Nous n’allons pas nous lancer dans un énième débat sur l’évolution du Black Metal, quoique nous sommes loin d’avoir fait le tour de la question. Mais celle-ci n’est pas vraiment à l’ordre du jour, spécialement en considérant l’album dont nous allons digresser ce matin, qui en est aussi éloigné que peuvent l’être les œuvres d’OPETH ou PARADISE LOST de la période transitoire. Le cas d’EWIGKEIT pourrait en être un d’école en matière de glissement de style, tant ce projet a muté au travers des années, pour aujourd’hui se retrouver en quasi opposition de ses débuts. Si la musique présente sur ce Cosmic Man n’est pas dénuée d’accents sombres, elle n’a gardé de son essence brutale que quelques rythmiques et inflexions vocales, l’instrumental se consacrant plutôt à une hybridation entre le progressif des 70’s, et le Metal lourd et mélodique des nineties, pour nous offrir un mélange haut en couleurs et en lumière.
Mais un petit retour en arrière s’impose.
EWIGKEIT, c’est Mr. Fog, et Mr. Fog, c’est James Fogarty, à ne pas confondre avec John Fogerty, né de l’autre côté de l’atlantique. James Fogarty lui vient de Brighton, East Sussex, et a commencé sa carrière discographique aux alentours de 1994, lorsque la planète Rock en avait déjà assez des effluves industriels de Seattle et de son Rock décharné.
1994, c’est la date de sortie de la première démo de son projet principal, Faery Lands Forlorn, qui quelques années plus tard le mènera à l’enregistrement de plusieurs albums, dont la logique du cheminement répond à des attentes toutes personnelles, ce que Cosmic Man ne vient en rien contredire.
D’un BM abrasif et ouvert, la musique d’EWIGKEIT a dérivé vers un Metal progressif positif et lumineux, et après quatre ans d’absence suite au complet Back To Beyond, Fogarty nous offre donc une nouvelle vision de son art, qui je dois l’avouer trouve aujourd’hui une certaine plénitude dans l’accomplissement d’harmonies largement travaillées qui s’imposent sur des rythmiques toujours aussi puissantes. Il faut dire que l’homme commence à avoir une expérience assez fournie dans le domaine de l’ouverture artistique, puisqu’on retrouve son nom depuis quelques années au générique de formations comme JALDABOATH, OLD FOREST, SVARTELDER, THE BOMBS OF ENDURING FREEDOM ou THE FERAL UNDERCLASS. Inutile donc de miser sur une sècheresse d’inspiration, James est du genre prolifique, mais pas complaisant, au point d’enregistrer tout ce qui lui passe par les cordes et la voix.
Et ce septième longue-durée n’échappe pas à la règle, tant sa richesse saute aux oreilles dès les premières mesures de l’intro « Quantum Eraser ». On comprend assez vite que le lien qui unit le passé et le présent d’EWIGKEIT se cache dans l’esprit tortueux de son concepteur, mais pas dans une quelconque ligne directrice claire et logique. Du Black, il n’a gardé que l’envie d’expérimenter, quelques mélodies de guitare, et surtout, une liberté de ton qui s’exprime au travers de dix compositions longues et achevées, dont la plus courte dépasse quand même les cinq minutes.
De fait il est devient très difficile de comparer ce LP à ses œuvres antérieures, et par extension à des influences externes, puisqu’en plus James prend un malin plaisir à noyer le poisson en citant des dizaines de références. Sa page Facebook niveau infos ressemble d’ailleurs à un who’s who des plus grands groupes de ces trente dernières années, tous styles confondus, mais en y fouillant avec attention, il est possible de trouver quelques éléments de pistage assez intéressants.
Ainsi, en mélangeant les courants de VOÏVOD, HAWKWIND, EMPEROR, IN THE WOODS, OPETH, BLACK SABBATH, BURZUM, PINK FLOYD, DISSECTION ou DEEP PURPLE, il est tout à fait possible d’obtenir une bonne définition de l’orientation nouvelle de cet homme cosmique, qui va chercher dans l’espace ce qu’il ne peut plus trouver sur terre.
Le mélange des idoles vous fait tourner la tête, et vous vous demandez certainement ce que le shaker peut proposer comme cocktail une fois ces ingrédients amalgamés ?
Ecoutez donc le disque, et vous comprendrez. On pourrait presque parler de Rock psychédélique progressif trempé dans les eaux saumâtres d’un BM bridé, sans être hors contexte. Et ça, c’est une chose formidable qui prouve que certains artistes ont encore une conception précise des mots « créativité » et « liberté ».
Et si « Cold Souls » trompe son monde en entamant le voyage par une rythmique purement Thrash sur fond de vocaux raclés au possible, l’élan est vite brisé en pleine violence pour faire place à des nappes de synthé qui se font soudainement écraser par un riff ludique et accrocheur, très éloigné des turpitudes habituelles du BM. Le chant clair intervient alors pour achever la mutation, avant que la trajectoire ne dévie vers un Metal très nostalgique et éclairé, rappelant le OPETH le moins torturé.
Ce premier « vrai », morceau joue encore sur l’ambivalence, mais la clarté finit par occulter tout nuage un peu trop bas dans le ciel de l’harmonie, et « Death Is The Portal » entérine le changement de cap d’un beat chaloupé, sorte d’adaptation de la NWOBHM dans un contexte Power Prog des années 2000. Le tout est exécuté avec la précision chirurgicale d’un sorcier de studio, qui juxtaposerait les guitares de feu Jon Nödtveidt et le Moog de Jon Lord, et qui prononcerait quelques formules magiques empruntées aux grimoires de Dave Brock et Beleth (OLD FOREST).
Le mélange des genres et des époques est palpable, mais nivelé par une production impeccable qui nous fait du 74 en 2017, avec l’acuité d’un homme qui n’a cure des frontières de temps et d’espace. Le BM d’antan est enterré au fond d’un mix qui s’est laissé séduire par un clavier prépondérant qui phagocyte l’espace des guitares, tandis que le chant se double (« Neon Ghoul Ride »), et parfois, l’atmosphère se radoucit tellement qu’on se demande si l’on est encore en train d’écouter un album de Hard-Rock ou une digression solo d’un musicien extérieur à la question (« Thief In The Sky »).
Cette variation Rock devient franchement troublante lorsque le riff redondant et sludgy de « Time Travelling Medecine Man » rebondit sur des nappes de chant incantatoires, toujours soulignées par des ébènes et ivoires un peu plus synthétiques, qui s’accordent très bien d’un refrain qui célèbre le Doom dansant et entraînant. Nous nous voyons même gratifiés d’une fausse balade amère et nostalgique en l’incarnation « Back To Beyond », qui prouve s’il en était besoin qu’EWIGKEIT est vraiment passé dans une autre dimension, ou l’harmonie est reine…Seule petite faute de goût, une ultime sortie de piste imprévue sur la cover finale de « Two Minutes To Midnight » de d’IRON quivoussavez, qui se contente d’une relecture de l’original un peu trop scolaire et approximative à mon goût.
Nonobstant ce faux-pas de dernière minute, Cosmic Man reste un album d’une richesse extraordinaire, et le témoignage éclatant du talent de James Fogarty qui décidément nous aura bouffés à toutes les sauces. On pouvait craindre un naufrage intimiste, on assiste au contraire à un débarquement triomphal. Sauf que les côtes abordées par l’anglais sont du genre un peu excentrées et isolées, et qu’il risque de se trouver bien seul à l’arrivée. Mais rejoignez-le, le voyage en vaut la peine. Vous y serez en bonne compagnie.
Titres de l'album:
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