On le sait, la vie est une dualité permanente, tout comme la nature profonde de l’humain. Nul n’est blanc ou noir, certains ont des nuances plus claires, d’autres plus sombres, mais nous cachons tous en nous une part de ténèbres et de lumière, qui nous poussent à agir parfois avec violence ou empathie, avec tolérance ou sectarisme. C’est cet aspect des choses que les Vannetais de YUGAL ont choisi d’illustrer en musique depuis 2010, et qui atteint aujourd’hui une sorte d’apogée avec la sortie de leur premier album longue durée, Chaos And Harmony.
Le chaos et l’harmonie, deux notions antagonistes et pourtant complémentaires dans la compréhension de notre propre nature, mais aussi dans l’appréhension d’une musique qui combine des mélodies traditionnelles pures et des attaques soniques franches et décoiffantes.
Le métissage n’a rien de nouveau me direz-vous, et des KORDZ à MYRATH en passant par MELECHESH ou SALEM, tout a déjà été plus ou moins tenté, même en se limitant aux références les plus connues de la pratique.
Mais les YUGAL, dont les pas suivent ceux de certains de leurs aînés, ont pourtant quelque chose de plus à proposer. Peut-être parce que leur métissage est plus poussé et équilibré, peut-être parce qu’il est nouveau sur le marché, en tout cas, ce premier album qui mélange à loisir des sonorités Thrash, Hardcore, Death et de la musique orientale et traditionnelle à quelque chose de diablement envoutant, qui vous donne envie de voyager, de headbanger, de danser, de hurler, ou de chanter à tue-tête. Une sorte de fête ? Pas vraiment, plutôt une vision très personnelle du Crossover le plus fertile de ces quinze dernières années qui ne tolère aucune frontière, ni aucune carte d’identité musicale.
La leur ?
Simple, ils viennent de Vannes, sont cinq (Guillaume – chant, Pierre-Alexandre – basse, Kevin – batterie, Adrien et Alban – guitares), ont déjà publié deux EP (Illusion of Time en 2013 et Enter The Madness en 2014), et jouent ensemble depuis 2010. Ils ont trouvé leur nom de baptême dans la langue tibétaine, puisque YUGAL exprime donc cette combinaison de valeurs qui font que rien n’est formellement marqué dans l’humanité, ni la bonté, ni la vilénie. Et comme si le sens du patronyme ne se suffisait pas à lui-même, ils en ont accentué la portée en nommant leur premier LP Chaos and Harmony, qui exprime exactement la même idéologie.
Musicalement, le quintette n’a pas changé sa méthode, mais l’a aujourd’hui poussée à des extrêmes, atteignant de fait une sorte de perfection dans leur genre si particulier. Si les composantes de base sont toujours les mêmes, une pointe de Thrash traité façon Néo-Death, joué avec une énergie Hardcore, les cinq Vannetais ont parfaitement intégré leurs arrangements orientaux pour qu’ils n’arrivent pas comme une prière zen à l’heure du thé, ce qui confère à ce premier LP une cohérence diabolique, et surtout, une efficacité bouillonnante qui le rend indispensable dès les premières écoutes.
En gros, c’est un peu comme si les TEA PARTY de Triptych rencontraient pour un projet commun les meilleurs représentants de la vague Groove Metal des années 2000, tout en se laissant inspirer par les effluves de la scène Néo Death Suédoise et la déferlante Hardcore Française contemporaine.
On pourrait dans un désir de facilité les comparer aux nouveaux venus d’ARKAN, mais les différences entre les deux combos sont aussi flagrantes que leurs points communs, et après tout, nous pouvons facilement nous passer de parallèles puisque des morceaux comme « Illusion of Time » se suffisent à eux-mêmes sans avoir besoin de tuteurs ou de mentors.
Rythmique d’abattage Thrash qui cavale, riffs volubiles qui virevoltent à dos de cheval, rythmique qui oppose les BPM aux écrasements en mid tempo lourds, le tout recouvert d’une chape de vocaux qui manient la harangue Hardcore et la vindicte Death. Et bien sûr, toujours ces arrangements qui tombent pile-poil là où il faut, parfaitement intégrés au schéma global.
Une osmose parfaite entre la violence Metal européenne, et de la douceur des sonorités orientales, qui finalement produit un choc soufflant de puissance, bien plus qu’une simple agression à base de Hardcore thrashisant….
La plupart des interventions de YUGAL sont courtes, précises et concises, à l’instar du terrible « Heavy Mental » qui agit comme une fusion entre le groove du phrasé des MASS HYSTERIA, et la terrible énergie rauque de DISTURBED, sans oublier de placer quelques notes acoustiques qui relancent le morceau pourtant déjà très court à la base.
Mais pour être honnête, pendant les trente-sept minutes impartis au timing de ce premier LP, le quintette va toujours à l’essentiel et frappe très fort sans négliger la nuance.
Des percussions Hardcore explosives de « Once Upon a Lie », au long final évolutif et progressif de « Chaos and Harmony », chaque note est étudiée et employée à dessein, même si quelques interventions méritent sans doute une plus grande attention.
Ainsi, ce final homérique fait partie des soufflées les plus virulentes du lot, avec son entame traditionnelle troublante de beauté orientale qui explose d’une soudaine accélération à la AT THE GATES/SOILWORK qui laisse pantois. Le quintette se laisse ensuite aller à une filiation Groove Metal qui leur permet un joli mariage de voix, avant que la violence ne s’impose de nouveau, finalement interrompue par un long fading mélodique.
De l’excellent travail de juxtaposition, même si certains morceaux se veulent plus simplement percutants, comme ce « Silence Is Golden » qui ne fait pourtant pas grand-chose pour l’imposer. Enorme mid tempo écrasé qui une fois de plus impose des syncopes chaloupées, tandis que le chant de Guillaume explore tous les recoins de la manipulation Hardcore/Death. Riff mémorisable, efficacité, le centre de la cible est touché. « Dogma » reproduit plus ou moins la même structure et utilise des faux semblants pour imposer sa violence instrumentale, tandis que « Lost Mind » joue sur le terrain de la lourdeur oppressante, habilement ventilée par quelques cordes disséminées de çà et là, perturbant à peine un chant qui se veut plus doux, mais menaçant en même temps.
Passage en force et affirmation en douceur, c’est un peu le leitmotiv des YUGAL via l’impressionnant Chaos and Harmony qui effectivement, joue la franchise de son titre et illustre avec honnêteté une démarche personnelle. Un album qui séduira autant de ses harmonies qu’il ne marquera les esprits de sa virulence inouïe, et plus simplement une dualité humaine faite musique qui nous oblige à nous confronter à notre propre « moi », sans nous y forcer.
Une thérapie en musique qui peut aussi s’apprécier comme un premier album fascinant de maturité. Attendons maintenant de retrouver les musiciens sur scène pour que leur philosophie s’accompagne d’une gestuelle de folie.
Titres de l'album:
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