Come & See

Mamaleek

27/03/2020

The Flenser

J’ai parlé de MAMALEEK il y a un petit moment, cinq ans plus précisément. En parlant d’eux, j’avais le sentiment de faire une révélation, de dévoiler un mystère complet, mais aussi de trahir une promesse sous-jacente. Bizarrement, un peu comme le Fight Club, la première règle quand on aime MAMALEEK c’est de ne pas en parler, comme si le groupe était réservé à un cénacle, des initiés à même d’apprécier leur étrangeté hermétique, leur langage unique. En parler revient à vulgariser leur démarche, alors que finalement, les allusions suffisent, presque en laissant un code sur la porte ou une note cryptique en bas de page. Via Dolorosa en 2015 m’avait cueilli à tiède, puisque je connaissais déjà un peu leur art pour avoir posé mes oreilles sur Kurdaitcha, mais c’était déjà leur second long pour le collectif expérimental The Flenser, et leur cinquième album depuis 2008. Ça aussi c’était étrange, un album l’année même de leur création, comme si leur inspiration les avait obligés à enregistrer tout de suite, à créer un concept immédiatement pour exutoire. A cette époque d’ailleurs, des mots étaient employés à leur égard, dont celui étrange de Black Metal. Mais son emploi n’était pas vraiment déplacé puisqu’à l’époque, les deux musiciens jouaient encore une musique qui pouvait éventuellement s’y apparenter. Aujourd’hui, il ne reste du Black Metal qu’un lointain souvenir, une approche, un radicalisme, la liberté de s’affranchir des carcans, la possibilité de jouer fort et abrasif sans avoir à rendre de compte. Mais ne nous leurrons pas. S’il y a cinq ans Via Dolorosa n’avait déjà plus que des liens ténus avec le genre, ils ne se sont pas renforcés avec les années. Et en 2020, Come & See provoque la scission entre les deux créateurs et leur genre d’origine, ou presque. Ceux désirant à tout prix rattacher le projet à la violence noire parleront d’une forme extrêmement biaisée de Post Black, mais les autres, qui n’ont cure des labels d’appartenance ont compris depuis longtemps que les deux californiens ne jouent même plus de Metal, ou alors une forme si dénaturée qu’elle n’en mérite l’appellation que par touches très fugaces.

Ce septième LP est celui des innovations, encore une fois. D’abord, c’est le premier que les deux frères inconnus enregistrent avec un groupe au complet. Ensuite, son concept est autobiographique. Il s’intéresse à ces grands complexes immobiliers bâtis dans le désir d’héberger des familles entières dans des blocs de béton, et qui peu à peu se délitent, deviennent des sortes de cages, des viviers de délinquance, des îles de solitude, et des fenêtres fermées sur le monde. Une sorte d’asile non volontaire, et pour ce faire, les deux frères parlent de ce qu’ils connaissent, notamment le complexe Cabrini Green de Chicago. Mais s’ils s’intéressent au concept global, les deux frères s’intéressent donc aux effets, et aux causes. A ce qui pousse un architecte à croire qu’il pourra offrir une part de bonheur à des individus en les parquant comme des poules, mais aussi à ces parts de souvenirs résiduels qui vous collent à la mémoire toute votre vie. A la manière d’un EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN qui se servait de la politique de reconstruction de l’Allemagne après 1945, MAMALEEK se concentre sur des images restées depuis l’enfance, une enfance un peu à part, et parfaitement mise en musique ici. Et pour être bien certains que leur objectif ne sera pas perdu de vue par l’auditeur, le « groupe » commence son explication avec l’un des morceaux les plus pleins et complexes de son répertoire. « Eating Unblessed Meat », découpé en plusieurs tranches, à l’ampleur d’un album longue-durée à lui seul. En huit minutes pile, il nous dévoile la nouvelle réorientation du groupe, et les sons qui nous accompagneront tout au long de ces quarante-quatre minutes. Bien sûr, les habitués ne seront pas forcément déstabilisés par cette entame, qui oppose une grosse basse ronde et Jazzy à des percussions heurtées et décalées, et qui laisse une fois encore un chant totalement exhorté se plaquer sur une guitare tantôt mélancolique, tantôt dissonante et assourdissante. Le son de l’album, symptomatique des productions alternatives et underground des années 90 (JESUS LIZARD en tête de liste, avec un peu de réminiscences des BUTTHOLE SURFERS), est compact, sourd, aux rebonds inexistants et à l’écho plus mat qu’une promesse non tenue. Mais avec sa progression en évolution de cauchemar, ce premier titre fait son office, et valide la comparaison que certains auraient pu faire en son temps. Celle qui avançait qu’en aimant VIRUS, on facilitait les choses et on ouvrait son esprit à MAMALEEK. C’est juste, mais si VIRUS a souvent été aussi disharmonique et aventureux, il n’a jamais été aussi bruyant, ni répétitif dans les motifs.

MAMALEEK ne va pas se réconcilier avec les amateurs de musique facile et claire. Sans aller jusqu’à parler de musique concrète pour ne pas galvauder le terme, certains des morceaux s’en approchent parfois, dans leur désir de calquer les notes sur des sons entendus dans sa jeunesse, des sons blancs, disharmoniques, les sons qu’on peut entendre lorsqu’on habite un petit appartement dans un gros complexe aux murs fins comme du papier d’espoir. On entend des chocs sur les radiateurs, des coups contre les murs, des bribes de conversations, mais aussi des cris, de la musique de radio distordue par l’espace, et tous ces sons au final finissement par se mélanger dans une sublime cacophonie, une cacophonie de vie et de mort, d’allant et de résignation, à l’image de « Cabrini-Green », plus linéaire et moins découpé, mais dont la progression évoque une journée lambada dans ce grand ensemble de Chicago. Des gosses qui jouent ou qui font semblant, avec en toile de fond, une guitare qui évite les riffs comme la peste et tricote des textures, une basse qui ondule Jazz, un chant qui couvre l’indifférence ambiante, et une rythmique par à-coups, avec des ruptures qui fonctionnent comme des réveils matin sans aucune complaisance. Déconstruite, la musique des originaires de la Bay-Area est viscérale, et oppose les digressions Post-Jazz aux déconstructions expérimentales des scènes allemandes et américaines de la fin des années 70 (NEUBAUTEN encore, mais aussi PSYCHIC TV, et bien sûr THROBBING GRISTLE). Mais loin de se contenter d’un fatras de sons hétéroclites assemblés, les MAMALEEK composent une véritable musique dans le sens académique du terme, sans refrain ni couplet, mais avec des progressions libres et des quasi improvisations dignes du Jazz.

Pas plus qu’hier, pas moins que demain, les chansons sont difficiles à écouter parfois. Mais les deux frères ne sont pas du genre à meubler de bruit sans oublier la musique, et offrent des inserts plus posés, mais pas moins osés. « Elsewhere » traîne de la patte comme dans un club de Jazz à la faune interlope avec ses harmonies biaisées, tandis que « Street Nurse » se la joue Post-Grunge sans le vouloir. « We Hang Because We Must » en final, évoque NEUROSIS, HALF JAPANESE, et reste le seul morceau ou l’ombre du BM plane encore un peu, haut dans un ciel plombé. Mais en rédigeant ces mots je réalise que je viens d’enfreindre la seule règle élémentaire.

On ne parle pas de MAMALEEK.        

                                                                                                 

Titres de l’album :

                        01. Eating Unblessed Meat

                        02. Cabrini-Green

                        03. Elsewhere

                        04. Whites of the Eyes (Cowards)

                        05. Street Nurse

                        06. We Hang Because We Must

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par mortne2001 le 22/08/2020 à 18:58
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