L’émotion. Juste l’émotion. Qu’elle soit cathartique, exubérante, mais surtout, qu’elle soit authentique, qu’elle transpire d’une œuvre comme la peinture coule des doigts et le sang de l’âme. Sentir, ressentir, souffrir, être bousculé, sorti de sa zone de sécurité, qu’on hurle, qu’on trépigne, qu’on en vienne à haïr ce que l’on ressent, mais qu’on puisse se sentir enfin vivant et maître de son destin, malgré les coups de la vie, malgré cette douleur sourde qui vous coupe les jambes mais pas l’espoir. La musique est un art, et n’est donc pas logique, car s’il le devient, il perd son essence. Il faut continuer à chérir l’imprévu, le discordant, l’inhabituel, l’illogique, car ce sont les seules échappatoires à la normalité abusive d’une routine qui nous enterre progressivement. Et Kristin Hayter sait tout ça, elle qui transforme ses traumas en expériences sonores, comme beaucoup d’interprètes avant elle. Le néophyte n’ayant jamais entendu - ou plutôt « éprouvé » - son approche la rapprochera immanquablement d’autres interprètes féminines à fleur de peau, transformant la douleur en musique. Il y verra du CHELSEA WOLFE, du PHARMAKON, du Anna VON HAUSSWOLFF, et il n’aura pas tort d’un certain côté, puisque toutes ces comédiennes de l’âme partagent une même approche. Concevoir l’art différemment, et le personnifier pour lui faire épouser les contours d’une existence pas toujours simple, et rarement bénéfique d’un point de vue personnel. Avec des instrumentations le réclamant au classique, des arrangements bruitistes et l’utilisation d’orgues, de cuivres, de piano, et le refus des structures évolutives traditionnelles, ces artistes ont fait avancer la cause créative plus vite que n’importe quelle référence éprouvée. Et LINGUA IGNOTA (langue secrète créée au XIIe siècle par Hildegarde de Bingen), en deux albums, s’est construit un univers unique, à base de mélodies épurées, de cris déchirants, de thérapie primale dévastatrice, et pourtant libératrice. Après l’introductif et marquant All Bitches Die, Kristin Hayter s’en revient avec des textes qui fouettent les sens et qui trouent les chairs auditives, des mots qui cognent et qui lacèrent, mais des mots vrais. La vérité. Toujours la vérité.
Difficile pourtant d’offrir un successeur à la hauteur de ce premier effort. On y sentait les prémices d’une œuvre globale pleine de sens, certes difficile d’approche, et multiple, mais surtout l’émergence d’une nouvelle diva infernale aux épreuves passées plus dures que votre peine actuelle. Ses morceaux, libres et inspirés tout autant de l’opéra maudit que du Free Rock à tendance Noise avaient profondément choqué, parfois dérouté, et une frange passionnée du public s’était retrouvée dans son travail assez facile à identifier en termes de références. Et en étant un peu ferme et formel, il n’est pas difficile pour moi d’affirmer à l’emporte-pièce que Kristin Hayter n’est rien de moins que la fille adoptive idéale de Kate Bush et Diamanda Galas, empruntant à la première sa théâtralité, et à la seconde son sens de l’impudeur graphique et vocale. On y retrouve ces arabesques vocales qui semblent figées sur un libretto maudit, ces notes de piano éparses qui touchent en plein cœur de leur épure, et surtout cette violence omniprésente qui vous tord la colonne vertébrale de son vécu horrible, de ces coups portés qui marquent le cœur et les souvenirs. Extraordinaire vocaliste, Kristin est aussi une très intelligente compositrice qui a vite compris que l’expérimentation n’est jamais aussi efficace que lorsque qu’elle est noyée dans l’harmonie et la beauté la plus trouble (« Fragrant Is My Many Flower’d Crown »). Mais pourtant, c’est avec le sombre et évanescent, presque chamanique « Faithful Servant Friend Of Christ » qu’elle nous accueille, portant les stigmates des frappes répétées, et des mots qui font encore plus souffrir que les actes. On sent des influences celtiques, un froid glacial qui passe sous la porte, et surtout, la chair à vif qui ne cicatrisera jamais vraiment. Difficile comme entame, mais honnête, et surtout, fidèle à une démarche qui ne se dément pas depuis le premier album. Et cette phrase, lourde de sens qu’elle hurle comme un mantra cathartique, « How do I break you before you break me? » rappelle que chaque jour, une femme tombe sous le sadisme d’un époux/concubin qui ne peut comprendre et parler un autre langage que la brutalité. Eprouvant, mais indispensable.
Légèrement moins sombre et cauchemardesque que son aîné Galas, Kristin Hayter n’en est pas moins aussi extrême, comme le démontre le long, sinueux et ténébreux « Do You Doubt Me Traitor » et ses presque dix minutes d’incantation en poupée vaudou, ou les aiguilles s’enfoncent sous la peau du coupable. On sent le parrainage indirect d’œuvres sombres comme Saint of The Pit, et surtout, une authenticité qui fait défaut à d’autres performeuses comme CHELSEA WOLFE, encore un peu trop marquées par l’apparence et le visuel plus que par le vécu. Une rythmique qui pulse comme les battements d’un cœur trop fatigué, un piano sépulcral, quelques arrangements venteux, qui ne sont là que pour servir d’écrin à une voix qui incarne, qui se souvient, qui vomit sa bile et qui écume sa rage de lèvres usées par les appels de désespoir. Entre Post Noise, classique, Drone, Ambient, cette musique hors du temps mais ancrée en lui nous réserve des fulgurances éprouvantes, soudainement brisées par un apaisement qui loin de rassurer, inquiète comme le calme avant la vraie tempête (« If The Poison Won’t Take You My Dogs Will »). Se livrant complètement tout en gardant sa pudeur intacte, se montrant nue mais fardée d’émotions, Kristin détourne les codes, cite des classiques, et emprunte à Frank O’Hara cette phrase qui en dit long, « All I want is boundless love ». Mais ce besoin d’amour, plaqué sur des notes sentencieuses est vite modulé d’une réalité beaucoup plus triste et résignée, lorsque l’interprète avoue « ne connaître que la violence », qu’elle met en musique avec une douceur inhabituelle, mais tellement sincère (« I Am The Beast « )…Dans un affrontement permanent entre clins d’œil classiques et déchirements presque Post Hardcore (« Day Of Tears And Mourning »), Caligula utilise cette image du dictateur fou et sanguinaire pour dénoncer les dérives de la phallocratie, et mélange Galas, Margaret Chardiet, ISIS, NEUROSIS, les SWANS et MYRKUR pour assombrir une réalité mélodique et lui faire adopter les contours traumatiques d’une vie de souffrance.
On pourrait évidemment citer aussi Nicole DOLLANGANGER, et pas seulement à cause de la contribution de Dylan Walker de FULL OF HELL (et d’autres guests comme Sam McKinlay (THE RITA), Lee Buford (THE BODY) Ted Byrnes (CACKLE CAR, WOOD & METAL), Mike Berdan (UNIFORM), et Noraa Kaplan (VISIBILITIES)), mais mieux vaut se focaliser sur LINGUA IGNOTA, qui en combinant tous ces univers nous entraine dans le sien, d’une beauté qui subjugue (« Sorrow! Sorrow! Sorrow! », Kate BUSH en voyage astral en Orient), mais d’une violence qui perturbe. Une ode à la guérison qui accepte les blessures, un trip aux confins de la douleur intime, et surtout, un album qui choque, et qui révèle à nu la composante la plus importante de l’art. L’émotion.
Titres de l’album :
1. Faithful Servant Friend Of Christ
2. Do You Doubt Me Traitor
3. Butcher Of The World
4. May Failure Be Your Noose
5. Fragrant Is My Many Flower’d Crown
6. If The Poison Won’t Take You My Dogs Will
7. Day Of Tears And Mourning
8. Sorrow! Sorrow! Sorrow!
9. Spite Alone Holds Me Aloft
10. Fucking Deathdealer
11. I Am The Beast
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