Et si nous nous levions tous pour danser sur une chanson qui fut un hit bien avant que nos mères soient nées ? Non que je vous propose un quelconque Jazz de salon, mais autant dire que les ALL OUT WAR et leur patronyme sans ambages étaient effectivement là avant pas mal de monde, et que nos mamans auraient pu slammer comme des folles en les écoutant pendant le ménage ou la vaisselle. Je ne veux pas dire par là que leur rôle se limite aux tâches ménagères, mais j’aime à imaginer une séance de repassage au doux son de Truth in the Age of Lies ou Into the Killing Fields, avec pour résultat des chemises cramées et des assiettes cassées, c’est la fessée. En parlant de fessée, les américains nous en collent donc depuis 1997, malgré un break de deux ans entre 2004 et 2006, pour permettre au chanteur de poursuivre sa carrière de prof, avant un comeback inévitable deux ans plus tard. Et comme le groupe le dit, il y a eu des combos pur Crossover avant eux, mais depuis qu’ils ont émergé, le mot a pris un sens nouveau, plus violent, moins mécanique, et presque Hardcore métallique. Voilà une combinaison qui sied à merveille aux originaires de Newburgh, New York, agitant l’underground depuis bientôt trente ans de leurs riffs teigneux et de leurs lyrics hargneux. Septième longue durée donc pour ALL OUT WAR qui continue con combat contre la normalité des inégalités, et qui nous livre avec Crawl Among The Filth une nouvelle plongée dans les immondices de l’inhumanité, sans masque, sans tuba pour filtrer, une plongée dans les déchets les plus épais et nauséabonds qu’ils prennent un malin plaisir à nommer en pointant du doigt les responsables de cette déchéance. Dans les faits, ce quintet (Jesse Sutherland - batterie/chœurs, Taras Apuzzo - guitare, Eric Carrillo - basse, Jim Antonelli - guitare et Mike Score - chant, les trois plus anciens) est l’un des plus respectés de la scène, et à lire les témoignages de musiciens de référence comme Dominic Landolina de CODE ORANGE, Matt Byrne de HATEBREED ou Scott Vogel de TERROR, trois autres ensembles référentiels, on comprend vite que leur histoire a marqué plus d’un acteur du mouvement Core contemporain. Et sans surprise, Crawl Among The Filth est une nouvelle claque gigantesque à la face des illusions, et une leçon de Hardcore dégoulinant de Thrash qui laisse à penser que rien ne va aller mieux.
Thématiquement, les obsessions sont les mêmes. Les joies d’une vie passée à se battre, la religion, gangrène de l’esprit et violeuse de libre arbitre, les abus de pouvoir gouvernementaux, mais aussi organisés, et tout ce qui rend notre existence de plus en plus difficile à affronter avec lucidité. Mais pas d’échappatoire pour vous permettre de fermer les yeux et de vous sentir mieux, puisque tel n’a jamais été le but de ce groupe qui préfère appuyer là où ça fait mal pour réveiller les masses de leur souffrance, par la souffrance. Sans vraiment se distinguer du reste du répertoire des américains, et prolongeant les travaux entrepris sur le petit dernier Give Us Extinction paru en 2017, Crawl Among The Filth livre donc son lot de thématiques concrètes, sur fond de Metal déformé façon Hardcore, sans écrémer son épaisseur ni édulcorer sa violence purement Thrash. Nous retrouvons donc ces riffs énormes, cette rythmique écrasante ou cavalante, et surtout, ces allusions multiples à la génération des AGNOSTIC FRONT et SLAYER, un peu comme si les deux publics avaient pu faire cause commune à une époque pour renverser les dictatures de la pensée d’un Crossover malmené. En refusant le mid tempo pourtant figure imposée de ce genre de réalisation, les ALL OUT WAR déchaînent donc les enfers de la violence la plus crue pour continuer de mériter leur nom, et la rage est patente dès l’ouverture en bourrasque de « Devine Isolation », sorte de Divine Intervention reprise à son compte par les pitbulls de TERROR, un soir de déprime terminant dans un bain de sang. La voix de Mike Score, toujours aussi grave et suintant d’invectives pue l’écume de rage par toutes les babines, et décuple la puissance d’un instrumental toujours aussi à cheval entre les principes virils du Metal et la vitesse inhérente au Hardcore le moins complaisant. On nage donc en plein Crossover le plus dur et compact, qui sait de temps à autres se parer d’atours encore plus malsains hérités des années SLAYER les moins controversées. Un truc qui ouvre les yeux, les scotche avec de la bande magnétique, et qui oblige à regarder la réalité en face. Et rassurez-vous, elle est toujours aussi laide.
Si ce nom est toujours aussi important après tant d’années passées à se battre, c’est qu’il y a une bonne raison. En stoppant son effort comme souvent sous la demi-heure, le quintet souhaite frapper fort et bousculer les idées reçues, ce que le terrifiant « Judas Always Crawls » signifie de sa traduction d’un GRIP INC dopé à l’énergie HATEBREED. Traditionnel dans le fond, et symptomatique du glissement 2K d’un Hardcore vers le Metalcore, Crawl Among The Filth ne déroge pas à cette règle de violence démultipliée par des breaks millimétrés, mais l’investissement total des musiciens couplé à cette envie de jouer plus fort que tout le monde aboutit à un résultat si féroce que les mâtins en ferment les mâchoires de peur de se faire mordre (« What Was Becomes Undone », proto-thrash joué les poings brandis et les espoirs aplatis par des breaks downbeat stupéfiants de précision). Ne refusant jamais une accélération les affiliant au domaine Thrashcore, les ALL OUT WAR utilisent toutes les armes dont ils disposent pour déclencher une guerre civile musicale, fédérant tous les camps extrêmes sous leur bannière de brutalité, et utilisant avec beaucoup d’intelligence la lourdeur et l’oppression pour créer un climat de suspicion (« Contempt Be Thy Faith », charge virulente contre la religion, à dessein, mais tellement vraie…). En uniformisant leur son sans le rendre stérile, les américains nous donnent donc un cours de Hardcore métallisé ou de Metal hardcorisé les mains presque dans les poches, se permettant de défier les maîtres du Thrash sur leur propre terrain (« Drink the Plague », « Suffocate and Subjugate »), avant d’accélérer encore plus la cadence pour nous faire vaciller (« Gehenna Lights Eternal », so fast it hurts…).
En résulte un disque court, aussi lourd et éprouvant que rapide et cathartique, avec des accès de fureur (« Septic Infestation »), mais aussi des moments de vraie douleur (« Hanging on the Wire », au texte vraiment glauque et au balancement évoquant avec acuité cette corde qui s’agite sous le poids d’un corps), qui nous frappe en pleine face d’aveugles que nous sommes. Une manière de revenir à la réalité sans la douceur de la transition, et surtout, une caution, celle d’un Metallic Hardcore de légende, plus proche du Thrash urbain que de la crudité street du Hardcore, mais aussi lourd et épais qu’une sentence de mort. Pas certain que votre mère ait dansé là-dessus avant votre naissance, ce qui d’ailleurs aurait pu entrainer quelques complications. Mais qui a dit que la vie était facile ? Pas les ALL OUT WAR en tout cas…
Titres de l’album :
1.Devine Isolation
2.Judas Always Crawls
3.What Was Becomes Undone
4.Contempt Be Thy Faith
5.Drink the Plague
6.Suffocate and Subjugate
7.Gehenna Lights Eternal
8.Septic Infestation
9.Hanging on the Wire
10.Despised Regime
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