Un petit tour par l’underground histoire de vérifier s’il est toujours aussi actif dans le monde. La réponse semble évidente, mais il convient de temps en temps d’aller prendre la température des scènes européennes, après trop de temps consacré à disséquer les sorties suédoises, norvégiennes, américaines, allemandes, et même françaises. Et une fois n’est pas coutume, j’ai évité l’Amérique du Sud et les Pays de l’est pour me rendre en Suisse, du côté de Zurich, pour suivre le parcours d’un projet assez atypique…Un projet qui d’ailleurs vit le jour à Cuba, avant de s’exiler en Europe, et un projet qui ne date pas d’hier malgré une discographie encore peu conséquente…Tête pensante du concept GODES YRRE (« La colère de Dieu », nom donné à Grendel dans le poème Beowulf), Abel Oliva Menéndez est donc cubain d’origine, menant sa barque dans les années 90 au sein de SECTARIUM, obscur combo de Death/Doom/Grind. A l’époque, le musicien souhaitait explorer de nouveaux horizons, et c’est à ces fins qu’il sa fini par enregistrer sa première démo A Divine Image, qui selon lui, fit « grand bruit dans l’underground ». Sans pouvoir mettre en doute sa parole, affirmons que cette nouvelle direction empruntée ne le fut pas longtemps, puisqu’il fallut attendre pas moins de deux décennies avant de retrouver trace du projet, avec la sortie en 2017 du premier volet d’un triptyque, Inside The Whale. S’ensuivirent Ghost Warriors en 2018, puis ce Das Nichts cette année, qui referme donc les portes de la thématique en trois. Trois albums parsemés de sept chansons de sept minutes à chaque fois (quoique l’homme triche légèrement, puisque quelques compositions dépassent les huit, mais pardonnons-le), soit 3 fois 7 fois 7, ce qui nous donne un total de 144, sans que je connaisse la signification de ce résultat. Mais restons sur le concept du triptyque (la sainte trinité), et du chiffre sept (la création du monde), et adoptons cette mystique religieuse au moment d’aborder la musique. Musique qui dans les faits résonne comme une messe personnelle à l’adresse de fans à confesse, qui réclament leur pénitence artistique.
Plus prosaïquement, et puisqu’il faut employer des mots clairs, sachez que l’orientation de GODES YRRE est plutôt multiple. De ses racines extrêmes des années 90, Abel a gardé la crudité du Death, la pesanteur du Doom, mais a copieusement assaisonné le tout d’influences Indus et EBM, pour proposer une sorte d’Industrial Death Doom qui n’est pas sans rappeler les moments de gloire de MEATHOOK SEED, les saillies les plus obscures de FRONTLINE ASSEMBLY, ou même certaines inflexions du CEREBRAL FIX des nineties. Le tout est évidemment réalisé seul, at home, avec une programmation qui se sent dès les premiers coups de la rythmique, une guitare au son assez aléatoire, et des arrangements empilés piste par piste. Mais ce parfum délicatement amateur ne nuit pas à l’écoute de Das Nichts, et ne représente pas son écueil majeur. La principale difficulté à affronter lorsqu’on se décide à écouter ce LP est sa propension au statisme, avec de longs morceaux se ressemblant beaucoup dans le fond, et aussi dans la forme. Sans jeter d’œil au tracklisting durant l’écoute, et parvenu à la piste trois, j’avais l’impression d’une longue chanson de plus de vingt minutes, ce qui en dit long sur le caractère monolithique de cette musique. Mais on le sait, l’Indus n’est pas genre à s’affoler gaiement de variations, ce qui devient lénifiant lorsqu’il est dilué de Death et de Doom. Mais en faisant preuve d’un peu de patience, on fit par dépasser le stade de l’attente pour découvrir des titres plus ambiancés, sinon osés, et se convaincre du bienfondé d’une chronique éventuelle.
Ainsi, « Aetherium » nous propose un insert Ambient qui rompt avec la monotonie globale, et laisse un synthé assez lo-fi répandre des mélodies déviantes. En tant qu’hémistiche, ce morceau nous permet d’affronter la seconde partie de l’œuvre, toujours aussi obsédée par les rythmes rigides et les riffs amples, mais faisant preuve d’un peu d’inventivité supplémentaire au niveau des arrangements de percussions. « Death of the Worms Lord » officie donc en miroir presque parfait des trois premiers morceaux, mais accentue un peu la violence sous-jacente, en appelant à un ressenti Death Indus assez sombre et marécageux. « Return to Al-Nar » continue d’explorer la même veine d’agressivité compacte, mais ose aller encore plus loin dans le nauséeux. On pense à une version négative et maléfique de MINISTRY, avec ce beat lourd et emphatique, mais aussi à un MEATHOOK SEED ralenti et malsain, eu égard à cette guitare unidirectionnelle et insistante. Bien évidemment, ces comparaisons ne sauraient fonctionner à talent égal, GODES YRRE restant assez loin derrière ses aînés, mais il y a quelque chose d’hypnotique dans cette façon de ne jamais dévier d’une trajectoire bien tracée. Evidemment, parvenu au dernier titre, le temps commence à se faire un peu long, mais en expurgeant l’album de ses scories et en le ramenant à un timing plus raisonnable, il est tout à fait digeste, bien que minimaliste dans son désir de grandeur. On sent que le musicien n’a pas forcément les moyens ou les capacités de ses ambitions, et qu’il navigue un peu à vue parfois, mais son investissement ne saurait être remis en cause, ni sa passion. Un disque à réserver aux amateurs de sonorités blanches, de répétitions appuyées et d’itérations insistantes, de métissage culturel underground, et de Death Metal traité au prisme de l’Industriel lourd et compact.
Titres de l’album :
01. No Light Behind
02. Dreaming into the Ice
03. Naruka
04. Aetherium
05. Death of the Worms Lord
06. Return to Al-Nar
07. Land of the Fleshless
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