Il y a peu, une anecdote confondante m’était narrée. A la question « et que veux-tu que le Papa Noël t’apporte cette année dans tes petits souliers ? », la nièce d’une amie proche a répondu tout de go « un iPhone 14 ». Demande certes courante dans notre monde virtuel, mais plutôt inhabituelle de la part d’une enfant de…6 ans. Alors, lorsque les ILLUSION nous parlent de naître dans une époque de technologie, on comprend assez vite que la formule n’est pas métaphorique, mais bien concrète et viable.
Notre monde est en effet régi par des lois de communication simples : pourquoi se rencontrer IRL quand on peut se parler via smartphone ou webcam interposé ? Pourquoi se déplacer pour acheter un produit en magasin, alors qu’on peut le commander sur le Net et se faire livrer at home ? Pourquoi vérifier des informations douteuses alors que de nombreux sites les relaient avec une confiance affichée ? Autant de questions qui mettent au rebut la communication et la logique des plus élémentaires, et qui donne à réfléchir quant à l’avenir sombre qui nous guette derrière les écrans de fumée…
Et pour aborder cette thématique d’époque, quoi de mieux qu’on bon Thrash bien fumasse, Heavy aux entournures, et proposé par un trio ibère méchamment en colère contre l’immobilisme de ses contemporains ?
ILLUSION n’est certes pas un nom connu sur la scène espagnole, malgré un premier EP publié il y a quatre ans (Liberty for Sale). La liberté à vendre, la technologie envahissante, les tracas sont d’importance, et formidablement bien traités par Iván Mora (basse/chœurs), Uri Yerga (guitare/chant) et Richard Lionheart (guitare/chœurs). Soutenus à la batterie par Víctor Valera, les trois musiciens s’en donnent donc à cœur joie en se vautrant dans le Thrash le plus intelligent des rayonnages de la nostalgie, et clairement influencé par la référence américaine en la matière. En résultent des morceaux solides, chargés en riffs velus et en fills charnus, et assez proche de ce que la Bay-Area a pu produire de plus méchant dans les années 80/90.
Au cas où vous souhaiteriez humer un échantillon avant d’acheter, laissez-vous tenter par la violence brute de « Lost Generation », génération perdue de l’isolation ardue, comme ces adolescents passant des heures sur leur téléphone au lieu de s’aérer la tête dans les bois. « Va jouer dehors et pose-moi cette tablette ! », telle pourrait être l’injonction globale hurlée par ce premier album aux allures de classique de la nouvelle vague de Thrash européenne, qui loin d’être bas du front et linéaire, se veut progressif, efficace et suffisamment varié.
La mouvance old-school se contentant souvent du strict minimum, il est agréable de tomber sur un groupe qui se creuse un peu la tête et ne se contente pas de plagier METALLICA, EXODUS ou SLAYER. Entre CRIMSON SLAUGHTER et WARFECT, ILLUSION distille de l’ibère sévère, et nous massacre les esgourdes de ses accélérations fulgurantes, et de ses plans médium assassins.
Réservoir d’hymnes qu’on pressent déjà méchamment killer en concert, Born in Technology est à l’image de l’époque qu’il décrit. Féroce, un brin misanthrope, pas avare de coups, souvent à la limite du Thrashcore, mais toujours fermement ancré dans une tradition Metal. Entre un ANNIHILATOR sous stéroïdes (« Born in Technology », qui soulève la fonte et réchauffe l’atmosphère de la salle de muscu), et un GRIP INC syncopé (« Legacy of Greed »), ILLUSION trace sa route avec une confiance insolente, et nous sert encore bouillants des tueries de masse, de celles que les Etats-Unis produisaient à la chaîne à la fin des années 80.
Tellement intense qu’on hésite même à dégainer l’étiquette de Death/Thrash, Born in Technology est un album cathartique, qui nous permet de guérir du virus de la redite générique, malgré un fond résolument traditionnel. Mais les guitares sont tellement épaisses et malmenées (« Mr. Death »), la batterie sauvagement maltraitée (« Citizenfour »), et les sens flattés (« La Nº7 (o Los Cuatro Gilipollas de Siempre) », up-tempo guilleret qui fait tomber le couperet), qu’on accepte le deal avec plaisir, d’autant que cette drogue est sans effets secondaires.
Sans aller jusqu’à parler de classique en puissance, Born in Technology se détache suffisamment de la production moderne et monotone qu’on lui accorde des faveurs largement méritées. D’autant que le trio nous fait le coup de la grosse basse pleine de stupre avant de nous éclater d’une syncope mortelle via « Titans of the New World », que Dave Mustaine aurait pu placer sur le dernier MEGADETH.
Ibères en colère, remontés contre une génération de trouffions de la fausse communication, ILLUSION impose son point de vue, son sens de l’accroche, et sa violence saine. Avec ce premier album, le trio va se faire une place au soleil de la brutalité, et éventuellement, faire réfléchir les masses quant aux dangers réels d’un monde trop virtuel.
Born in Technology vs boring technology.
Titres de l’album :
01. Born in Technology
02. Legacy of Greed
03. Lost Generation
04. Masters of Disaster
05. Mr. Death
06. Citizenfour
07. La Nº7 (o Los Cuatro Gilipollas de Siempre)
08. Titans of the New World
09. Bella Ciao
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