Un superbe artwork créé par Leo Ulfelder (que je ne connais pas, ce qui n’empêche pas son talent), une étiquette de Black Metal progressif, un duo et des intentions, il ne m’en fallait pas plus pour m’intéresser de près au projet monté par les frères Kaminsky, et j’avoue que mon instinct ne m’a pas trompé sur coup-là. Fondé en 2015, le concept de STONE HEALER est celui d’une ouverture totale sur tous les styles abordables d’un point de vue Metal ou non. Nous retrouvons donc au menu de ce premier longue-durée à compte d’auteur des influences disparates unies dans un élan créatif homogène, et plus simplement, un album qui frappera un grand coup dans la fourmilière de l’underground de 2021. D’un côté, Matt Kaminsky (batterie), de l’autre, Dave Kaminsky (tout sauf la batterie, soit pas mal de choses). Au centre, une créativité étonnante pour un résultat ne l’étant pas moins, et surtout, digne d‘une signature chez les plus gros indépendants. Alors que la majorité des labels se contentent d’une sécurité rassurante, les deux frères originaires de Mansfield dans le Connecticut bravent tous les interdits, et osent le melting-pot le plus fascinant de ce premier semestre.
Six ans après avoir exposé une ébauche de leurs vues via un premier EP assez remarqué par les spécialistes (He Who Rides Immolated Horses), Matt et Dave reviennent par la grande porte pour célébrer leurs influences, et proposer de longs morceaux évolutifs, mais aussi redoutablement techniques. D’ailleurs, les comparaisons établies par leur agence de promotion sont aussi ambitieuses qu’alléchantes, et les noms d’ULCERATE, KRALLICE, HELHEIM, DODHEIMSGARD, PARADISE LOST, KVELERTAK, ou ALICE IN CHAINS sont jetés en pâture pour attirer les fans les plus curieux…qui ne seront pas déçus. Si l’ensemble répond à des exigences évolutives, la puissance dégagée par l’album a de quoi donner des complexes aux plus grands représentants de l’extrême, le duo ne perdant pas de vue l’aspect BM de son entreprise. Pourtant, les mélodies, les accalmies, les dédales techniques nous entraînent aux confins de la créativité, là où la raison n’a plus droit de cité, et où seule l’imagination sert de boussole. Assez proche parfois d’un mélange entre l’ARCTURUS le plus noble et l’OPETH de milieu de carrière, STONE HEALER développe des arguments imparables qui trouvent leur pinacle assez tôt dans le métrage. C’est ainsi que le monumental « Whence Shall I », labyrinthe inextricable de sons puissants et de déroulés fluides nous démontre la particularité de cette union entre deux frères qui se connaissent bien, et de deux musiciens qui s’y entendent comme personne pour tordre le cou aux conventions.
Conquistador est une transposition cathartique de ma spiritualité, dans laquelle les thèmes de la compensation, du pardon, du lâcher-prise et des fausses divinités jouent un rôle central. Le Conquistador tel qu’il est dépeint par l’artiste Leo Ulfelder, est une représentation de l’arrogance de l’égo, de l’illusion de l’invincibilité, de la même façon que les conquistadors se croyaient guidés par Dieu durant l’âge d’or pour terroriser les peuplades des nouveaux mondes.
« Civilisation » versus le mythe du « bon sauvage », tel est donc le fil rouge proposé par Dave Kaminsky, que Conquistador décrit avec une acuité époustouflante. Entre poussées mélodiques fiévreuses et charges rythmiques éléphantesques, le duo se sert de toutes les armes à sa disposition pour étayer son propos, et développe un discours musical riche. « One Whisper » en intro, joue le jeu de cordes apaisées, pour mieux démontrer que la violence ne sera pas la seule émotion utilisée. En huit minutes et quarante-neuf secondes, le duo impose sa vision plurielle, et prouve que le Black Metal a encore de beaux jours devant lui, pour peu qu’il soit joué par des véritables amoureux du genre. Et en s’autorisant des incartades dans le domaine du Heavy Metal, du Folk light, STONE HEALER nous émerveille de sa capacité à fondre les genres pour donner corps au sien. On pense aux défricheurs les plus intrépides de LEPROUS ou évidemment à l’OPETH des années pures, mais l’impulsion des américains est résolument personnelle. L’utilisation d’une cowbell mutine souligne encore un peu plus les passages en blasts et les accélérations de double grosse caisse, alors que le chant clair créé une distanciation avec les riffs les plus agressifs.
Musicalement, Conquistador est un voyage entre les textures et les éléments sonores qui composent mon amour pour la musique. Des guitares acoustiques sincères portent le poids de duels de guitare qui constituent ma personnalité musicale, soutenant des lignes vocales puissantes ou des cris d’angoisse, qui reposent sur des parties rythmiques solides.
Une façon un peu absconse de présenter un travail incroyablement précis et léché, que le long pamphlet résume mieux que n’importe quel discours. En un peu plus de onze minutes, ce pivot central passe par toutes les orchestrations, faisant montre de la dextérité de Matt Kaminsky aux percussions, qui permet toutes les audaces à son frère, très prolixe à la guitare. La guitare est justement le centre d’intérêt de cet album, qui présente l’instrument sous toutes ses coutures, des arpèges cristallins aux riffs les plus sombres et assassins.
Evidemment, la caution Black Metal sera constamment remise en cause par les puristes qui trouveront le propos musical très éloigné de leurs turpitudes habituelles. Il vaut mieux accoler au projet l’étiquette de musique progressive globale plutôt que de la restreindre à une violence qui est loin d’être omniprésente, afin de ne pas dérouter l’auditeur éventuel. Mais pour ne pas vous gâcher la surprise d’un album résolument unique, je m’arrêterai ici quant à la description précise des morceaux qui vous attendent. Sachez simplement que la polyrythmie de « Torrent of Flame » soulignée par une guitare apaisée a le même effet que le ressac, ou que la vilénie soudaine de la clôture « Into the Spoke of Night » a de quoi réveiller un mort.
Bel exercice que ce premier album des frères Kaminsky sous le nom de STONE HEALER, album qui risque de se frayer un chemin dans les tops de fin d’année malgré sa sortie précoce.
Titres de l’album:
01. One Whisper
02. Whence Shall I
03. Surrender
04. Torrent of Flame
05. Until My Will Is Gone
06. Twenty-Two
07. Into the Spoke of Night
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