Il y a toujours eu deux écoles dans le Thrash. Je vous épargne le sempiternel combat USA/Allemagne avec les luttes menées par ses divers représentants, et je resterai à une échelle plus générale, celle mesurant la haine et la férocité. D’un côté, les maniaques de la brutalité et la vitesse, qui ne jurent que par la puissance et qui considèrent le Thrash comme génération spontanée, née du ras le bol d’un Metal trop aseptisé pour eux. De l’autre côté, tenaient le bastion les ardents défenseurs de la modulation, qui savaient très bien que le style était né de la fusion Heavy/Hardcore. De ces deux façons de penser sont nées les deux facettes d’un genre beaucoup moins linéaire que ses adversaires ne se plaisent à penser. Les Allemands ont toujours été apparentés à la première faction, la faute à SODOM et KREATOR principalement. Les Américains au contraire, via METALLICA, MEGADETH, EXODUS, se sont vus affublés de l’étiquette encombrante de l’ambition, les seuls à pouvoir faire évoluer le genre jusqu’à ce que les allemands ne sombrent dans le Techno-Thrash le plus alambiqué. Entre les deux, d’autres nations ont fait leur trou, et le Canada ne fut pas la dernière. Inutile de recenser une fois de plus les groupes apparentés, vous les connaissez aussi bien que moi, mais s’il en fut un qui porta le Thrash à ébullition de précision et de créativité, ce fut sans conteste l’ANNIHILATOR de Jeff Waters. Ce musicien extraordinaire aimait tout autant METALLICA que JUDAS PRIEST, IRON MAIDEN que MEGADETH, et s’est donné la peine d’offrir au Heavy/Thrash sa transition la plus fluide et mélodique. Du Canada débarquent aujourd’hui les cousins de HAZZERD, et même si le parallèle entre les deux groupes n’est pas justifié à cent pour cent, les analogies dans la démarche, et non dans la forme, sont nombreuses.
HAZZERD est donc un quatuor de Calgary (Dylan Westendorp - chant/batterie, Brendan Malycky & Toryin Schadlich - guitares/chœurs et David Sprague - basse), et ressemble à bien des égards à la seconde division harmonique des eighties. On sent dans leur musique - outre les rapprochements délicats avec ANNIHILATOR - des relents d’AGONY, HEATHEN, DEATH ANGEL, soit la quintessence des nuances d’il y a trente ans, et leur premier album à de véritables allures d’achèvement dans sa structure, malgré quelques défauts qu’il serait malhonnête d’occulter. Avec un batteur chanteur, les canadiens jouent donc la comparaison avec les aînés nationaux d’EXCITER, ce que ce mi-chemin entre Heavy et Thrash confirme, mais on sent que leur sens du détail nous orienterait plus sur la piste d’un Crossover entre le MEGADETH léché et conseillé et le DESTRUCTION le moins féroce, celui des années Speed avant la sortie de Release From Agony. « Sacrifice Them (In the Name of God) » confirme donc toutes ces assertions, et avec trois morceaux passant la barre des six minutes, Delirium affirme ses ambitions. Guère étonnant dès lors d’apprendre que Dave Mustaine himself a conseillé aux fans de porter une oreille attentive sur les canadiens, lui qui n’est généralement pas généreux en parrainages. On se souvient qu’il avait produit les magiques SANCTUARY à l’époque, ses conseils sont donc à ne pas prendre à la légère. Et j’accorderai au rouquin toute ma confiance au moment de juger de l’intérêt de ce premier LP bluffant de professionnalisme. En choisissant de ne pas choisir entre force et honneur, HAZZERD loin de rester dans une position inconfortable domine les débats, et cite TESTAMENT, MEGADETH, METALLICA, METAL CHURCH, ANNIHILATOR, mais aussi les récents HAVOK et HATCHET pour ne pas proposer une simple resucée old-school trop classique.
Des ambitions donc, mais les moyens de les mettre en exergue. Sans se révéler techniciens d’exception, les quatre instrumentistes connaissent assez leur boulot pour aménager des breaks mélodiques, des cassures soudaines, et même se lancer dans le grand bain de l’instrumental, exercice autrefois très prisé mais depuis longtemps tombé aux oubliettes du Thrash. Deux sont présents sur ce LP, dont une outro, c’est donc « Call of the Void » que nous retiendrons pour sa capacité à multiplier les humeurs, les ambiances, passant d’un assaut purement Speed Metal à un intermède plus modulé et Heavy, citant même le Classique avec un grand C à l’occasion de soli inspirés. L’emphase n’est pas sans rappeler le « To Live is To Die » de METALLICA, ainsi que la vague Power Metal allemande de la fin des années 80, et le cocktail est aussi relevé que fin, ce qui achève de différencier les canadiens du reste de la masse. De là, Speed, Heavy, Thrash, tout y passe et il devient délicat en définitive de se contenter de classer les HAZZERD dans une seule catégorie trop restrictive pour leur champ d’action. Certes, les morceaux les plus costaud et emprunts du DESTRUCTION le moins contemporain valident cette affiliation (« Dead in the Shed », « A Tormented Reality »), mais dès que le chrono n’impose pas l’efficacité, la franchise est remplacée par des progressions plus travaillées, qui osent la basse proéminente, les saccades en alternance, et les breaks en affluence. En témoigne le très volontaire et construit « Victim of a Desperate Mind », qui en plus de six minutes passe en revue tous les aspects les plus précis du style, avec des riffs qui ne sont pas sans évoquer un rapprochement entre les scènes allemande et australienne, avec toujours en exergue ce chant mordant et agressif de Dylan Westendorp, entre Schmier et Mustaine.
Avec sa production étonnamment clean, qui permet de discerner clairement tous les instruments et autres arrangements, et sa superbe pochette signée du maître Andrei Bouzikov (SKELETONWITCH, MUNICIPAL WASTE, TOXIC HOLOCAUST), Delirium est donc une sacrée bête de compétition, dont le seul talon d’Achille est cette durée un peu trop étirée, qui finit par noyer les idées dans une mare de conformisme. Si « Illuminated Truth » maintient la cadence créative, on ne peut pas dire que le long final « The Decline » propose réellement quelque chose de neuf et incarne l’acmé d’un album qui aurait mérité clôture plus explosive et symptomatique. Certes, le réel épilogue reste « The End (Outro) », mais cette outro ne saurait être considérée comme un morceau à part entière. Pas grand-chose de négatif à reprocher aux canadiens donc, si ce n’est ce petit manque de concision, mais avec une grosse majorité de morceaux largement au-dessus de la mêlée, une inspiration plurielle et riche, et des instrumentistes habiles et concernés, Delirium représente une facette fascinante du Thrash nostalgique qui n’a pas retenu de la violence que l’approche la plus radicale et simpliste. A recommander donc aux nostalgiques de la modération effective, et merci à Red Dave de son conseil très avisé. L’homme n’a donc rien perdu de son flair légendaire.
Titres de l’album :
01. Sacrifice Them (In the Name of God)
02. A Tormented Reality
03. Sanctuary for the Mad
04. Victim of a Desperate Mind
05. Call of the Void
06. Dead in the Shed
07. Illuminated Truth
08. Waking Nightmare
09. The Decline
10. The End (Outro)
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