En attendant que 2024 ne sorte la grosse Bertha et ne nous canarde de ses sorties majeures, il reste encore des coins à fouiller que 2023 n’a pas mis en lumière. Des cas intéressants, sinon essentiels, qui prouvent s’il en était besoin à quel point l’année passée a été riche en qualité. Et aujourd’hui, c’est le Canada qui est une fois encore à l’honneur via cinq représentants méritants et valeureux.
WIDOW'S PEAK, sans le son, c’est une pochette plus volontiers Indie, qui peut laisser de marbre les fans d’extrême. Un lettrage courrier classique anonyme, une photo étrange aux couleurs nocturnes vives, un titre abscons, pour un disque incandescent, chargé jusqu’à l’os de plans tous plus époustouflants les uns que les autres. Encore fallait-il laisser une chance à toutes ces apparences pour apprécier un contenu qui tient de l’exercice de style sublimé dans un genre éminemment casse-gueule.
Ne vous laissez pas abuser par les qualificatifs utilisés par les plateformes et autres sites spécialisés. WIDOW'S PEAK n’est absolument pas un groupe avant-gardiste, mais bien un collectif porté sur la technique poussée et systémique. En résulte un premier album autoproduit qui fait la nique à bien des grosses productions de labels confirmés, sans pour autant pousser le bouchon trop loin.
SUFFOCATION reprenant ATHEIST. La formule parait un brin putassière, et pourtant, le rendu de Claustrophobe s’en rapproche de très près. Un DREAM THEATER fasciné par GORGUTS. Autre formule à l’emporte-pièce, mais qui peut éventuellement vous guider sur le bon chemin. En gros, de la finesse dans l’exécution, de la précision dans l’agression, pour un résultat intense, fort en caféine, qui donne une pêche incroyable, même un lundi matin. De quoi partir au boulot chargé à bloc et prêt à en découdre avec le premier collègue intrusif venu.
Saluons donc le travail immense accompli par le quintet (Patricio C. Paulsen - batterie, Chris McCrimmon - guitare, Alyxx Frayne - basse, Mack Shaw - guitare et Travis Godin - chant), qui en un peu plus de quarante minutes nous rallie à sa cause sans essayer gauchement d’acheter notre intérêt. Les morceaux, construits sur un schéma faussement simple de succession ultrarapide de plans équilibristes, frappent fort, et dévoilent des intentions claires : en caser le maximum sans trop en faire, mais en laissant une impression de vertige durable.
L’opposition entre le thème principal et les soli qui en découlent est très importante. Elle constitue le plan d‘attaque d’un groupe qui a tout compris au Death technique et évolutif, qui sait parfaitement quand ralentir le rythme pour imposer une ambiance sombre et pesante. L’acmé de cette technique est incarnée par le glauque « Thrombosis », qui se sert des espaces négatifs pour que chaque note ait l’importance qu’elle mérite. Et avec une batterie matte au son sans écho et aux cymbales qui scintillent, WIDOW'S PEAK peut se reposer sur une assise aussi solide qu’inventive.
Les quatre musiciens assurant l’instrumental sont des cadors dans leur domaine. Avec des riffs à faire pâlir ce cher Fredrik Thordendal, des boucles de basse dignes de SADUS, PERIPHERY ou ANIMAL AS LEADERS, et une cohésion d’ensemble le confinant à la fournaise post explosion de réacteur, Claustrophobe tente de faire honneur à son titre pour nous enfermer dans une petite pièce mentale, devant accuser le coup de sons agressifs et autres images cycliques et perturbantes.
La sensation d’apnée est saisissante, et la plongée dans les profondeurs du Death progressif se fait sans palier, ce qui est toujours dangereux pour la santé. Mais on ne peut suggérer des émotions extrêmes en prenant des précautions, et là est la réelle intelligence d’un collectif qui a su ne retenir de ses idées que les plus pertinentes pour parvenir à ses fins.
C’est en tout cas ce qu’on retient de la salve d’ouverture, qui entre le lapidaire et énervé « Claustrophobe », et l’oppressant « Implements Of Hell » se pave une voie royale jusqu’à votre palpitant, pour en contrôler le battement et imposer des systoles excessives. Avec un chanteur capable de se vautrer dans la fange du Brutal Death, et un background précieux qui contraste avec beaucoup de flair, ce premier album se hisse sans problème dans le top des plus grandes réussites Death de l’année 2023.
Et si le dossier pouvait se résumer à un seul élément, il suffirait de se jeter corps et âme dans le diptyque « Heartworms », qui en deux volets et douze minutes nous entraîne aux confins du Death/Thrash furieux et sérieux, avec sa cohorte de pirouettes monstrueuses tenant plus du quadruple salto arrière que de la petite roulade de collégien.
2023 avait donc encore dans ses réserves de quoi nous satisfaire. 2024 validera ces choix, et tentera tant bien que mal de les confirmer avec des sorties encore plus satisfaisantes.
Titres de l’album:
01. Blood On The Breath
02. Claustrophobe
03. Implements Of Hell
04. The Worming Hour
05. Monochrome
06. Pillars Of Failure
07. Charlatans Of Industry
08. Thrombosis
09. Heartworms I: Aorta
10. Heartworms II: Vena Cava
11. When The Last Leaf Wilts
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