Un compositeur multi-instrumentaliste adepte de masques de chiens. Une femme-renarde hurleuse addict aux crinières de feu et aux vestes à piques. De leur rencontre improbable une nuit de pleine lune est né FREAK INJECTION, nom de leur crew, à la croisée de l’électro et du rock, mêlant mélodies et rythmique primale, voix sublime et sons crades.
Avec une telle bio, une pochette aussi flashy aux jolis néons roses, des looks improbables et une tendance à la flagornerie underground, on a tendance à attendre les FREAK INJECTION au tournant. Car en effet, la provocation peut parfois payer, à condition d’avoir les arguments de sa morgue. On pardonne beaucoup de choses aux maladroits, aux abandonnés, aux rejetés, aux parias, aux modestes et aux délaissés de l’ambition, mais on excuse rarement les forts en gueule. Et de ce côté-là, ce duo/quatuor n’a pas les frusques ni la langue dans ses poches. Mais que savons-nous au juste de cette bande hirsute qui justement, revendique son excentricité ? Qu’ils sont parisiens, qu’ils ont déjà publié un EP, joué dans pas mal de salles, qu’un célèbre magazine étranger leur a accordé une large tribune, et que le grand Richard FILTER Patrick himself les a adoubés d’un commentaire élogieux. Est-ce pour autant suffisant pour leur dérouler le tapis pétunia sous les New-Rock ? Non, pour ça, il suffit d’écouter leur premier longue-durée qui a l’intelligence de jouer sur trente-six tableaux à chaque fois, mais d’être plus intéressant qu’un musée d’art moderne envahi par des techno-ravers berlinois défoncés. Jouons franc jeu et n’hésitons pas à sortir de notre zone de confort de neutralité journalistique. Avec Daddy Is The Devil, FREAK INJECTION jette un gros pavé de fun horrifique dans la mare d’élitisme intellectuel et de prétention musicale française. On le sait, et il n’y a rien de péjoratif à cela, que l’art en France est considéré avec beaucoup de snobisme et de condescendance. Il n’y a rien de pire que ce grand écart permanent entre la distraction en forme de gaudriole affligeante et la gymnastique intellectuelle stérile que nous réserve l’industrie du spectacle national, et tomber sur un groupe qui sait rester de qualité sans oublier son statut de saltimbanque fait un bien fou. Et contextuellement, ce premier album est l’équivalent d’un tunnel de l’angoisse tenu par une gentille poupée manga vaudou et un sorcier techno qui ne rechigne pas à utiliser la distorsion à fond les ballons.
Pour arrêter l’usage de comparaisons et d’images intempestif, disons que ce quatuor de l’étrange (Charlie Red: chant, Hector Hell Gz: batterie, Kevin Hapexia: basse, Mac-f "freaky Dog": guitare) nous offre un joli équilibre des forces entre musique électronique, Industriel, Metal et Pop alternative, pour se situer en convergence des influences. Ils ne nomment d’ailleurs pas les leurs, préférant rester dans le flou artistique, mais il n’est pas vain d’affirmer que leur approche en combine plusieurs autres, du fardé MANSON au psychotique Reznor en passant par les REPUBLICA, BIRTHDAY MASSACRE, Emilie AUTUMN, AYRIA, MINISTRY, COLLIDE, SWITCHBLADE SYMPHONY, j’en passe et des moins essentiels à votre culture. Soit un mélange de beats à faire danser un zombi tout pourri, des arrangements de boite de nuit allemande, de gros riffs qui empestent le MINISTRY à plein nez, le tout sous un décorum de barnum bizarre, à base de masques étranges et de costumes bizarres. Allons-y gaiment, et disons les choses comme elles le sont. Le ramage des FREAK INJECTION est à l’image de leur plumage, mais plus important que leur look donc, leur musique est bonne, très bonne même. Le genre de musique qu’on colle à fond pour s’éclater la tête un vendredi soir, juste assez jumpy pour groover, mais méchamment agressive pour la caution renforcée, soit le meilleur des deux mondes. Rien qui ne bouscule l’ordre des choses, rien qui ne se veuille vraiment hors-norme en termes d’originalité, mais des chansons méchamment bien construites, avec des couplets qui accrochent et des refrains qui décrochent (la mâchoire), et surtout, des musiciens/compositeurs qui connaissent bien leur boulot et le font à merveille. J’ai l’air dithyrambique comme ça, et pourtant, cette analyse à froid est aussi objective qu’un constat de corruption chez un politicien. Et pour cause, puisque la qualité affichée dès « Freaky Doll » se maintient jusqu’au bout de l’effort. Et de la nuit. Et de l’effort de la nuit.
Pensez Tm Burton perdu dans un univers à la Sabrina, the teenage Witch dernière génération, un épisode d’American Horror Story tourné dans une boite louche de Los Angeles, où à une radio piratée par un gang d’iconoclastes révérant tout autant FRONTLINE ASSEMBLY que Nina HAGEN. Avec dans le rôle de DJ un musicien autodiscipliné, capable du meilleur, touche à tout, qui tricote des hymnes à l’hédonisme forcené sans forcer sur le stupre. Une chanteuse qui n’est pas qu’une jolie poupée, mais qui a du coffre, qui module, chuchote, hurle et incarne son rôle de meneuse de revue tordue à merveille, et un backing-band instrumental qui officie avec autorité. Je le reconnais, parfois le metalleux lambda aura du mal avec cette ambiance de foire euphorique un peu trop électro à son goût (« Daddy Is The Devil »), mais le tout dégage une telle exubérance nineties qu’on se laisse attraper sans résister, d’autant plus que chaque morceau est un hymne potentiel réconciliant les générations et les clans. Pas étonnant dès lors que l’international louche salement dans leur direction, tant les quatre parisiens ont une assurance mondiale, spécialement lorsqu’ils abandonnent toute mesure, c'est-à-dire à peu près tout le temps. Mais loin d’être un cabinet de l’étrange mal rangé en foutoir de rouge à lèvres, Daddy Is The Devil est un cauchemar terriblement bien scénarisé, suffisamment spontané pour réserver des surprises, et parfois, des bien chaudes (« Sex Me », du BERLIN première époque remixé par le Trent Reznor de « Closer »). Tout ça se veut ténèbres, mais brille comme un champ de paillettes piétiné par une licorne joueuse et danseuse classique (« Glitters In Hell », jouissif comme une pyjama party entre copines sous meth), ou rocke n’bumpe comme un hit électro perdu dans un flipper alternatif (« Sex Voodoo _ Rock'n'roll »).
Aussi catchy que profond, aussi léger que plein de fond, Daddy Is The Devil est un vilain papa qui court après sa fille pour lui mettre une fessée, après s’être laissé posséder par un démon lubrique et coloré, et qui finit par se prendre une grosse branlée par la gamine en question. Une sorte d’alliance entre Harley Quinn et Sascha Konietzko pour foutre le bordel partout où ils passent. Et j’aime quand les grandes gueules assument leurs actes et tiennent leur position. Ça fait chier les intellos.
Titres de l’album :
01. Intro
02. Freaky Doll
03. Glitters In Hell
04. Crosses
05. Evil Raccoon Party!
06. Sex Me
07. Snakeskin
08. Daddy Is The Devil
09. Monster Town
10. Nothing Without You
11. Sex Voodoo _ Rock'n'roll
12. Muse Maléfique mix
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