Il fut une époque où les jeunes garçons froids formaient ensemble les armées de la nuit, envahissant les salles, désertant les bars et citant haut et fort leurs auteurs préférés, histoire de se démarquer d’une scène Punk qui ne leur ressemblait plus vraiment. Ils ne portaient pas d’épingles à nourrice, ils avaient le regard fixe et vide d’une rage qui consumait leur cœur, et pourtant, celui-ci battait encore sous le cuir d’un Rock qu’ils avaient pourtant enfoui au plus profond du synthétisme maniéré. Ils ont depuis si longtemps rendu les armes qu’on en oublierait presque les avoir connus, au détour d’un twist à Danzig, ou d’un autre garçon qu’on a trop cherché. Se sont taillé les veines parfois, presque par pudeur, et se sont transformé petit à petit en sombréros de l’amer, les lèvres sanglantes se tordant de douleur au contact du sel marin qui leur cramait la peau. Mais tous, sans exception se reconnaissaient dans la gestuelle chaotique et épileptique d’un grand anglais dégingandé qui leur avait ouvert la voie avant de faire tomber la chaise sur laquelle ses pieds reposaient. Une corde pour une vie d’influence, et puis tous les autres, les WIRE là-bas, les NEW ORDER ici, et quelques années plus tard, beaucoup se battent autour du cadavre de leurs références, partageant un héritage que tant croient mériter, mais que si peu ont fait capitaliser. A Paris, à Londres, à Berlin, mais aussi dans les campagnes pas si vertes d’une province conchiée par l’intelligentsia parisienne, ou même à l’est, puisqu’il n’y avait rien de nouveau. On aurait presque pu entendre leurs plaintes du côté de VARSOVIE, pourvu que le printemps y fût plus clément. Mais rien n’est clément lorsqu’on laisse des guitares robotiques prendre la parole, et lorsque cette parole assèche des gorges usées par les cris restés lettre morte. VARSOVIE, justement, l’un des autres enfants de cette génération pas si perdue qu’elle n’en a l’air, et qui depuis 2005 nous raconte des histoires qui n’ont pas forcément de sens caché, mais qui se perdent dans l’écho d’une tradition séculaire. Face contre terre ? Même dans ce cas, plus personne ne les empêchera de parler.
VARSOVIE, avant d’être un concept musical, est un duo d’hommes. Des hommes qui en 2005 ont décidé d’unir leur destin pour faire de la musique ensemble, cette musique qu’ils ont développée sur deux albums, plus ce petit dernier, à paraître bientôt. L’histoire de VARSOVIE, c’est celle d’Arnault Destal (batterie, textes, musique, arrangements) et Grégory Catherina (chant, guitare, musique), plus celle d’une dizaine de bassistes, officiels ou non, qu’on retrouve une fois le groupe sur scène. Deux hommes au parcours similaire, qui furent un temps compagnons d’armes au sein du projet Black Metal FORBIDDEN SITE, forcément avant-gardiste, mais dissout pour s’autoriser une plus grande latitude, et une plus grande musicalité. Après une première démo en 2005, les deux musiciens sortent l’EP Neuf Millimètres, qui leur permet de tourner à Prague, et à Vilnius. Puis vient Etat Civil, ne révélant pas grand-chose du leur, mais affirmant une couleur artistique en monochromes ombragés. Cinq ans plus tard, L'Heure et la Trajectoire confirme la leur, et c’est une fois encore au Drudenhaus studio que le duo enregistre son troisième chapitre, ce Coups et Blessures que vous pourrez découvrir au mois de mai, via une distribution Sundust records. Des coups, ce disque en donne, il griffe les chairs, lacère les oreilles, et ne montre aucune complaisance, aucune concession à une mode quelconque, et poursuit les thématiques obsessionnelles d’Arnault et Gregory, qui ne cherchent toujours pas à comprendre ou dénoncer leur époque, mais bien à en faire partie, sans sacrifier leur identité. Et cette dernière est toujours aussi forte, et empreinte d’influences que j’ai pu citer nommément ou indirectement au début de cette chronique. On y retrouve les embruns forts des deux disques précédents, ici portés au pinacle d’un professionnalisme carnassier, dans un élan de survie qui force l’admiration, à l’heure des heurts où les disques deviennent des produits, et ou la promotion devient un exercice fastidieux de VRP qui cherche une autre route. Les esthètes n’ont pas vendu leur âme pour quelques exemplaires soldés, et c’est avec un teint blafard et les yeux vitreux que nous regardons le miroir que Coups et Blessures nous tend. Un miroir presque sans tain qui renvoie pourtant le reflet d’une basse dansante à la JOY DIVISION, d’une voix maniérée à la Philippe Pascal des jeunes années, d’un lyrisme flamboyant à la NOIR DESIR des jours bordelais, et celui d’une rage parfois nihiliste à la VIRAGO, sans les facilités. Un miroir qui déforme le prisme d’un contemporalisme de surface, et qui louche dans le rétro des affinités pour apercevoir la rigueur d’une suite à donner. Un voyage. Une quête sans but avoué, mais surtout, une musique toujours aussi riche et troublante, comme la caresse d’une femme sans nom qui quitte le lit au petit matin pour repartir vers nulle part.
Nous aurions facilement beau jeu de voir en ce troisième album les symptômes d’une scène française qui n’en finit plus de jouer la carte de la nostalgie pour exister par elle-même. A force de nous sevrer de FISHBACH, et autres chantres d’un paradoxe spatio-temporel, on en a oublié que les artistes parfois existent par eux-mêmes, et qu’ils restent fidèles à une éthique, aussi comparative soit-elle. Mais VARSOVIE avec son troisième album évite l’écueil de l’adoubement des Inrocks et autres élitistes mondains en choisissant la crudité comme possibilité. Ils manipulent avec toujours autant de précaution le Rock sans oublier leur bagage personnel des années 90, et tentent des hybridations intéressantes entre Post et présent. On sent même de petites pointes de nostalgie caressantes sur des titres comme « Discipline », qui de ses guitares straight et de sa rythmique tribale nous ramène non à la fin des seventies, mais à celle des eighties, qui cherchaient alors une alternative possible à cette joie de vivre Top 50 aseptisée. Mais on trouve aussi des révérences, celle adressée aux CURE, à DIVISION, et de toute la scène qu’on n’appelait pas encore froide sur l’ouverture tétanisée de « Coups et Blessures », des progressions étouffantes comme le développement de « Va Dire à Sparte », qui savoure le minimalisme mélodique d’un SUGAR pour oser le talk over si prisé il y a trente ans. C’est tendu comme un tic nerveux, et pourtant souple comme un Rock qu’on aurait pu danser il y a quelques années (« Killing Anna », sorte de relecture d’un vieux tube oublié des KILLING JOKE revu et corrigé VIRAGO), mais c’est surtout particulièrement humain, lorsque l’inspiration se lance sur les traces d’un amour liquide, au ressenti concentrique, et aux promesses répétés à l’envi (« Un Lac », et cette rythmique nerveuse comme un EP des HUSKER DU écouté par FUGAZI). Et pourquoi ces comparaisons d’ailleurs, puisque depuis bientôt quinze ans, le duo a largement eu le temps de cloisonner son monde, un univers mouvant, qui se délecte de paysages changeant, passant au gré des humeurs d’une scène parisienne articulaire 70’s/80’s à un spectacle urbain délocalisé à Grenoble, épicentre comme purent l’être Bordeaux ou Rennes il n’y a pas si longtemps, et pourtant, un siècle.
Du Black Metal, il ne reste que les envies de provocation, d’étirer les genres pour qu’ils épousent une autre forme. Il reste aussi l’acidité d’une guitare qui refuse de se plier, et qui ne rompt pas. Du Metal tout court, il n’y a pas grand-chose. Du Rock, il reste l’urgence. De la musique, il reste l’absence. Des Coups et Blessures qui laissent des traces, mais qui font du bien. Et contre lesquelles on ne déposera pas plainte.
Titres de l'album:
"...jouer un concert en Arabie Saoudite. Un honneur absolu et un privilège. Les loups du nord apporteront la tempête hivernale à Riyad !"Un véritable honneur absolue de jouer en Arabie Saoudite, la ou les apostas sont condamnés &agra(...)
21/11/2024, 08:46
Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
19/11/2024, 21:57
J'avais pas vu cette chronique. J'étais au soir avec Ulcerate et je n'ai pas du tout regretté...Le lieu : il y a forcément un charme particulier à voir ce genre de concert dans une église, surtout que le bâtimen(...)
15/11/2024, 09:51
Le who's who des tueurs en série. Un plus gros budget pour l'artwork que pour le clip, assurément. (...)
14/11/2024, 09:20
J'imagine que c'est sans Alex Newport, donc, pour moi, zéro intérêt cette reformation.
11/11/2024, 16:15
NAILBOMB ?!?!?!?!Putain de merde !!! !!! !!!J'savais pas qu'ils étaient de nouveau de la partie !!!Du coup, je regarde s'ils font d'autres dates...Ils sont à l'ALCATRAZ où je serai également !Humungus = HEU-RE(...)
11/11/2024, 10:09