C’est un premier album, mais ça pourrait tout aussi bien être la conclusion d’une longue carrière, ou une simple étape sur un chemin pas si paumé que ça. Car oui, Damn You Believer n’a pas d’antécédent sous le nom de KALLOUSED, mais ses membres sont loin d’être des débutants.
A vrai dire, on pourrait les considérer comme des vétérans de l’extrême Européen, tant leur parcours est riche de nombreux projets et participations, de groupes et autres considérations.
On trouve donc derrière les noms de ce quatuor des traces de GREY WIDOW, de THREAD et de BEATEN UP BOYS, soit la crème de la crème de la scène Sludge/Doom et Post anglaise. Ne vous attendez donc pas à un caprice de dernière minute, le concept a été pensé dans ses moindres détails, même si la spontanéité n’en est pas totalement absente, loin s’en faut…
Mais pour vous aider à y voir un peu plus clair dans toute cette obscurité, le groupe lui-même vous propose une piste, bonne à suivre, et qui vous permettra de juger en toute connaissance de cause.
Ils se définissent comme étant « chaotiques, sombres, tendus », ce qui en dit long sans ne rien dire de trop sur leur orientation.
Mais fiez-vous à votre instinct. Après tout, si les termes de Post Sludge et de Doom ne vous ont pas rebuté, alors l’écoute de ce premier album ne saurait représenter un obstacle insurmontable à franchir…
D’autant plus qu’il n’est constitué que de six mouvements, pour une barre sous la demi-heure. Mais soyez sûrs que ce temps imparti est largement suffisant pour vous écraser les oreilles comme une lourde litanie de douleur émanant des bas-fonds de la côte sud Anglaise…
Six chapitres donc, pour une histoire qui forme évidemment un tout, pas forcément divisible en termes de style. La cohérence est telle qu’il est logique d’appréhender le travail comme une pièce unique, découpé pour ne pas choquer, mais qui s’écoute d’une traite.
Sans parler de concept – mot trop galvaudé – il semblerait que Damn You Believer repose sur une thématique de résignation, d’acceptation indignée et d’assimilation d’un existence pathétique, que le groupe retranscrit avec force guitares lourdes, rythmique faussement monolithique, et écorchements vocaux assez symptomatiques d’un Sludgecore totalement Européen, qui fait même la nique à ses homologues US.
Si l’on sent en filigrane une grosse inspiration NEUROSIS (spécialement sur le chaotique «Pt.5 », dont les riffs semblent avoir été composés par Scott Kelly), les références sont plus ou moins évidentes, même si le quatuor Anglais affirme son individualité en restant à mi-chemin entre un Post Sludge vraiment appuyé, et un Doom qui n’hésite pas à décoller et à se déchirer de l’intérieur.
C’est terriblement épais, diablement lourd, parfois dissonant à l’extrême, mais toujours intéressant, même lorsque l’immobilisme tire l’humeur vers le bas.
Mais l’intelligence de KALLOUSED est de laisser tomber la chape de plomb avec beaucoup de nuances et d’à-propos. Loin de nous écraser d’entrée avec riff de mammouth unique et rythmique fixe, les Anglais développent une longue intro évolutive avec murmures et harmonie de guitare nostalgique, qui explose soudain au son gigantesque d’une distorsion trop longtemps contenue.
Ainsi, la transition entre « Pt.1 » et « Pt.2 » engendre un suspense musical qui stresse l’auditeur, qui se demande à chaque seconde quand la bombe va exploser à ses oreilles.
Et une fois la déflagration assourdissante passée, la tension elle reste, et tout comme le NEUROSIS d’Enemy Of The Sun/Through Silver In Blood, Damn You Believer prêche sa propre paroisse, et va au-delà d’un simple mur du son infranchissable pour laisser ses compositions s’aérer, et se développer selon leur thème de départ.
Chaque idée est exploitée au maximum mais n’en fait jamais trop, et surtout, ne joue pas les prolongations lorsque le filon est épuisé.
Dès lors, il est possible de ranger ce LP aux côtés des meilleurs des Américains sus mentionnés, puisqu’il en approche dangereusement la qualité.
Et comme la bande à Steve Von Till, les KALLOUSED savent ménager des instants de furie qui cassent le moule, et nous entraînent dans une sarabande de violence sourde et non contenue, ce qui apporte une dimension Post Metal intuitif à leur Sludge vraiment très efficace.
Et – chose suffisamment rare pour être soulignée – chaque chapitre à sa propre raison d’être tout en faisant partie d’un tout cohérent en diable.
Ainsi, si les « Pt.2 » et « Pt.3 » s’enchaînent dans une logique imparable et partagent la même ossature, « Pt.4 » laisse filtrer la lumière et rompt le sort, pour laisser des arpèges acides et une basse coulée se disputer l’espace avec un riff éléphantesque, qui intervient à espaces réguliers pour briser l’ambiance délicate.
Chaque segment restant d’une durée raisonnable, les vingt-six minutes de ce Damn You Believer passent comme dans un cauchemar express qui dérange une nuit troublée, jusqu’à cette épiphanie/épisode de sommeil paradoxal symbolisé par l’ultime « Pt.6 ».
Parfaite synthèse de tous les arguments avancés, cette conclusion porte l’art des Anglais à son paroxysme, avec toujours cette section rythmique inventive, sur la brèche, qui fracasse un down tempo sur des percussions acrobatiques.
Le chant doublé fonctionne aussi comme un guide interne/externe, et évoque des voix oniriques se disputant la conscience de l’auditeur, comme un dialogue entre le bien et le mal, ou la possibilité de rester endormi pour toujours ou de se réveiller terrorisé.
Doom donc, mais seulement par touches fugaces, Sludge bien sûr, option Core, mais Post Hardcore par ressenti, plus dans le traitement des agencements que dans la composition.
En tout cas, en tant que point de départ d’une nouvelle aventure, ce premier effort des KALLOUSED est une histoire solide qui appelle évidemment une suite, que l’on espère aussi dense, chaotique, sombre et tendue.
Il avait raison le bougre. « Chaotiques, sombres, tendus ». Mais je déteste la publicité mensongère, alors lorsque la vérité se fait promotion, j’adhère.
Titres de l'album:
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