L’underground musical, c’est un peu comme le Darknet. Alors qu’on croit avoir déniché le truc le plus obscur et déviant qui soit, on tombe toujours sur une nouvelle étape encore plus enfouie et effrayante que la précédente. L’underground raffole aussi de projets communs, ce genre de concept qui unit des artistes d’univers différents, mais de philosophie similaire. Des musiciens dont le seul but est de repousser leurs propres limites, mais aussi celles de l’art en général, en provoquant une collision entre plusieurs mondes parallèles ou convergents.
Une seule règle d’or. Innover, choquer, et chercher à atteindre des buts différents. Alors, ils se regroupent, étalent des idées, souvent tombent dans la complaisance et la fatuité bruitiste, mais parfois, parviennent à susciter des émotions nouvelles en jouant une musique résolument novatrice et pour le moins…chaotique.
Beauté, violence, délicatesse, agressivité. Un cocktail détonant, un peu comme un vase de cristal posé sur une vieille table de pierre dans une grotte décorée de riches tentures de velours. C’est une image comme une autre, mais qui sied admirablement bien au premier LP du projet VIOLENT MAGIC ORCHESTRA, qui avec Catastrophic Anonymous s’oppose à son intitulé même, qui n’est ni catastrophique, et encore moins anonyme. Il est en effet possible de poser plusieurs noms sur cet accouchement impromptu, et principalement celui de ses géniteurs de base.
On retrouve derrière ce collectif des faciès et des sons connus, celui de Pete Swanson (YELLOW SWANS), maître es-Noise, mais aussi celui de Paul Régimbeau (MONDKOPF, EXTREME PRECAUTIONS, AUTRENOIR), magicien de la Techno sombre et sinueuse. Pour les accompagner dans leur voyage bruitiste, l’ensemble VAMPILIA, pilier de la scène Black expérimentale Japonaise propose ses digressions emphatiques et grandiloquentes, et apporte une touche analogique à ce concept hautement synthétique, qui comme vous le constaterez, vole largement au-dessus de la masse grouillante de bidouilleurs de l’ombre grâce à un déploiement d’ailes ample et…étrange.
Une poignée d’invités de marque ont été conviés au banquet de l’absolu, dont nos chers amis Attila Csihar (SUN O))), MAYHEM) et Chip King (THE BODY), ce qui a tendance à transformer cet essai en véritable carré VIP de l’underground extrême…
Mais bien loin d’une simple accolade entre flingués de l’expression déconstruite, ce premier album peut se targuer de représenter une quête impossible devenue possible, celle de la juxtaposition d’une forme de beauté troublante et d’une violence exubérante, parfois bien au-delà des possibilités d’endurance de l’oreille humaine.
Inclassable, inénarrable, indescriptible, ce premier album ne se fixe sur aucun genre en particulier, et finit par en créer un nouveau, que je serais bien à mal de baptiser avec précision. Mais vous pouvez oublier derechef les unions entre THE BODY & THOU, les allumages explosifs de FULL OF HELL & MERZBOW, et toutes les collaborations de Lydia Lunch avec sa clique New-yorkaise, puisque Catastrophic Anonymous représente le nouveau pinacle de la déconstruction musicale libre et conceptuelle.
Qu’attendre plus clairement de la collaboration entre un maniaque technoïde, un taré bruitiste sans limites et un collectif BM qui refuse toute catégorisation interne ?
Un maelstrom sonore érigeant la cacophonie au rang d’expression unique ? Une bouillie informe et relativement indigeste dans ses abus de stridences, de bruits blancs torturés ?
Ni l’un, ni l’autre, même si le volume sonore atteint et l’abstraction harmonique font de ce premier pamphlet une acmé anti-musicale finalement plus pertinente que nombre d’essais stériles sur les conductions possibles de la mélodie hors de son contexte.
Selon les auteurs même de cette pièce artistique unique, les comparaisons seraient légion. Ils aiment à visualiser leur osmose comme « Du Black Metal qui percuterait les KRAFTWERK », ou « une invasion de la planète APHEX TWIN par BURZUM », et je dois reconnaître que leur analogies incongrues ne sont pas si loin que ça d’une vérité partielle.
Imaginez une trame Techno mise en musique par un groupe de Post Black ayant assimilé et accepté les bases nordiques pour mieux se les approprier. Un tapis synthétique déroulé devant une horde de musiciens sans foi ni loi, le tâchant de leurs exactions rythmiques en forme de guitares sombres vomissant des riffs ténébreux et opaques.
Une progression fantasmagorique digne d’un Techno-BM qui de temps à autres, s’accorderait quelques pauses Ambient harmoniques pour mieux vous décontenancer.
Ou même, une orgie Gabba se roulant sur le parquet d’un loft habité par des SWANS ayant trouvé l’équilibre intérieur entre leur début de carrière et leur volonté plus tardive de maîtriser le bruit pour mieux l’adoucir. Les images sont complexes, mais cet album l’est tout autant. Et la diversité des pistes n’aide pas à établir un jugement objectif, puisque nous sautons à pieds joints sur le coq avant de massacrer le proverbial âne de notre indécision…Et de la leur, évidemment.
Alors, nous avons le droit à des étapes surprenantes, parfois terrorisantes, mais aussi à des éclairs de lumière dans une aube plus noire que les pensées d’un tueur en série.
Ainsi, « Pursuit Of Dignity » se permet des éclats de BPM en fusion (environ six-cents au moins, comme du Terrorcore hystérique) qui mutile des nappes de piano fantomatiques, le tout accompagné de litanies grotesquement graves et sous-mixées. Des interludes effrayants de brutalité BM Noisy et Dark, qui se complaisent dans le nihilisme musical en l’agitant de soubresauts Techno assourdissants (« Divorcer », avec Attila Csihar, mini-opéra déconstruit autour d’un thème Dark BM Ambient qui propose même des chœurs grandiloquents).
Des manipulations BM lo-fi écrasées par des bandes électroniques horrifiques (« Halved », avec Chip King). Mais aussi à des grandes orgues à la Anton LaVey coulées dans un bain d’acide Dark proposant pourtant des elans harmoniques étonnant de pureté mélodique (« One Day Less »).
Des mariages consanguins entre LUSTMORD et le Post Rock Japonais des JIZUE (« At The Bank »), et puis une chute en forme de Post Black techno qui referme la lourde porte des expectations en manipulant une fois de plus la délicatesse pour la faire déchirer de ses reflets une base rythmique Techno d’une violence inouïe (« Out Of Orbit »).
Tout ça pour dire quoi en définitive ?
Que le projet VIOLENT MAGIC ORCHESTRA est unique, aussi effrayant que séduisant, aussi précieux que violent, et à l’image de la vie en définitive.
Catastrophic Anonymous ne plaira pas à tout le monde, peut-être pas à grand monde dans la communauté Metal, mais là n’est pas son but.
Celui de repousser des limites fantômes, pour sortir d’un tunnel étroit et humide et retrouver la lumière dans un fatras d’ombres sonores. Et il est atteint.
La prochaine étape ?
Tout dépend du voyage que vous comptez faire…
Titres de l'album:
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