On les construit, petit à petit, sans vraiment le savoir ou au contraire, consciemment. La première brique est sans doute celle qu’on remarque le moins. Un mot qu’on ne dit plus. Un sourire qui s’efface progressivement. Et puis les autres s’empilent. Ils ne ressemblent pas forcément à la pièce rectangulaire qui forme l’ensemble, et pourtant, ils en sont indéniablement. Ça peut être un smartphone qu’on utilise un peu trop souvent, un écran derrière lequel on se cache. Un ami à qui on ne donne plus de nouvelles. Des sentiments qu’on cache pour ne pas se révéler dans sa vraie nature. Et puis les mensonges, anodins ou plus cruels qui s’amoncèlent. Une porte qu’on n’ouvre plus. Des yeux qui se ferment sur l’atrocité du monde, mais l’un dans l’autre, l’une sur l’autre, les briques s’imbriquent, la structure monte, et on se retrouve un beau jour de l’autre côté, sans possibilité de retour. On dit que l’amour finit par renverser les montagnes et les faire tomber. Mais si l’amour est une pioche qui casse les briques une par une, encore faut-il avoir l’envie de la manier. Les MUR. Ces MUR qu’on érige pour se protéger de l’extérieur, cet extérieur qui fait peur parce qu’on ne le connaît pas, parce qu’on a peur qu’il s’insinue chez vous, ce joli jardin bien tondu, cette âme sombre qui ne doit être lue qu’en transversale, ces yeux qui ne voient que ce qu’ils ont de plus proche et souvent de moins important…Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi on les construit, alors même que les menaces extérieures se multiplient. Mais il n’est pas non plus difficile de comprendre qu’une fois coincé derrière, on n’existe plus que comme cellule d’une immense prison émotive qu’aucune clé chimique ne pourra ouvrir. D’un autre côté, et artistiquement parlant, le MUR a souvent servi de thématique aux artistes pour expliquer une démarche individuelle, pour formaliser la singularité, le blocage. Roger Waters en avait construit un pour sauvegarder la paranoïa de Rock Star de son alter-ego, Paul Auster en avait utilisé le concept pour donner corps à un absurde et poser les bases d’une logique inexistante, le bloc communiste en avait imposé le gigantisme pour bien marquer la scission entre liberté et surveillance…Mais aujourd’hui, le MUR est plus grand, plus compact, plus noir, et personne ne songerait à y grimper pour voir ce qui s’y cache derrière. Car ce qui s’y cache, c’est une somme d’influences qu’on ne veut pas accepter, ce sont des comparaisons que l’on veut à tout prix éviter, c’est une communication qui s’échappe du ciel pour ne pas être altérée…
Plus prosaïquement, MUR est aujourd’hui un sextet live. Et le groupe avait besoin de cette puissance pour retranscrire en concert la démesure de sa musique qui a atteint un niveau de maturation impressionnant. Quatre ans après un premier EP pris en charge par Dooweet, les parisiens ont subi quelques ajustements, accueilli de nouvelles têtes, mais peuvent toujours se reposer sur une base solide. Leur destin étant cette fois-ci entre les mains d’autres passionnés, ceux des Acteurs de l’Ombre, les musiciens peuvent afficher une confiance tout à fait justifiée. Et en quatre sorties simultanées, le label prouve encore s’il le fallait qu’il est l’un des plus éclectiques de l’extrême et de l’underground. Car Brutalism ne ressemble en rien au reste de leur production, qui elle-même présente des signes de multiplicité et de complémentarisme évidents. Osons le dire, et affirmons quelque peu. MUR est sans doute possible le groupe le moins marqué par le Black Metal de leur écurie. Les instrumentistes (Julien Granger - batterie, Alexandre Michaan - clavier, Thomas Zanghellini - basse, Benjamin Gicqaud - guitare, Jay Moulin - chant et Benjamin Leclere - guitare), venant tous d’horizons différents, n’en utilisent qu’une partie des codes, et notamment cette envie d’amplifier tous les modes d’expression pour abandonner toute concession, mais en toute franchise, la musique qui se dégage de ce premier longue-durée est aussi ancrée dans le Post Hardcore qu’elle n’échappe à une catégorisation trop poussée. On retrouve le langage employé sur l’éponyme début, ces structures mouvantes, ces stridences prononcées, cette façon d’intégrer des sons synthétiques dans un contexte mécanique, mais les progressions, l’ambiance générale, les détails, le chant, tout semble relié à une scène Hardcore vraiment jusque-boutiste qui nous rappelle les COMITY, groupe duquel Thomas Zanghellinia fit partie. On trouve aussi quelques traces éparses du NEUROSIS le moins enclin aux concessions, mais finalement, ce qu’on trouve est terriblement personnel, à l’image sonore de l’impitoyable « Red Blessings Sea » qui nie presque toute notion de musicalité pour emplir l’espace sonore de cris, de distorsion excessive, d’arrangements électroniques savamment dosés, et de hurlements écorchés. Et de fait, MUR prouve avec Brutalism que la violence et le ressentiment peuvent parfaitement s’accorder à la notion d’isolement, isolement sur une scène française qui rejette le cloisonnement, mais qui l’accepte pour ne pas avoir à assumer des influences gênantes. Chez nous, entre les murs de notre hexagone, on tient à sa singularité, et on ne souhaite pas la partager. C’est sans doute pour ça qu’on se repose sur une ouverture inclassable comme « Sound of a Dead Skin », multipliant les cassures rythmiques pour mieux faire valser les harmonies au plafond.
Sans jouer les vieux mystérieux, l’énigme MUR n’est pas des plus faciles à résoudre. Les nœuds des guitares sont solides et inextricables, et les humeurs changent d’un morceau à l’autre. Si le style suit un fil rouge, la façon de le formaliser est devenue différente, comme pour échapper à une facilité. Le groupe de 2015 est toujours là, en parenthèses, en interstices, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il a réussi son pari, à savoir affirmer encore plus son individualité, en s’en remettant à une confiance totale. Ce qui nous donne des dérivations qui pour une fois suivent les tranchées d’un Black intense et sans pitié (« Nenuphar »), tout en acceptant d’autres possibilités Post en brisant l’avancée de façon nette pour imposer des sons clairs et des murmures plus discrets en arrière-plan. Bien sûr, Post ne rime pas forcément avec THE OCEAN ou ALCEST, tout comme Black ne rime pas non plus obligatoirement avec MARDUK ou EMPEROR, et le traitement offert par les parisiens aux références qu’ils citent reste très personnel. Et en presque cinquante minutes de musique, sans en avoir l’air, les instrumentistes/créateurs se permettent justement de repeindre le mur à leur façon. Et s’ils cherchent généralement la déconstruction globale, ils ne se privent pas pour autant d’oser quelques thèmes plus accrocheurs, des motifs mémorisables, avant de les fracasser sur l’originalité d’un crossover global (« You Make I Real »), pour mieux terminer leur course dans les bras d’un Ambient qui apaise les tensions, mais n’éclaircit pas pour autant l’horizon.
Classique quand il le faut, mais toujours en porte à faux entre les extrêmes (« My Ionic Self », Sludge, Post Hardcore, BM, Post Punk), MUR se cache derrière sa façade et hurle. « Rien ne peut être fait sans la solitude. » disait Picasso. Brutalism n’est donc que le reflet de la violence qui émerge de l’absence de communication, lorsque les briques obstruent le ciel de la compassion.
Titres de l’album :
01. Sound of a Dead Skin
02. I am the Forest
03. Nenuphar
04. Die Kinder Tanzen Um Das Feuer Desjenigen Der Das Licht Bringt
05. Third
06. My Ionic Self
07. Red Blessings Sea
08. I See Through Stones
09. Livity
10. You Make I Real
11. BWV721
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