Dès le départ, les GRÅT STRIGOI mettent les choses au point pour ne laisser planer aucune ambiguïté :
Ce projet, ainsi que ses membres, sont farouchement antinazi, antifasciste, et contre la droite extrême. Si vous êtes raciste, sexiste, homophobe, transphobe ou autre, rendez-nous service, foutez-nous la paix et n’achetez pas nos albums.
Voici donc le meilleur moyen de s’éloigner des clichés les plus ambigus véhiculés par l’armada BM du monde entier, même si la majorité des groupes du cru refuse aussi tout rattachement à un quelconque mouvement nazi. D’extrême gauche, et assez présent sur les sites spécialisés depuis son émergence, GRÅT STRIGOI n’est pas qu’une prise de position humaniste et politique, mais aussi une entité artistique très crédible, évoluant dans un registre assez particulier, et refusant toute contrainte de formatage. Depuis 2019, le duo de Glasgow, Ecosse n’a eu de cesse de partager sa vision d’une musique ambitieuse, abrasive et parfois dépressive au travers d’albums fouillés, léchés, complexes, et ses deux premières œuvres ont vraiment marqué les esprits au point d’y laisser une empreinte durable. Et avec un rythme de production d’un album par an, autant dire que les deux écossais n’ont pas chômé, et n’ont pas laissé leurs idéaux dans les limbes.
Deux ans après l’initial Alt Dette Har Skjedd Før, Alt Dette Vil Skje Igjen, et un an après A Path Through Ashes, les deux premiers tomes de l’aventure, GRÅT STRIGOI lâche un énorme pavé dans la mare avec ce Communion of The Nameless, qui abandonne tout principe de narration classique. Si les deux premiers chapitres de l‘histoire conservaient un lien avec le formalisme de composition en vogue dans le BM, ne mettant en avant qu’une seule longue composition d’une dizaine de minutes, ce troisième longue-durée se plonge dans le dédale de l’imagination, et se focalise sur un très long triptyque final atteignant les trois quarts d’heure. Le duo l’annonce d’ailleurs, cet album se décompose en deux parties, l’une très violente et âpre, l’autre plus mélancolique et mélodique, et symptomatique de cette étiquette DSBM que le groupe doit assumer depuis ses débuts. Et si Communion of The Nameless fait effectivement partie de cette galaxie dépressive, il n’en est pas pour autant résigné ni suicidaire, bien au contraire, puisque l’espoir d’un renouveau par le chaos y transpire à grosses gouttes.
Kieran Gilroy (chant, guitare acoustique), et Josh Brown (guitares, basse, batterie, orgue, bruitages divers et guitare à archer) ont donc choisi de laisser leur imagination dériver pour ce retour en force annuel, et après plusieurs écoutes de l’œuvre en question, il est inutile de tourner autour du pot : ce troisième album fait honneur à sa place difficile dans la famille, et représente la quintessence d’un travail accompli, le portant jusqu’à des sommets de créativité assez hallucinants. Car ce disque est non seulement une pierre angulaire de la carrière des écossais de par sa forme, mais aussi un achèvement définitif par son fond. Le duo a travaillé sa copie jusqu’à la rendre immaculée et incritiquable, et nous livre une heure d’horreur musicale, mais aussi de beauté formelle. Cette dualité qu’on retrouve sur le premier long morceau « Ex Nihlo », plongée dans une psyché torturée et des esprits focalisés sur une façon de vivre en harmonie, qui va à l’encontre même de la plupart des principes du Black Metal traditionnel. Le groupe partage donc beaucoup de choses avec ses fans, se revendique parfois du Sludge et du Doom, ce qui est vérifiable, mais tisse un canevas sonore extrêmement riche, pour nous entraîner sur une autre voie que celle du conformisme.
Et si GRÅT STRIGOI laisse si souvent tourner le compteur, ça n’est surement pas pour nous faire les poches en nous prenant pour des touristes. Chaque minute - chaque seconde serais-je tenté de dire - est exploitée judicieusement, et les thèmes harmoniques ou au contraire bruitistes sont tous fondés. Si « The Great Awakening » reste encore assez traditionnel avec ses attaques incessantes et sa voix criarde, « Ex Nihlo » prend le large, mouille son ancre assez près d’une mer progressive et presque symphonique, mais évite la dérive grâce à des riffs sombres et lancinants hérités du Sludge le plus plombé. Alternance de gros grain de tempête et d’accalmie en œil du cyclone, cette composition aux ambitions démesurées est sans doute ce que vous pourrez entendre de plus beau et logique en cette année 2021 en termes de Black Metal, genre pourtant le plus prolifique du circuit.
Refusant l’écueil de l’avant-gardisme, évitant le naufrage du classicisme, Communion of The Nameless est une splendide ode à la créativité la plus noire, comme le démontre « The Hymn that Sealed the Dark, Our Sealed Fatalism ». En combinant les optiques d’un BM rapide et sans compromis, et les mélodies typiques du DSBM, Josh et Kieran passent en revue toutes les qualités fondamentales d’un genre qu’ils respectent assez pour l’honorer et non le trahir en le bradant à la plèbe. Assez pointu et difficile d’approche, Communion of The Nameless n’en est pas pour autant élitiste et éloigné des considérations du plus grand dénominateur commun. On y trouve des choses assez formelles, mais systématiquement déformées par le prisme de ses deux auteurs, décidément uniques. Entre ce chant désincarné et cette rythmique évolutive, entre cette lourdeur de ton et cette légèreté mélodique éparse, le combat mené est d’importance, et le résultat parfaitement pertinent et violent dans la poésie.
Et jusqu’au bout, l’album garde intacte son aura, allant jusqu’à s’enfoncer plus profondément dans la grotte Doom à l’occasion du final traumatique et graveleux « Mourning Under the Blackened Sky », procession funèbre pesante et éprouvante pour les nerfs. Belle réussite donc que ce troisième album de GRÅT STRIGOI, qui s’il parvient à se faire entendre, pourra se faire une bonne place dans les tops extrêmes de fin d’année. Une place tout à fait justifiée.
Titres de l’album:
01. Hypomonē
02. The Great Awakening
03. Ex Nihlo
04. The Hymn that Sealed the Dark, Our Sealed Fatalism
05. Mourning Under the Blackened Sky
"Si vous êtes dans le camp du mal, c'est mal, si vous êtes dans le camp du bien, c'est bien"... raaputain les avertissements craignos.
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