FULL OF HELL est au Grind ce que DILLINGER ESCAPE PLAN fut au Hardcore. Un nouvel élan. Une rupture. Une exploration des recoins les plus sombres. Le recours à la violence la plus abrupte, mais aussi la plus intelligente. D’ailleurs, affilier le quatuor à ce mouvement est si réducteur, qu’il ne vaut mieux pas sombrer dans les comparaisons se voulant élogieuses, mais étant finalement réductrices. Alors, restons générique. FULL OF HELL est à la musique extrême ce que David Lynch est au cinéma expérimental. Avec ça, on devrait s’en tirer à bon compte.
Je suis fan. Voilà, c’est dit, même si c’est un secret de polichinelle. Fan depuis les débuts, et la découverte inopinée de Roots of Earth Are Consuming My Home au détour d’un forum quelconque. Au début, l’effet de surprise fait qu’on ne sait pas trop pourquoi, mais les années l’expliquent en éludant le sujet. Je sais, c’est assez contradictoire, mais c’est aussi plein de sens. On finit par ne plus se demander pourquoi on aime, parce qu’on adore, et ça nous suffit comme explication. Je pourrais aussi dire que FULL est l’exacte symétrie de CONVERGE, dans un monde parallèle où la noirceur fait office de lumière du jour. Un doppelgänger maléfique. Un frère siamois détaché trop tard.
Trois ans après un dernier long qui évidemment ne l’était pas, et après x collaborations et splits, le groupe du Maryland et de Pennsylvanie remet le couvert, en plantant les couteaux dans la table. Encore une fois, service minimum en durée, maximum en intensité. Et comme d’habitude aussi, des featurings fameux, avec Ross Dolan et Jacob Bannon. Quand je vous disais que ces mecs avaient un lien ténu entre eux. En voici la preuve, l’adoubement par parrainage de duo. C’est beau.
Au-delà de toute considération et de toute extase, Coagulated Bliss se contente d’avancer à fond, comme le groupe (Spencer Hazard: guitare/électronique, David Bland: batterie/chant, Dylan Walker: chant/textes et Samuel DiGristine: basse/saxo/chant) sait le faire depuis le début. Qu’il est loin le temps du Grind systématique et systémique qui se contentait de rouler les blasts comme Johnny Rotten les « r ». Aujourd’hui, comme tout style extrême, le Grind se doit d’être inventif et curieux, sportif et ombrageux. Des qualités que possède évidemment Coagulated Bliss. Et d’autres bien sûr.
Beaucoup d’autres.
J’entends déjà certains me dire, « oui, d’accord, mais leurs albums se ressemblent, non ? », et la réponse est oui. Et non. Si les structures sont évidemment similaires, avec cette alternance de titres brefs et barges et d’autres plus longs et encore plus barges, le contenu même des titres diverge de disque en disque. Les dissonances le sont plus, les stridences aussi, les échanges vocaux de plus en plus vilains, et le tableau de plus en plus abscons. Maître es-rythmique qui tue, le quatuor base tout son travail sur la virtuosité d’un axe basse/batterie incontrôlable (école CONVERGE et DEP), sur laquelle vient se greffer une guitare qui refuse les riffs prétextes et faciles.
C’est donc bien un travail collectif. Les morceaux les plus moches font de l’ombre à Mories (« Doors to Mental Agony », t’es pas prêt de sortir de l’asile après ça), les plus groovy sont quand même malsains (« Transmuting Chemical Burns »), et si le degré de démence atteint à l’occasion de la collaboration avec MERZBOW n’a que rarement été égalé depuis (Full of Hell/Merzbow n’est ni plus ni moins que le Irony is a Dead Scene de la mouvance Noise/Harsh Noise/Grind), on reste toujours admiratif de cette capacité à faire plus bordélique que son voisin sans sombrer dans la parodie ou les pastiches (« Fractured Bonds to Mecca », le tapis crame frère, bouge de là).
Toujours à cheval entre le Hardcore, le Noise et l’avant-garde revêche (« Coagulated Bliss », la traduction moderne du « Milk Lizard » de DILLINGER), FULL OF HELL en profite pour régler ses comptes avec le glauque et le lourd, dans un effort de plus de six minutes qui va laisser des séquelles à vie (« Bleeding Horizon », nauséeux comme une otite de GODFLESH soignée par ISIS). Et comme d’habitude, on se laisse prendre au jeu du « jacques a dit, fait du bruit », et on accepte que nos tympans s’en prennent une bonne charge par derrière et par devant.
Et comme les américains aiment bien les cadeaux, et s’amuser avec leurs potes, ils convient un peu d’IMMOLATION sur « Gasping Dust », histoire de tremper leur Grind dans du Death acrobatique, et un chouïa de CONVERGE sur le final « Malformed Ligature », qui braille et qui trépigne comme un sale chiard dans un supermarché parce que maman ne veut pas lui acheter ses sablés préférés pour le goûter.
Bref.
FULL OF HELL trace sa route, et se fout complètement des évènements extérieurs. Et c’est tant mieux, puisqu’on aime cette singularité, et cette approche unique qui transcende l’extrême pour lui apporter une légitimité qu’il n’a pas toujours. L’un des rares groupes de Grind à pouvoir prétendre décrocher un article bienveillant dans Télérama, et des lettres d’insultes suite à un poster central dans Gonzaï.
Le reste ? Meh.
Titres de l’album :
01. Half Life of Changelings
02. Doors to Mental Agony
03. Transmuting Chemical Burns
04. Fractured Bonds to Mecca
05. Coagulated Bliss
06. Bleeding Horizon
07. Vomiting Glass
08. Schizoid Rapture
09. Vacuous Dose
10. Gasping Dust (feat. Ross Dolan of IMMOLATION)
11. Gelding of Men
12. Malformed Ligature (feat. Jacob Bannon of CONVERGE)
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