Après Frontiers, c’est au label américain I, Voidhanger Records de lâcher les chiens, et autant dire que la curée a un goût beaucoup plus sanglant. On connaît l‘inclinaison de la maison de disques envers les groupes originaux, bizarres, étranges, expérimentaux, et avec cette salve de sorties, cette dite inclinaison de voit renforcée, notamment avec cette première incongruité brutale qu’est SKYTHALA. Selon la légende, SKYTHALA serait issu d’un label underground connu sous le nom de Moonlight Cypress Archetypes, et ses membres viendraient de Knoxville et Nashville, Tennessee, mais aussi du New Jersey, ce qui ne fait qu’épaissir le mystère qui entoure cette première réalisation…tout sauf franche et claire.
SKYTHALA dans les faits, incarne le meilleur de l’avant-garde, si décriée lorsqu’elle est promue par des groupes aux gimmicks faciles et à la cacophonie trompeuse. En six morceaux seulement - mais de gros morceaux - Boreal Despair évoque comme son titre l’indique une crise d’angoisse sous l’aurore boréale la plus étrange qui soit, et entre larmes et rires sardoniques, entre riffs déviants et chant sous-mixé, SKYTHALA nous entraîne dans un voyage unique, dont on revient profondément transformé.
Construit autour d’une progression en six compositions de plus de huit, neuf et dix minutes, Boreal Despair dégage une mystique impénétrable, et traduit dans un vocable étrange le langage d’un Black Metal décomplexé, débarrassé de tous ses automatismes, et d’un Metal extrême lisible en transversal. Mixé et masterisé par Simon Da Silva au The Empty Hall Studio, ce premier long de près d’une heure de jeu reste opaque, ne délivre des indices qu’au compte-gouttes, et dégage une sensation de plénitude autant qu’une divagation énigmatique entre les époques.
Pour simplifier le tout, I, Voidhanger propose de vendre ce disque aux fans de GORGUTS, KRALLICE, HAUNTER, et COSMIC PUTREFACTION. Si les comparaisons sont plus ou moins viables, autant dire que SKYTHALA se détache de la concurrence par un art féroce de la composition à tiroir, empruntant au Progressif des années 70 tout comme au néo-classique russe d’Igor Stravinsky. Et si le Black traditionnel n’aime rien de plus que s’accrocher à un riff unique qu’il traîne sur de longues minutes, SKYTHALA ose les virages, les déviations, les arrêts brusques et les reprises brutales pour parvenir à ses fins.
Fins que l’on ignore d’ailleurs. Car entre des interventions de cordes dissonantes et jazzy, des trombones qui s’époumonent, des bassons épais comme du béton, des passages techniques ultra-rapides et des licks de guitare surnaturels, ce premier album prône une différence chèrement acquise, et s’y accroche comme un pou à une tignasse dense.
Aussi bestial, clinique et brutal qu’il n’est viscéral et agressif, Boreal Despair trempe sa plume noire de fiel dans les couleurs chatoyantes d’une aurore boréale apocalyptique. Conçu comme un tout, il est donc indivisible, malgré ses morceaux clairement délimités, et s’appréhende comme un trip immersif dans la psyché perturbée d’une poignée de musiciens aussi doués et disciplinés que libres et affranchis. « Eternal Nuclear Dawn » en ouverture dessine le décor, présente les personnages, brosse une atmosphère lyrique et symphonique tout en amadouant le fan d’avant-garde de son approche de biais.
En dix minutes et un titre, le groupe américain fait tomber les barrières, écorche les réticences et mutile l’appréhension. On est immédiatement happé dans un univers fantasmagorique, à base de cris se mêlant aux guitares assassines, d’une discordance permanente, et d’un décorum aussi étrange que malsain, comme si DEATHSPELL OMEGA et KRALLICE croisaient le fer dans les couloirs d’un château abandonné.
Il faut évidemment être rompu à l’exercice de l’extrême bizarroïde pour apprécier l’objet. On n’écoute pas un morceau comme « Rotted Wooden Castles » comme on avale vite fait un pamphlet Black de trois ou quatre minutes truffé de blasts, et il vaut mieux savoir regarder la réalité à l’envers pour se laisser séduire par ce monde à la Lovecraft noyé dans les ténèbres chromatiques.
Pourtant, la démarche est tout sauf élitiste, juste incroyablement fertile, truffée d’arrangements spectraux, acceptant le silence d’un instrumental développé, avant d’attaquer l’auditeur et l’agresser d’une fulgurance de brutalité. Comme un chemin délaissé par un urbanisme galopant, Boreal Despair est une aventure chaotique, un trajet infernal, et un conte intraduisible dans un langage universel.
« At Dawn They Walk », chaos sublime, interrompu par des accents classiques, « Yielding Quivers Of Revolution » clôture infernale et traumatique, SKYTHALA va jusqu’au bout de son concept, et nous livre là un album passionnant, qui exige évidemment de nombreuses écoutes pour commencer à se révéler. Et si vous ne percez pas son secret à jour, n’ayez pas d’inquiétude : vous aurez fait tout ce que vous pouviez.
Titres de l’album :
01. Eternal Nuclear Dawn
02. Variegated Stances Of Self Mockery
03. Boreal Phrenological Despair
04. Rotted Wooden Castles
05. At Dawn They Walk
06. Yielding Quivers Of Revolution
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