Il y a plusieurs écoles de pensée dans le Black Metal. Notons en deux primordiales, celle qui consister à inonder le marché, et à enregistrer dès qu’une idée vous vient sur du matériel de fortune, ou au contraire à épurer sa créativité pour ne publier que des œuvres essentielles. Les lyonnais de DYSYLUMN appartiennent assurément à la seconde catégorie, puisque Cosmogonie n’est que leur troisième longue-durée en dix ans d’existence. Mais lorsque le duo sort un album, ses fans sont immédiatement aux abois : en sus de la charge créative immense, les deux musiciens apportent un soin particulier à l’objet, qui revêt immédiatement un statut de collector enviable. Prenons le cas de ce troisième né, qui connaîtra trois éditions différentes. Toutes trois en trois pièces, tape trois volumes, triple vinyle et digipack trois CD, pour un triptyque qui s’intéresse à la genèse du monde, à son évolution, et sa disparition. Les trois formats, visibles sur le site de Redefining Darkness Records sont superbes. Le packaging est étudié, et il est même surprenant de ne pas retrouver les lyonnais au catalogue des esthètes des Acteurs de l’Ombre. Leur Black Metal aurait tout à fait sa place au sein de l’écurie de Gérald, avec ses accents épiques, ses constructions longues et son ambition affichée dès le départ. Et deux ans après le pavé Occultation qui s’approchait de la perfection, Camille Olivier Faure-Brac (batterie) et Sébastien Besson (guitare, basse et chant) nous en reviennent pour asséner le coup de grâce, et nous embrumer les neurones d’un chapitre tellement dense qu’il nécessite une approche par étapes pour ne pas sombrer dans les affres de la folie.
Pour un simple chroniqueur, humble scribe destiné à donner un avis subjectif sur un travail conséquent, l’étude de Cosmogonie est un cauchemar pur et simple. Non que l’album soit d’une qualité discutable, mais son intensité et sa durée rendent le travail encore plus ardu, et la conclusion difficile. Plus de quatre-vingt minutes de musique, trois segments distincts, et une somme d’informations gigantesque. Pas le genre d’album qu’on aborde l’esprit détaché et l’humeur badine, et qui nécessite une attention particulière. Mais pour qui connait déjà la musique DYSYLUMN, rien n’est vraiment étonnant sur ce troisième LP. Ni la densité des plans, ni le refus des limites de l’imagination, ni les intentions sombres et nihilistes. En choisissant de s’intéresser aux éléments fondamentaux de la vie, du chaos et de la mort, Camille Olivier et Sebastien n’ont pas opté pour la voie la plus diplomatique, ni le chemin le plus clair et direct. Avec leurs trois tomes - Apparition/Dispersion/Extinction, les deux musiciens continuent sur la voie empruntée à l’occasion de leurs deux premiers albums, mais fournissent près d’une demi-heure de musique supplémentaire, on osant des compositions frisant parfois les dix minutes. Et dans un créneau aussi extrême, l’hésitation ne pardonne pas et les itérations condamnent l’auditeur à un ennui profond. Mais vous pouvez compter sur eux pour ne jamais s’égarer sur les routes de la complaisance.
Objet unique en son genre, Cosmogonie ne s’apprivoise pas, ne se décompose pas, et ne peut se disséquer facilement en additionnant ses parties. Il est inutile de croire que chacune des trois thématiques peut s’aborder individuellement, puisque l’ensemble est cohérent en tant que tel. Il convient donc d’écouter l’album in extenso pour se faire une idée du concept d’origine, et oser le marathon musical qui laisse sur les rotules. D’autant que le duo ne nous fait aucun cadeau. Chaque morceau ou épisode est riche, épais, roboratif et conséquent, et contient un nombre conséquent de plans. Des riffs évidemment, la plupart du temps monolithiques et sombres, des parties rythmiques variables, la seule constante étant ce chant raclé et laissé en arrière-plan agissant comme une narration cosmique. Toujours à cheval entre la tradition brutale et l’amertume, DYSYLUMN joue constamment entre la lumière et les ténèbres, et dose son effort, nous permettant parfois des étapes mois contraignantes (« Apparition III », au tempo médium qui en appelle au BM norvégien comme à celui provenant d’Allemagne). Les harmonies, certes amères et grinçantes aèrent un bloc rythmique qui écrase de sa pesanteur, et pourtant, l’écoute ne souffre pas de ce fardeau sur ses épaules. En profitant d’une production plus légère qu’on ne l’aurait pensé, le duo peut donc pousser sur l’intensité sans nous faire suffoquer. C’est exactement ce que l’on ressent lorsque le second chapitre ouvre ses portes (« Dispersion I »), nous disant qu’avec un son plus massif, la transition eut été trop pénible. Mais en jouant ouvertement avec les variations de tempi et les atmosphères - toutes confinées et délétères - Cosmogonie parvient presque à démontrer légitimement que sa durée n’est pas usurpée, ni un caprice de grandeur. Certes, les deux musiciens auraient pu expurger cette réalisation et la ramener à un timing plus raisonnable, mais cette démesure ajoute à l’aura d’un album qui n’aurait pas supporté la raison.
Et le plus conséquent des trois tomes - Dispersion - ne se prive pas pour jouer avec la montre, cachant en son sein les compositions les plus étirées. Avec près de vingt-sept minutes à lui seul, soit plus d’un tiers du LP, cet entre-deux est un monstre qui illustre la dispersion des éléments dans l’espace et le temps, et le concept est très bien illustré par cette guitare aux notes éparses qui volent en particules (« Dispersion II »), avant que le pavé « Dispersion III » ne nous entraîne aux confins d’un monde agonisant de son attaque franche. Parfaite métonymie, ce morceau aux ambitions énormes nous permet de condenser l’esprit de Cosmogonie, et de comprendre les tenants et aboutissants de la philosophie au moment de sa genèse. Condenser en quelque sorte les tendances BM que les deux musiciens affectionnent le plus, et montrer qu’ils sont largement capables de s’exprimer dans un contexte libre et ample. Ce qui est assurément le cas, même si les intentions affichées sont les mêmes que partout ailleurs sur l’album.
Parvenu au deux tiers de l’œuvre, le groupe nous offre enfin un interlude Ambient, qui permet de sortir la tête hors de l’eau. Avec ses neuf pistes officielles, son intro/outro et cet insert, Cosmogonie s’écoute comme on regarde une tragédie sur scène, et ne sort jamais de son contexte, malgré le risque de répétition accru. « Extinction I » parvient à dégager de nouvelles voies avec une production plus sèche et une rythmique à la lisière de l’Indus, tandis que « Extinction III » et son beat résigné incarne à merveille la disparition à grande échelle, et le néant absolu. Ne reste plus à la longue outro que de répandre ses échos galactiques pour nous faire comprendre que la fin l’est bien, et que tout cycle doit mourir pour donner naissance à un nouveau mouvement.
Je suis tenté par cette chronique de vous dire que DYSYLUMN a atteint une sorte d’achèvement et de plénitude, et que Cosmogonie incarne sans nul doute le pic de sa jeune carrière. Le travail n’est pas exempt de défauts (manque de dynamique parfois, idées qui se répercutent, chant un peu trop latent), mais on ne peut que s’incliner face à un tel effort de créativité, et se demander ce que les lyonnais nous réservent comme surprise à venir.
Titres de l’album:
01. Intro
02. Apparition I
03. Apparition II
04. Apparition III
05. Dispersion I
06. Dispersion II
07. Dispersion III
08. Interlude
09. Extinction I
10. Extinction II
11. Extinction III
12. Outro
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