Depuis 2012, GRIFFON a largement eu le temps de s’imposer sur la scène BM française. Avec une dizaine d’années d’activité, et deux albums acclamés, le quatuor parisien a su se faire une belle place au classement des groupes les plus intéressants de cette seconde décennie d’un siècle qui finalement, regarde beaucoup en arrière pour mieux aller de l’avant.
Les Acteurs de l'Ombre ont donc renouvelé leur confiance, quatre ans après l’énigmatique Ὸ θεὀς ὸ βασιλεὐς, qui lui-même succédait au monumental et introductif Har HaKarmel. Un partenariat de confiance donc, pour deux entités qui s’entendent à merveille, et dont les vœux sont aussi sincères aujourd’hui. Il faut dire qu’en passant l’étape cruciale du troisième album, GRIFFON a bravé tous les récifs et autres obstacles pour se paver une voie royale vers le succès critique et public.
De Republica.
Un titre étrange pour des obsessions de circonstance. Le pays dans lequel nous vivons est en effet en plein marasme, la démocratie étant souvent foulée du pied par un gouvernement à la solde des intérêts privés. Alors, les parisiens se proposent de faire l’éloge de cette même république, censée garantir la loi, la liberté et l’égalité, tout en embrassant les principes de la révolution, lutte populaire contre la censure despotique et la privation de liberté.
Des deux camps émergent donc des avis qui pourraient sembler contraires, mais qui finalement, sont complémentaires. Les opinions se percutent, les affections se divisent, et la situation débouche sur un statu quo fort inquiétant. Cette percussions d’opinions permet donc au quatuor (Sinaï - guitare, Aharon - chant, Kryos - batterie et Antoine - guitare) de proposer un plan d’action très contrasté, entre ombre et lumière, ténèbres et éclaircies, colère et envie. Musicalement parlant, De Republica est donc un album très abouti, et surtout, très riche en arrangements, déviations, dérivations, et alternance.
Produit de main de maître, ce troisième album se paie le luxe d’être allusif au Post-Black tout en gardant contact avec la base BM la plus crue. Difficile pourtant de réconcilier les deux écoles, qui régulièrement se provoquent à grands coups de critiques assassines. Mais le talent des parisiens permet justement de transcender ces querelles de clocher, pour acquérir à sa cause un public de plus en plus large. C’est ainsi que les racines des années 90 creusent la terre des années 2000, pour offrir une floraison amère, aux couleurs étranges, panorama inhabituel décrit avec une acuité féroce par le magnifique « La Loi de la Nation ».
Sorte d’exemple type d’une démarche en dualité, ce morceau à tiroir sublime le contraste et les oppositions, en percutant un instrumental clair à une furie tout à fait classique, avec riffs majestueux et écrasants, et chant évidemment exhorté de poumons concernés.
GRIFFON n’invente donc rien, mais croit sur les restes de l’héritage Black le plus traditionnel, celui que se partagent des héritiers toujours plus nombreux. En refusant de se cloisonner dans des murs étroits, les parisiens ouvrent des perspectives intéressantes, justement à cheval entre cette fameuse république garante d’égalité et de fraternité, et cette révolution qui opposera les pros et les antis. Un décalage qui permet toutes les tonalités et tous les arrangements, avec en exergue l’accent acide de guitares qui déversent leur fiel ou leurs arguments avec beaucoup de poigne.
Je n’essaierai pas de survendre un album qui tient debout par ses seules qualités. Sans vraiment bousculer la hiérarchie, GRIFFON peaufine les contours de son monde, en projetant une image picturale assez fidèle à son propos. Avec l’intervention régulière de passages narrés d’une voix grave et sentencieuse, l’ambivalence de cette amertume et de cette franchise rythmique, et le contraste permanent bravant la vitesse d’une lourdeur de circonstance, et défiant la méchanceté d’harmonies sublimes, De Republica se montre sous un jour très flatteur, et peut se voir comme le point de jonction entre la grande révolution de 1789 et la docilité avec laquelle le peuple se laisse mener par le bout du nez aujourd’hui.
Les privations, restrictions, le recours systématique au 49.3, la valse des ministres tous aussi peu concernés par les problèmes du peuple, la présence de nombreux millionnaires au gouvernement, le saccage des services publics, régulièrement décapités comme à la grande époque de la terreur, tout contribue à donner envie au peuple de renverser ce système finalement pas si éloigné que ça d’une monarchie déguisée.
Est-ce à dire que GRIFFON incarne la liberté ET l’ordre ?
Dans un certain sens oui, car son sens de l’instrumentation est une science exacte qui laisse pourtant l’auditeur se forger sa propre opinion. Et reconnaître finalement que « De Republica » est l’un des morceaux les plus construits et efficaces que vous pourrez entendre cette année. Entre HYPNO5E et DARKENHOLD, GRIFFON suit sa propre route, entre riffs découpés à la scie et longues digressions en solitaire.
Un disque aussi soigné qu’abrasif, pour une lutte qui s’échoue souvent sur les frontières entre la dictature et la république bafouée.
Les héros se font attendre. Mais certains prennent les devants.
Titres de l'album :
01. L'homme du Tarn
02. The Ides of March
03. A l'insurrection
04. La Semaine Sanglante
05. La Loi de la Nation
06. De Republica
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