Je parlais récemment de l’explosion de la scène Metal italienne, en argumentant sur des exemples solides, mais un autre m’en est donné ce matin qui confirme l’impression de domination européenne globale de ce pays pourtant tellement en retard sur les tendances il y a encore quelques années. Ce matin, la donne est différente, puisque l’album en question est le premier long d’une entité pour le moins obscure, au parcours atypique et à la biographie inexistante.
Selon les sources glanées sur le net, TOTALITARIAN serait un one-man band de plus, dont on ignore l’identité, et qui loin de suivre le tracé habituel des formations underground, a décidé d’entrer de plain-pied dans la production en lâchant un full lenght en tant que premier effort.
C’est culotté, pour le moins risqué, mais à l’écoute des cinquante-six minutes de De Arte Tragoediae Divinae, vous comprendrez vite que le format sied admirablement bien à cette production pour le moins opaque et personnelle…
Un nom qui en impose et qui plaque ses valeurs sur la table, un titre en latin, une superbe pochette noire et blanc à l’artistique générique, on sent dès le départ que le BM le plus cru va pointer le bout de sa capuche noire, et pourtant, ce disque offre bien plus que quelques clichés inévitables et autres apparences un peu trop évidentes…
Mais même au niveau musical, les choix de cet auteur italien sont loin d’être les plus faciles et les plus usités. Mais allons plus en avant pour vous expliquer pourquoi.
Pas de démo donc, encore moins de EP, et un pavé qui se comporte en tant que tel et qui vous tombe sur le crâne comme une tuile au détour d’une corniche. Avec TOTALITARIAN, le petit jeu des habituelles comparaisons ne fonctionne pas, tant cette musique aux détours inextricables est indéniablement personnelle et profondément occulte. S’il est évidemment possible de parler de BM en écoutant la première et très longue piste « Supreme Death Worship », cette opinion est rapidement contredite par l’utilisation d’un tempo extrêmement lourd, et des itérations qui finalement font tourner l’inspiration autour d’un ou deux thèmes, répétés jusqu’à la nausée, et inamovibles.
Pour autant il est difficile de rattacher le projet à une forme de Dark Ambient, puisque le musicien utilise des codes instrumentaux parfaitement organiques, s’organisant autour d’une guitare évidemment sous-accordée, et d’une basse en infra qui vibre et tonne sur une rythmique lourde et profonde. Les échos, la linéarité et la souffrance qui émane des motifs employés, combinés au latin employé dans l’intitulé pourraient nous aiguiller sur la fausse piste d’un ABRUPTUM plus cohérent et moins douloureux que dans ses pires moments, mais De Arte Tragoediae Divinae, avec son tir de barrage non-stop est beaucoup trop agencé et réfléchi pour tomber dans le piège de la torture bruitiste gratuite.
D’ailleurs, dès « The Wisdom of Chains » le ton change légèrement, et des blasts un peu fatigués succèdent aux blanches martelées sur la grosse caisse et la caisse claire, pour une symphonie BM très acide, aux riffs tournoyants et aux arrangements sobres.
Un critique a d’ailleurs émis quelques comparaisons somme toute assez valides, en citant les noms de N.K.V.D. ou IRKALLIAN ORACLE, ce qui ma foi n’est pas si éloigné que ça de la réalité tangible de ce premier LP.
Son but ?
Vous assommer sans relâche en assénant des coups répétés à l’envi, et en évitant de se frotter de trop près à une diversité qui n’a pas lieu d’être.
A la rigueur, ce LP pourrait s’apparenter à une longue descente aux enfers, pas à pas sur les marches d’un escalier à colimaçon qui finalement, n’aboutit nulle part et vous laisser déambuler dans une chute longue et lente. Ou à un cauchemar éveillé, perturbé par des exhortations vocales captées d’un autre monde, qui vous plaque au matelas en vous empêchant de bouger le moindre membre.
Un état presque catatonique qui vous transforme en spectateur de votre propre agonie, ce qui n’est pas le moindre des exploits lorsqu’on considère que TOTALITARIAN n’a même pas testé son expérience en format court avant de la valider.
Cinq morceaux, pour presque une heure de longue oppression sans réelle pause, c’est très osé, et pourtant, ça fonctionne. Alors qu’on pourrait croire que cette parcimonie créative engendrerait un ennui certain au bout d’un temps limité, on se prend à être fasciné par cet ascétisme, au point d’encaisser les coups successifs d’un accord tacite tenant presque du masochisme, sans attendre une quelconque évolution de la maltraitance.
« At One With The Poisoned Seed » continue le travail d’analyse sans rien changer de ses fondements, et opte pour une vitesse rapide mais sous contrôle, toujours surplombée d’incantations vocales propres à faire passer les vomissements de MORTICIAN ou les litanies d’INCANTATION pour de gentilles berceuses susurrées d’une voix surannée et rassurante.
Sans tomber dans le piège aléatoirement monolithique et dispendieux d’un GNAW THEIR TONGUES, TOTALITARIAN trace sa route dans votre inconscient de façon unilatérale, et ne daigne même pas développer quelques digressions un tant soit peu différentes, puisque cette décision reviendrait à nier les préceptes mêmes de son action globale.
Alors on avance, on subit, on souffre, mais on en redemande, tels les sujets d’un gourou enfermés dans le totalitarisme rassurant d’une secte qui n’ouvre jamais ses portes.
On termine même le voyage par deux autres chapitres de plus de treize minutes, qui ne dévient pas d’un iota des dogmes, via un « The Flames of Sempiternal Regret » qui revient à une lourdeur oppressante et terrifiante, amplifiée par une production parfaite, grave, sourde et pourtant à des kilomètres d’un lo-fi à l’économie, d’ordinaire symptomatique de ce genre de projet. Quelques arrangements sobres sont parsemés, et une fois encore, ce sont deux thèmes, et pas plus, qui font tout le travail.
« An Ash Tail... Either Hill », l’épilogue qui est aussi le segment le plus conséquent, revient dans le cadre d’un BM assourdissant, et frappe sans économiser ses forces, se permettant un simple break occulte qui ajoute à l’ambiance glauque, avant de sombrer dans une longue coda ambiante, qui nous laisse plus tétanisés que libérés.
De Arte Tragoediae Divinae (L’art de la Tragédie Divine en VF) peut donc se concevoir comme un enfer de Dante, qui vous laisse traverser les cercles, avant de vous ramener au premier, sans que vous puissiez vous en rendre compte. C’est un disque qui n’hésite pas à assumer ses choix, et qui les suit sans dévier de son entame à son final cauchemardesque.
C’est d’ailleurs un cauchemar à part entière. Mais tout le monde n’a pas les moyens de rêver après tout.
Titres de l'album:
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