Cendre

Cerbère

27/01/2023

Chien Noir

Ashes to ashes, dust to dust. 

Voilà une expression que nous avons souvent entendue, de Lou Reed à METALLICA, en passant par les prêtres lors des enterrements. Oui, nous redeviendrons tous poussière et cendres, pas de doute là-dessus, mais l’important est de savoir comment en profiter avant que notre corps ne se décompose et fertilise la terre des cimetières. Le propos n’est guère joyeux, mais il est réaliste : notre temps est compté, parfois plus rapidement qu’on ne l’aurait espéré, et l’expectative n’est pas la bonne attitude. D’un autre côté le renoncement à quelque chose de séduisant, tout comme le fatalisme. Après tout, si les choses doivent vraiment arriver, à quoi bon lutter pour contrecarrer les plan d’un destin qui se fiche bien de savoir si nous avons bien vécu, et si nous n’avons aucun regret ou remord.

Le renoncement.

C’est un peu ce qui résume la démarche des français de CERBERE, mâtin maousse qui garde des enfers personnels, et qui aboie à la gueule de tout contrevenant. Avec un nom pareil, il était évidemment inutile de s’attendre à quelque chose de primesautier, ni même éclairé. Non, le monde de ce trio pas comme les autres est sombre, sale, irrespirable, cauchemardesque, entre les égouts et une fosse commune dégueulasse, quelque part sous les catacombes de Paris, là où les cris se perdent dans le silence.

Ce premier album est un véritable chemin de croix, et aménagé comme tel. Dessinant les contours d’un voyage sans retour, le power-trio (Thom Dezelus - basse, Baptiste Reig - batterie et Baptiste Pozzi - guitare/chant) parisien nous offre avec ce premier jet une longue complainte qui déchire les sens, et qui oppresse de sa première à sa dernière minute. Composé de trois chapitres de durées diverses, Cendre pisse sur le brasier pour que les flammes meurent et laissent place à une noirceur sans réel équivalent sur la scène. Certes, j’en conviens, le projet est assez classique dans le fond et la forme, mais une sorte de quête d’absolu anime ces trois hommes qui espèrent vraiment sonder les bas-fonds de l’âme humaine avant extinction.

Onze minutes, neuf minutes, et vingt-trois minutes. Voici détaillés les trois psaumes de ce premier album impressionnant de méchanceté et de professionnalisme, qui replace le Sludge et le Doom au centre des débats. Quoique prévisible, Cendre n’en est pas moins éprouvant, lourd, oppressant et difficile d’accès. On retrouve évidemment ces riffs lourds et sombres, cette rythmique inamovible qui rend à la blanche ses lettres de noblesse, et ces cris exhortés d’une poitrine soumise à une angine de vie carabinée.

Enregistré en deux jours en janvier de l’année dernière dans la salle de répétition du groupe (Le Ventre de la Baleine à Pantin) par Pablo Saguez, puis masterisé par le producteur et musicien expérimental Paulie Jan à l’Agit Prop studio, Cendre est glauque, résulte d’une envie de donner corps à des thèmes classiques, comme l’ennui d’une vie adolescente, la haine, la frustration et le rejet, tout comme l’univers Heroïc-Fantasy de Conan le Barbare, soit un panel assez large d’obsessions traduites en son.   

Et comme une gigantesque secousse avertissant d’un glissement des plaques tectoniques, Cendre brûle tout avant de constater les dégâts, qui sont évidemment énormes. « Sale Chien » en est la preuve irréfutable, entre CATHEDRAL et SUN O))), le trio reconnaissant des influences multiples, entre Black, Drone, Doom et Sludge nauséeux. Le chant hurlé en langue française est évidemment indéchiffrable, opacité sauvage oblige, et il est vrai que l’ensemble à des allures de Black Sludge vraiment laid, entre un marais asséché en Louisiane et un corps boursouflé retrouvé dans la Seine après une semaine de dérive.

Mais bien sûr, c’est la dernière piste de ce premier album qui fascine le plus, par son thème et sa longueur. Vingt-trois minutes de folie à trois, vingt-trois minutes de Doom, de Sludge crasseux, de Stoner qui pue la mort, pour un résultat fabuleux. Ainsi va la mort, et son cortège de tristesse, mais pas seulement. Car si cet album colle à une routine désagréable et insupportable, il n’en incarne pas moins une pulsion de vie minime, mais bien réelle.

Les riffs pondus entre la poule et l’œuf collent aux basques comme un chewing-gum balancé sur les trottoirs d’un Paris silencieux et morbide, et les éructations donnent froid dans le dos. Tentant par tous les moyens de produire la musique la plus étouffante et déprimante, CERBERE se veut créature de son époque, entre égoïsme, ennui total, désespoir à peine caché, et espérances foulées du pied de la résignation.

La résignation.

Voilà un mot qui dessine les contours de l’entreprise, et qui nous laisse la mine basse et la truffe méchamment chaude. En jouant avec les codes des styles qu’il aborde et en transformant le tout en œuvre cohérente et gravissime, Cendre observe les fines particules de carbone s’envoler dans l’air d’une nuit sèche, sous le regard de clochards avinés qui ne se posent plus de questions depuis longtemps.

Il est cinq heures, et Paris ne s’éveille plus. La capitale est trop fatiguée, le métro est à l’arrêt, et les travailleurs marchent au ralenti sur le chemin de l’oubli. Du côté des Halles, les fantômes remplacent les touristes, et la carte postale n’est même pas signée. Pas de quoi se réjouir, et encore moins de sourire. Jusqu’à apercevoir ce CERBERE qui garde les entrées et sorties, comme un chien fidèle qui vous mord d’ennui.

Adieu.           

  


Titres de l’album :

01. Cendre

02. Sale Chien

03. Les Tours de Set


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Bandcamp officiel


par mortne2001 le 30/01/2023 à 16:50
90 %    710

Commentaires (1) | Ajouter un commentaire


Simony
membre enregistré
30/01/2023, 17:03:16

Vraiment intéressant, il y a quelque chose qui me rappelle EIBON, peut-être cette production bien cradingue et le chant... ?

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