier et hystérique de « Through the Fire and Flames » de nous convier à une dernière danse autour du feu, célébrant l’unisson des cuivres dans un orgasme des sens. Magnifique, époustouflant, énergique, fou, cet album des australiens est le meilleur remède à la morosité ambiante. Et sans prescription, ni effets secondaires.
Titres de l’album:
01. Stefulj
02. Boiling Solitude
03. Too Many Eggs, Too Many Baskets
04. Children of Fuel
05. Witness Me
06. Pedalling E
07. Through the Fire and Flames
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